Appelé en cas d’urgence pour des missions en France ou à l’étranger, la réserve sanitaire recense 703 IDE parmi les 2 500 soignants volontaires. Sous le contrôle de l’État, ils exercent leur métier dans un cadre bien distinct de leur quotidien.
Après avoir cherché toute une journée, nous avons retrouvé cette dame blessée dans un hôpital de campagne délabré. Au fond d’un hangar, elle souffrait en silence. En nous voyant, elle a compris qu’elle était sauvée. Sa sœur avait signalé sa disparition à la cellule de crise du Quai d’Orsay. Nous avons pu l’évacuer in extremis. » Chrystel Poux, infirmière anesthésiste au CHU de Toulouse Rangueuil et au Samu 31, raconte avec émotion ce souvenir de mission au Népal, suite au tremblement de terre de 2015, en tant que réserviste sanitaire. « J’étais en binôme avec un médecin anesthésiste de Rouen, en renfort de l’équipe de diplomates, avec des personnes de la sécurité civile, du ministère des Affaires étrangères et des pompiers. Notre mission : recenser et rapatrier les victimes françaises du séisme. » En une semaine à écumer les hôpitaux de la ville, ils recensent pas moins de 150 personnes à prendre en charge dont 21 urgences « à préparer en pré-hospitalier pour pouvoir passer 8 heures d’avion dans une coquille. On travaillait sans relâche, sans savoir quand l’avion de rapatriement pourrait atterrir. Le jour J, on a dû rassembler et préparer tous les patients en 2 heures ! ». La réserve, alertée par le binôme, enverra ensuite une infirmière en psychiatrie avec la relève.
Organe du ministère de la Santé, la réserve sanitaire a été créée en 2007 en tant que branche de l’Établis-sement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). Depuis le 1er mai 2016, elle a intégré l’Agence nationale de santé publique, nouvelle entité fusion de l’Eprus avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et l’Institut national de veille sanitaire (InVS). Des considérations administratives qui ne changent rien à son fonctionnement. Saisie à la demande du ministère de la Santé ou du ministère des Affaires étrangères, la réserve répond à des situations sanitaires exceptionnelles dans l’Hexagone ou à l’étranger. Les missions peuvent durer de quelques jours à plus d’un an, durant lesquelles se relaient les équipes. Elle portent sur un point précis : renfort à l’offre de soins comme ce fut le cas pour les attentats de Paris en 2015, les plans grand froid en France en 2012 et 2013 (participation aux maraudes), lors de l’épidémie de dengue en Guyane en 2013, de chikungunya aux Antilles en 2014… mais aussi renfort des dispositifs prudentiels lors de grands rassemblements comme le G20 en 2011 ; évacuations à l’étranger suite à des catastrophes naturelles (séisme à Haïti en 2010, au Japon en 2011, au Népal en 2015), des attentats (Marrakech, 2011) ou des troubles politiques (Lybie, 2011), expertise et lutte contre les épidémies d’arboviroses (Ebola en Guinée et au Mali en 2014)…
Pour Romain Perot, 25 ans, infirmier aux urgences psychiatriques de Sainte-Anne à Paris et réserviste depuis 2013, le cadre offert par la réserve a motivé son choix : « Chacun a ses raisons de s’engager comme réserviste. Pour moi, c’est une suite logique. Je suis fonctionnaire et je fais des missions à la réserve, toujours dans le service public. Je tiens à ce cadre. Mon employeur est remboursé de mon salaire quand je pars ; tout est clair, sérieux. S’engager avec la réserve sanitaire, ce n’est pas un mois en humanitaire avec une assoc’ ! On représente le ministère, voire la France à l’étranger. Recevoir l’uniforme est un grand moment. Les responsables de la réserve viennent nous voir en formation, en uniforme eux aussi, on sent l’appartenance au groupe, sur un pied d’égalité. »
