Choisir de siéger au sein des instances représentatives du personnel demande une forte implication. Parfois au détriment de sa propre carrière. Mais défendre les droits de ses collègues apporte heureusement son lot de satisfactions.
Les infirmières sont très peu syndiquées. Elles sont habituées à prendre soin de leurs patients, de leur famille le soir, mais d’elles, très peu. La culture syndicale est peu présente dans le milieu », observe Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). Pourtant, les syndicats ont bien un rôle à jouer dans les établissements de soins, qu’ils soient publics ou privés. Et les infirmières qui choisissent de se syndiquer et de siéger aux instances représentatives du personnel (IRP), ont, quelle que soit l’organisation syndicale, un point commun : la volonté de défendre leurs collègues.
L’engagement syndical est souvent lié au sentiment d’injustice. « J’ai toujours été révolté contre l’injustice dans ce monde », déclare Philippe Gallais, infirmier en psychiatrie à la clinique La Lironde, à Saint-Clément-de-Rivière (34), et encarté à la CGT. « J’en avais assez de voir les gens se faire rouler dans la farine dans l’établissement privé où je travaillais », relate pour sa part Anne-Marie Berthomier, infirmière et secrétaire fédérale Sud santé sociaux. La défense de certaines valeurs au travail fait également partie des motivations. « Je ne voulais pas déroger aux valeurs humaines du métier par rapport aux valeurs de rentabilité qu’on voulait nous imposer », explique Stéphanie Mallet, infirmière dans un hôpital public dans l’Orne, militante à la CGT. Souvent aussi, l’infirmière intègre un syndicat lors d’un débat social, d’un conflit dans son établissement ou d’un mouvement national. Ainsi, Philippe Peretti, Ibode au CHU de Montpellier (34), a adhéré à la CGT en 1996, alors qu’il était aide-soignant dans le privé et que les 35 heures agitaient le monde du travail. Philippe Gallais s’est syndiqué lors d’un conflit avec la direction de son établissement au sujet des salaires. Emmanuel Tinnes, infirmier en psychiatrie au CHS de Sarreguemines (57) et secrétaire général FO de l’établissement, a rejoint la force syndicale lors d’une affaire mettant en cause le personnel de l’établissement. D’autres se sont tournés vers les organisations syndicales afin de régler un problème personnel. Quel que soit le chemin, il s’agit pour tous de faire entendre sa voix et celle de ses collègues. « Il est important de se syndiquer pour défendre ses droits, ses valeurs et représenter les autres salariés. En adhérant à un syndicat, on n’est plus isolé, on a une organisation derrière soi, un réseau qui se met en place, qui permettent d’être informé », résume Aurélia Nzet, 25 ans, infirmière dans une maison de retraite du Mans (72), qui a rejoint la CGT. « Sans syndicat, on ne peut rien faire », affirme Anne-Marie Berthomier.
S’engager, certes, mais dans quel syndicat ? « Je suis à la CGT, parce que je me retrouve dans leurs valeurs », commente Aurélia Nzet. Partager les mêmes idées, voire les mêmes idéaux, est en effet un impératif. La taille et l’organisation du syndicat peuvent jouer dans le choix. « À Sud santé, l’impulsion vient de la base », commente Anne-Marie Berthomier. « J’ai adhéré à Sud santé, parce que c’est un syndicat plus petit que d’autres et que j’avais l’impression que je pourrais plus facilement m’y exprimer », relate Julie Ferrua, IDE au CHU de Toulouse (31). « Les syndicats traditionnels ne m’attiraient pas. Je voulais adhérer à un syndicat qui défende ma profession », explique François Izard, qui a rejoint la CNI en 1989 et en a été le président de 1994 à 2008. Il arrive que certains adhèrent à un syndicat et optent ensuite pour une autre organisation. L’engagement n’est pas en effet à vie ! Enfin, si tous les syndicats ne sont pas présents dans un établissement, l’agent ou le salarié peut créer une nouvelle section. C’est ce qu’a fait Philippe Peretti lorsqu’il exerçait dans une clinique privée ou Anne-Marie Berthomier lorsqu’elle a été titularisée dans un établissement public. Concrètement, si vous avez envie de vous impliquer et que vous hésitez entre deux organisations, le mieux est de vous informer sur leurs idées, leurs revendications, leurs actions, et de rencontrer leurs représentants. « Il faut trouver le syndicat qui vous correspond », conseille Anne-Marie Berthomier.
