À Clamart, en région parisienne, l’hôpital militaire Percy dispose d’une unité de pointe dans la prise en charge au long cours des grands brûlés. Pendant plusieurs mois, une équipe infirmière gère les soins quotidiens avant que ne débute la phase de rééducation.
On a beau être au mois de novembre, il fait tout de même près de 30 degrés dans le service. Au centre de traitement des brûlés (CTB) de l’hôpital d’instruction des armées Percy, à Clamart, en région parisienne, la température est toujours constante car les patients qui y séjournent - généralement pendant plusieurs semaines, voire des mois - ne le supporteraient pas autrement. Les civils et les militaires sont soignés au CTB pour des brûlures qui touchent en moyenne 25 % de la surface corporelle. Privés d’une partie de l’épiderme qui protège du froid et des infections, les corps sont par conséquent extrêmement vulnérables et douloureux. Une condition qui impose une analgésie constante ou même, pour les plus sévèrement brûlés, un coma artificiel…
Tous les matins, dans leur chambre même, une équipe d’infirmières et d’infirmières anesthésistes s’affairent pendant une bonne heure dans un ballet efficace à la cadence bien réglée. « Les pansements sont effectués tous les jours sous anesthésie générale, explique Nicolas
C’est une Iade qui dirige les opérations lors de l’anesthésie générale réalisée en chambre - une des particularités du service. D’ailleurs, tous les lits sont équipés pour la réanimation. « L’équipe infirmière travaille en autonomie, mais elle peut appeler le médecin si besoin, signale Yannick, infirmier anesthésiste, cadre de santé paramédical. L’anesthésie générale en chambre est un exercice très difficile, car l’anesthésie doit être la plus fine et la plus courte possibles. Cela demande une organisation millimétrée et un rythme soutenu. Les pansements sont posés dans des conditions d’asepsie qui ne sont pas celles du bloc, mais qui demeurent néanmoins extrêmement pointues. » Outre ces soins quotidiens, une chirurgie est presque toujours nécessaire. « Dès qu’il y a une brûlure au 3e degré, il faut opérer, précise Nicolas. Il s’agit alors d’une autogreffe de peau. » Un petit bout de peau, de la taille d’un timbre poste, est alors prélevé sur le patient et envoyé en culture dans un laboratoire. Au bout d’un mois, on obtient un mètre carré d’épiderme. Les greffes sont généralement réalisées en plusieurs fois, car seule 10 % de la surface du corps peut être traitée par opération. Des interventions chirurgicales sont souvent faites également pendant la phase de rééducation sur les séquelles de brûlures.
Il est 10 heures. L’équipe infirmière se prépare pour le deuxième soin de la matinée. Dans l’une des 13 chambres du centre, elle retrouve un soldat d’une quarantaine d’années, arrivé quelques jours plus tôt après avoir été grièvement blessé en opération extérieure - 28 % de la surface de sa peau est brulée. Casaque de chirurgie imperméable, masque couvrant, deux paires de gants posées l’une sur l’autre… Avec une température ambiante toujours comprise entre 28 et 30 degrés, les conditions de travail sont souvent difficiles au sein de ce service où les IDE travaillent douze heures d’affilée. « Cela fait partie de notre quotidien, confie Yannick. Mais nous devons être très vigilants sur les conséquences de la chaleur et nous hydrater très régulièrement. »
À voir toutes ces machines indispensables pour l’anesthésie, on pourrait se croire au bloc. Les soignants sont très concentrés, chacun sur sa tâche, mais tous travaillent en parfaite cohésion. Le matériel, préparé à l’avance par les aides-soignantes, a été disposé sur deux tables distinctes : l’une pour les pansements propres et l’autre pour les sales. Pendant l’anesthésie, l’une des deux infirmières anesthésistes reste constamment auprès de la tête du patient. Elle l’endort en le rassurant d’un petit mot : « On va vous donner une petite coupe de champagne. » Puis elle vérifie les éléments de sécurité et donne le signal de départ à l’équipe, une fois que le patient s’est endormi. On s’affaire immédiatement.
Le patient est soulevé et déposé sur un drap stérile. Puis, les deux IDE enlèvent les bandages de manière méthodique en commençant par les jambes et la tête, les bras, le dos, l’abdomen et le thorax. Toujours dans cet ordre, les plaies sont ensuite nettoyées à l’aide de rouleaux de compresses imprégnées de Bétadine, puis enduites de Flammazine. Une aide-soignante reste, elle, à la porte, se tenant à disposition pour apporter le matériel nécessaire. Le rythme est soutenu, les gestes fluides, la cadence régulière. « Les séquelles des brûlures aux mains et au visage sont les plus difficiles à supporter pour les patients, notamment en termes d’image. On y apporte un soin encore plus particulier », souligne Yannick. À l’aide de petites compresses, les soignants nettoient les doigts du soldat avant de refaire les pansements. « C’est très important que le pansement soit propre et beau de l’extérieur pour les patients et leurs proches qui viennent en visite, ajoute Yannick. Il ne doit pas y avoir de tâches de Bétadine, car la famille pourrait les prendre pour du sang, et donc s’inquiéter. »
Moins d’une demi-heure après le début de l’anesthésie, le patient commence lentement à se réveiller. Il ne reste plus que le dos, moins touché. L’équipe se détend également, on glisse quelques plaisanteries affectueuses.