Avant cela, il faut suivre la procédure d’inscription en ligne. « La lourdeur administrative peut en rebuter certains. La phase de constitution du dossier est fastidieuse », souligne Romain Perot. Dossier clinique consistant, diplôme, papiers d’identité… tout doit être envoyé sur la plate-forme Agirs, l’interface des réservistes. Aucun critère de sélection particulier n’est requis pour intégrer la réserve, si ce n’est un diplôme dans sa spécialité. Toutefois, « on est profilé selon nos compétences, poursuit-il. C’est de cette façon que la réserve sélectionne les personnes à qui elle envoie une alerte quand une mission se présente ». Une présélection effectuée en fonction du profil professionnel, de la spécialité, des formations suivies, de critères géographiques…
Le dossier bouclé, reste à le présenter à son employeur. La loi de santé de janvier 2016 précise que ce dernier est dans l’obligation d’accepter l’engagement de son salarié. « Il peut néanmoins refuser le départ en mission si cela perturbe le fonctionnement de l’établissement », indique-t-on au siège de la réserve. Mais la question financière peut jouer en la faveur du réserviste : « Au niveau financier, la mission est comptabilisée dans le temps de travail du soignant, mais comme il n’a pas œuvré pour l’établissement, la réserve nous rembourse au prorata du nombre de jour », explique Sylvie Lavoisey, directrice des soins de l’hôpital d’Elbeuf-Louviers (76), qui compte une dizaine de réservistes sur ses 1 500 agents médicaux et paramédicaux. Tout comme la dimension éthique : « Nous avons le sens de la mission de service public ici, y compris le chef d’établissement. C’est l’essence de notre métier. Les missions de la réserve sont au bénéfice de l’intérêt du collectif, d’une autre équipe de collègue ou d’un pays où se jouent des enjeux majeurs », insiste la directrice.
Un positionnement en phase avec les motivations de Dominique Meslier, infirmier coordinateur de la CUMP 86 (cellule d’urgence médico-psychologique Poitou-Charentes) : « Avec la réserve, je continue mon métier ; travailler sous mandat de la nation est très gratifiant. Et puis, c’est un coup d’accélérateur, on reçoit une alerte et on s’adapte à une situation extraordinaire, ça vient casser le quotidien. La première fois, il y a aussi l’euphorie, l’adrénaline de la mission d’urgence… »
Pour une première mission, notamment à l’international, la formation terrain de cinq jours, non obligatoire est fortement conseillée. Le réserviste est mis dans les conditions réelles, scénario à l’appui. (lire encadré p. 64). Et c’est à cette occasion qu’il reçoit son « paquetage », un sac à dos et un sac de voyage rempli : lampe, sac de couchage, rations de nourriture pour deux jours… « On doit toujours être prêt à partir en moins de 24 h, parfois à l’autre bout du monde », explique Dominique Meslier. « J’ai été appelée par un responsable de la réserve le lendemain des attentats du 13 novembre, raconte Béatrice Serra, IDE en CDD. Je rentrais de week-end. Arrivée chez moi, à Bordeaux, j’ai posé ma valise, dormi quelques heures, pris mon paquetage et j’ai pris le train le lendemain pour Paris, à 5 h 18. » Au siège de la réserve, elle était chargée de contacter les réservistes pour organiser leur présence à la cellule interministérielle du quai d’Orsay, ou 60 d’entre eux se relayaient chaque jour pour recevoir ou donner des appels aux proches des victimes et plus largement aux personnes touchées. Sacha Camail était l’un d’entre eux : « À mon arrivée, j’ai retrouvé d’autres réservistes. Une personne du Quai d’Orsay nous a conduits à la cellule, un grand espace, où se trouvaient des représentants des différents ministères. C’était très calme, malgré la tension ambiante. Sur le plateau, le système ressemblait à un roulement hospitalier, avec des relèves. Des réflexes professionnels comme la transmission d’information peuvent ainsi être utilisés en mission. » Sacha était dans la relation d’aide et d’écoute de personnes en détresse psychologique, « ce que je sais faire en tant qu’infirmier », mais dans un contexte inédit pour lui. « Cela m’a permis d’appréhender un autre monde, de voir comment se déroule la coopération interministérielle de crise par exemple.La composante diplomatique est centrale dans les missions. » Enfin, il a coordonné le plateau de la réserve, sur lequel se trouvaient infirmiers, cadres de santé, psychologues ou encore agents de régulation médicale. « Je faisais partie des premiers, donc je connaissais le système (tuilage, confidentialité, horaire) et pouvais m’adapter rapidement. J’étais donc responsable de l’interface entre les réservistes, le centre de crise du ministère des Affaires étrangères et le siège de la réserve. En mission, on retrouve toutes les professions de l’hôpital, ambulancier ou chirurgien – des personnes avec qui on interagit pas forcément au quotidien. Là, on supprime le lien hiérarchique habituel. On a les mêmes droits et devoirs, ça fait du bien… »
Romain Perot était là, lui aussi : « J’avais participé à la mission Charlie hebdo, j’ai été contacté immédiatement. » La réserve sanitaire vient pour lui en complément de son expérience professionnelle. Il crée des ponts entre son engagement et son travail : « J’ai découvert les CUMP avec la réserve, et j’ai fait un DU trauma dans la foulée. Les gens que l’on traite en mission sont souvent traumatiques, ce qui n’est pas le cas la plupart du temps aux urgences psy. Les deux sont complémentaires. » De la même manière, le jeune infirmier assure ne pas souhaiter manager au quotidien, mais il est à présent référent réserviste. Ce rôle qu’il endossera pour une prochaine mission, Dominique Meslier le connaît bien. Une dizaine de missions à son actif, dont plusieurs comme référent, chargé de la sécurité des personnes, de la coordination et du bon déroulement des opérations. En 2011, Dominique Meslier s’envole pour Tripoli, Lybie, dans un contexte de fin de guerre, avec une équipe de cinq personnes, tous corps médicaux confondus. « Même si toutes les précautions sont prises avant de nous envoyer, qu’un agent de sécurité et un chauffeur de l’ambassade sont avec nous, il faut être prudent. J’avais un téléphone satellite, et prévenais l’ambassade et le siège de la réserve toutes les 20 mn, dès que nous nous déplacions. J’étais aussi chargé de faire passer les checkpoints, vérifier les chambres d’hôtel à notre arrivée… ».
Côté soin, un coordinateur médico-chirurgical (un médecin de l’équipe) est présent sur chaque mission. Et la prise en charge peut différer beaucoup d’un pays ou d’une mission à l’autre. « On n’a pas de fractures ouvertes dues à des éclats d’obus à Toulouse ! lance Chrystel Poux. À l’hôpital de Brazzaville (mission au Congo suite à l’explosion d’un dépôt de munitions en 2012, NDLR), les équipes travaillaient avec les moyens du bord. On avait les produits, mais nous utilisions leurs respirateurs, différents des nôtres, leur aspirateur de mucosité… On doit s’adapter, rebondir si besoin, travailler en mode “dégradé” tout en respectant la déontologie. Impensable de partager les seringues, ou d’utiliser du matériel non stérile par exemple. » Rodée aux missions, Chrystel, qui collabore aussi à Médecins sans frontières depuis plus de 10 ans, tempère néanmoins : « On vit aussi des choses difficiles : aller à la morgue pour identifier les victimes françaises, au Népal par exemple. Voir ces corps entassés, la putréfaction qui commence… D’où l’importance de la relation avec les collègues en mission. »