Les trois ou quatre flacons de Bétadine qui ont été utilisés imprègnent l’air de leur odeur pénétrante. « On commence à atterrir dès qu’on a terminé les pansements des parties douloureuses, confie Yannick. Mais quand l’anesthésie se dissipe, il y a toujours un relais analgésique pour que le patient soit toujours confortable. » Sur le mur de la chambre, un tableau représente un schéma du corps. Il est complété en fin de soin par l’une des infirmières : en vert, les zones en cours de guérison, en rouge, celles qui sont encore très abîmées. Au-delà de 30 % de surface brûlée, l’œdème se généralise et le risque d’infection doit en effet être constamment surveillé. Les cathéters sont alors envoyés en culture pour vérifier la présence de germes. Au moment des soins, les patients sont également pesés quotidiennement. En phase initiale, en raison de l’alitement, ils peuvent perdre jusqu’à 20 % de leur poids.
15 heures. Les médecins font leur tournée, et refont notamment les prescriptions de sédations et d’antibiotiques.Après ce temps médical, place à la visite des familles, mais à raison d’une personne par jour et pour une heure de visite au maximum. Les enfants, eux, ne sont pas autorisés. « Le relationnel avec les patients est très riche, car ils passent beaucoup de temps dans notre service souligne Annick, une aide-soignante. Le séjour le plus long que j’ai connu a duré 13 mois. Et finalement, les patients ont relativement peu de visites, car elles sont limitées pour éviter les infections. De plus, les familles vivent souvent en province. »
Si à Percy, quasiment tous les soignants sont engagés dans l’armée, seuls 50 % des aides-soignantes le sont. Annick fait partie des civils, mais au bout de ses vingt ans d’exercice, elle est très à l’aise au sein de cet univers militaire : « Il y a beaucoup de rigueur dans le travail, le matériel est de qualité. Et la hiérarchie militaire, très présente ici, fait qu’on respecte davantage les fonctions des uns et des autres. » Un sentiment partagé par Pauline, jeune infirmière, diplômée depuis 2012 : « C’est mon premier poste… et je ne le regrette pas ! » La jeune femme a été recrutée par l’armée lors de sa dernière année à l’Ifsi de Corbeil-Essonnes (91).
Sa formation militaire - théorique et pratique - s’est déroulée pendant quatre semaines à l’École de la gendarmerie de Rochefort (17). L’infirmière est également sergent-chef, mais dans le service, les personnels ne s’appellent pas par leur grade. Au contraire ! « Il y a un esprit de compagnonnage très fort, car ce serait impossible de réaliser seul ces pansements, relève-t-elle. Le cap de la première année n’est pas facile à passer, mais ce qu’on fait ici, on ne l’apprend pas à l’école. » En moyenne, les infirmières restent au CTB entre trois et cinq ans. Josepha est l’une des dernières arrivées. « Auparavant, je travaillais au service de cancérologie de l’hôpital d’instruction des armées du Val de Grâce, à Paris, mais j’avais envie de changer d’univers, explique-t-elle. C’était un challenge de s’adapter à cette organisation du service qui est aussi particulière. » Cette organisation, Yannick, l’un des plus anciens du service, la connaît sur le bout des doigts. À l’issue de ses études d’infirmier en 2000, il fait son service militaire et décide de s’engager dès l’année suivante, initialement pour cinq ans, et arrive directement au CTB : « Quand on arrive, on se dit que c’est une fourmilière organisée et on se demande comment on va trouver sa place. Il faut une bonne année avant d’être complètement à l’aise. Mais le dynamisme de l’équipe est un moteur qui permet à chacun d’aller plus loin. C’est aussi l’un des rares endroits où Iade et IDE travaillent en collaboration aussi étroite. » C’est aussi ce qui lui a donné envie de faire l’école d’anesthésie, à la suite de laquelle il reviendra à Percy.