Des collègues, elle en laisse également à Toulouse, à chaque départ. Philippe Sautier, son cadre, raconte : « Le fait de la détacher pour la réserve est un effort collectif facilement partagé, car chacun comprend cet engagement. Mais cela reste une contrainte ponctuelle dans l’organisation de l’équipe IADE, dans la mesure où les blocs doivent continuer de fonctionner normalement. » Pour Béatrice Serra, la gestion est plus simple : « J’ai quitté l’armée il y a 3 ans, et je fais uniquement des remplacements dans le privé. Je pars en mission entre les CDD. » Rentrée récemment de Martinique, où elle a assuré la dernière mission Zyka, elle raconte : « J’avais prévu mon départ car les équipes se relayaient, c’est souvent le cas sur ce genre de mission au long cours. Sur place, je faisais mon travail habituel, le soleil et la mer en plus… » Sans commune mesure avec sa première mission en Guinée, en 2015. « On faisait du contrôle sanitaire à l’entrée du stade pour la coupe d’Afrique des nations. 15 000 à 25 000 personnes par jour, une vraie marée humaine, et nous étions derrière les portillons, pour prendre la température et désinfecter avec un gel hydroalcoolique. C’était intense. De 13 h à 23 h tous les jours sous 40°. Chaque matin, nous étions en réunion avec la ministre de la Santé guinéenne, dans un contexte tendu avec la France politiquement. Avec nos uniformes estampillés du drapeau, nous ressentions cela, et étions attentif à notre positionnement. » Mais, comme pour Romain, Chrystel et les autres, la motivation de Béatrice demeure intacte, malgré l’ambivalence de la situtation : « On est content de partir, mais s’il y a mission, c’est qu’il y a une urgence, des victimes… »
VÉRONIQUE DEVÉ CADRE DE SANTÉ AU CHI ELBEUF-LOUVIERS (76)
« Quand Véronique m’a annoncé qu’elle souhaitait entrer dans la réserve sanitaire, ça ne m’a pas étonnée. Cela lui ressemble. J’ai compris que cet engagement lui tenait à cœur, et lui donnerait une bouffée d’oxygène. Les missions de réservistes sont un moyen comme un autre de lutter contre l’épuisement professionnel. Il est de notre devoir de cadre d’être à l’écoute de cela. Ses départs se sont toujours bien passés, avec beaucoup de courtoisie. Véronique me prévenait dès qu’elle recevait une alerte et nous regardions le planning. Trois gardes à prendre par des collègues, ce n’est pas pire à gérer qu’un arrêt maladie. Pour les formations, c’est plus simple, on est prévenus à l’avance, on peut alors s’organiser.
Au début, il y a eu quelques mécontents, mais, lors d’une réunion Véronique a expliqué à toute l’équipe les objectifs et le fonctionnement de la réserve, et aujourd’hui c’est rentré dans les habitudes. Je pense que sa longue expérience est utile en mission, et que celles-ci enrichissent sa pratique. »
→ Tout professionnel de santé en exercice peut devenir réserviste : paramédicaux, médecins, pharmaciens, dentistes, sages-femmes et auxiliaires médicaux ayant atteint un certain niveau d’études.
→ La durée du contrat est de 3 ans, renouvelable. On peut rester réserviste 5 ans après la retraite.
→ Le réserviste peut être mobilisé 45 jours par an (étendu à 90 jours sur demande du ministère de la Santé).
→ La durée moyenne des missions est de 10 jours.
→ Le temps passé en mission (ou en formation) est considéré comme une période de travail effectif. La rémunération et tous les avantages légaux et conventionnels du réserviste sont maintenus.
→ Étant volontaire, le réserviste peut ne pas répondre présent à toutes les missions.
→ Avant sa première mission, le réserviste peut suivre une formation terrain, non obligatoire, elle n’en est pas moins nécessaire avant tout grand départ : simulation de mission de 5 jours, sous tente, dans des conditions de vie spartiates (pas de douche, promiscuité, réveil éventuel la nuit pour urgence, point parole en fin de journée…). Une simulation qui va permettre aux réservistes de se situer dans le choix de leurs futures missions.
→ Un droit à la formation est octroyé au réserviste. Une cinquantaine de formations sont réalisées chaque année, tous corps de métiers confondus (séminaire humanitaire, lots radio, média-training, urgences médico psychologiques, Ebola, notions spéciales de sécurité….)
Pour s’informer et s’inscrire en ligne : www.eprus.fr/