L’objectif du service est également de permettre la prise en charge du patient par une infirmière libérale, dès sa sortie de l’hôpital, sans anesthésie ni analgésie. Car la prise en charge ne s’arrête pas aux soins aigus réalisés au CTB. Immobilisés pendant plusieurs semaines, brûlés aux membres, la très grande majorité des patients doivent ensuite être suivis en rééducation, car d’une part, la douleur est porteuse de séquelles, mais il faut également récupérer de la force musculaire après un long alitement. Pour les militaires, celle-ci s’effectue aussi à Percy.
C’est le cas de Damien, accidenté sur une base militaire à l’étranger en janvier 2015. Ce mécanicien, officier de l’armée de l’air et père de deux jeunes enfants, a passé six mois en soins aigus au CTB, ses brûlures couvrant 66 % de la surface corporelle. Sa prise en charge en rééducation s’est poursuivie à Percy, dans le service voisin. « Je suis arrivé en médecine physique et de réadaptation en juillet pour des exercices quotidiens de mobilisation, racontait-il au printemps lors d’une séance de rééducation des mains. Je ne bougeais presque pas, j’ai dû tout réapprendre progressivement : d’abord, m’asseoir au bord du lit, puis apprendre à nouveau à manger. Mais cela avance très bien, ma famille vient me voir de temps en temps. » Plongé dans un coma artificiel pendant cinq mois pour éviter les douleurs, il n’a pu remarcher que près d’un an après l’accident : « Quand on se réveille, on remet en place les pièces du puzzle au fur et à mesure. J’ai eu une visite de l’État-major à ce moment-là, mais je ne m’en souviens plus. Ce qui m’a sauvé, c’est le soutien et l’amour de mon épouse. » Aujourd’hui, Damien ne se souffre quasiment plus de douleurs, mais il doit encore récupérer de la mobilité, notamment au niveau des mains. Plier les phalanges lui demande encore un effort. L’exercice de mobilisation avec le kinésithérapeute dure près d’une heure. L’après-midi, il poursuivra avec des exercices de cardio et de vélo.
La rééducation est par nature interdisciplinaire : kinésithérapeutes, psychomotriciens, ergothérapeutes, psychologues, médecins et infirmières. « À ce stade, les soins infirmiers sont beaucoup moins complexes que dans la prise en charge aiguë, explique Mickaël, kinésithérapeute. Il s’agit d’appliquer les crèmes et d’aider au port des vêtements compressifs. Mais les infirmières participent complètement à l’autonomisation du patient comme tous les soignants. »
L’équipe pluridisciplinaire fait un bilan toutes les semaines. En rééducation, l’ergothérapie comprend une part très importante. « Damien vient depuis longtemps à l’atelier de menuiserie, il a déjà récupéré beaucoup d’amplitude dans ses mains qui étaient très raidies par les brûlures », souligne Aurore, ergothérapeute. Le père de famille travaille aujourd’hui sur des maquettes d’avion : la préhension de toutes ces petites pièces aide à retrouver de la dextérité. Quant au suivi psychologique, il est tout aussi essentiel. D’ailleurs, les militaires en sont souvent demandeurs. « Cela permet de dire des choses dont on n’a pas forcément envie de parler avec ses proches, note Damien. C’est important aussi pour la suite, car à l’hôpital, tout est organisé autour de nous. Il faudra apprendre à réaborder la vie normale à la maison, la vie de famille. »
Ce qui l’a aidé aussi à tenir le coup, c’est la photographie, son jardin secret. L’art-thérapie a ainsi été très naturellement intégrée dans sa prise en charge. Une exposition de ses clichés animaliers a même été montée dans le hall de l’hôpital au printemps dernier. Pendant ses heures libres, Damien a photographié l’hôpital sous différents angles pour « en donner une vision différente ». Sous la verrière du hall immense de cet hôpital dont l’accès reste ultra-sécurisé, il se ballade comme à la maison. Mais sa grande envie est de reprendre du service dès que son état de santé le permettra. Cet été, Damien a franchi une nouvelle étape dans sa guérison : il est rentré chez lui.
1 - Comme ils sont tous militaires, seul le prénom des soignants est mentionné.
Le CTB de l’hôpital d’instruction des armées de Percy occupe actuellement des locaux provisoires avant d’intégrer des bâtiments neufs au courant de l’année 2017. Ce service, créé en 1961, est devenu indépendant en 1982. Le maintien de l’activité pendant les travaux - 13 lits en service - était indispensable pour que l’équipe puisse continuer à soigner des malades et garder son savoir-faire. La majorité des patients qui y sont accueillis sont des civils, mais les militaires sont toujours prioritaires : 185 brûlés y sont hospitalisés chaque année, dont 10 à 30 % de blessés de guerre, en provenance des champs d’opération de la France. Du côté des civils, les blessures sont dues à des accidents domestiques (retour de flammes de barbecue, friteuse…), à des tentatives de suicides ou des accidents de la route et des agressions.