Entre se syndiquer et participer aux IRP, il y a néanmoins un pas à franchir. « On peut être adhérent, puis militant et après être dans des instances, voire avoir des mandats syndicaux », observe Nathalie Depoire. Certaines infirmières ont rapidement siégé dans une IRP, souvent au CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Là, les représentants des salariés sont, en effet, désignés par les syndicats en fonction de leur représentativité, et non élus (voir encadré ci-contre). « Le syndicat m’a demandé si je voulais siéger au CHSCT, car une collègue partait à la retraite. J’ai commencé comme suppléante, puis j’ai été titulaire », détaille Julie Ferrua. Dans le secteur public, les élus sur une liste peuvent aussi siéger au comité technique de l’établissement (CTE) et/ou aux commissions administratives paritaires (CAP), ainsi qu’au conseil de surveillance. Dans le privé, outre le CHSCT, les représentants du personnel peuvent siéger au comité d’entreprise (CE).
Cette participation est importante, car elle permet aux salariés de faire valoir leurs points de vue, mais aussi d’être informés de ce qu’il se passe dans l’établissement. « Le CHSCT est un levier pour différents sujets, car il couvre un vaste champ. Par exemple, au sein du CHSCT, nous avons travaillé sur le problème de la légionellose et du changement du réseau d’eau. Nous planchons aussi sur la sécurité, qui est importante dans un établissement psychiatrique », explique Emmanuel Tinnes. Le CTE est consulté sur le fonctionnement et le projet de l’établissement, mais aussi sur les comptes financiers. Dans le privé, le CE a des attributions en matière économique et sociale (organisation, conditions de travail, formation professionnelle, actions culturelles…). Il s’agit par conséquent d’espaces d’échanges et de dialogue social essentiels pour le personnel. « Être aux IRP permet d’appréhender les enjeux, les évolutions et les raisons de certains changements. Et nous pouvons ainsi informer les salariés et expliquer le pourquoi du comment. Nous sommes consultés et notre avis peut avoir un impact à moyen terme », juge Jacques Abhissira, infirmier, délégué du personnel et membre du CE pour la CNI à l’hôpital Saint-Joseph à Marseille (13).
Cette implication nécessite cependant du temps. Si des heures sont octroyées aux représentants du personnel dans le privé comme dans le public (20 heures pour le CHSCT dans un hôpital de 1 500 salariés et plus, voir encadré p. 66), il faut les multiplier par trois pour avoir une idée du temps réel à consacrer à cette activité. Aux heures de réunions, on doit ajouter les heures de préparation, de compte-rendu, et, pour les CHSCT, de visites dans les services. Toutes les infirmières participant aux IRP s’accordent à dire qu’elles peuvent ainsi travailler le soir, le week-end, durant leur temps de repos ou de congés… De fait, dans le public, les représentants du personnel demandent, via leur syndicat, une décharge d’activité partielle ou totale. Bon nombre des infirmières interrogées travaillent dans leur service 30 % ou 50 % de leur temps de travail total. Certaines sont à 100 % en temps syndical. C’est le cas d’Emmanuel Tinnes qui est aussi secrétaire général de FO dans son établissement.
Même dans le cadre d’une décharge d’activité partielle, la gestion du temps s’avère compliquée. Il faut planifier ses jours d’absence au sein d’un service, sachant que l’on ne va pas être remplacé. Le travail de nuit peut constituer une solution, mais pas à long terme. Julie Ferrua a ainsi travaillé de nuit dans un service de chirurgie, et a décidé de changer de service pour exercer la journée : « Au départ, je travaillais 15 jours par mois et je réservais mes autres 15 jours à mes activités syndicales. Mais c’est devenu de plus en plus difficile à gérer, notamment en raison des réunions syndicales qui peuvent se décider du jour au lendemain. » Didier Birig, secrétaire fédéral de la fédération des personnels des services publics et de santé-FO, a, lui, renoncé à travailler dans son service pour d’autres raisons. « Je travaillais en psychiatrie en poste de nuit. La journée, je me rendais aux réunions. Jusqu’au matin où j’ai eu un accident de la route qui a failli me coûter la vie. J’ai alors décidé de renoncer à faire mon métier et d’être à 100 % en temps syndical », raconte-t-il.
Quant au risque d’être déconnecté du « réel », tous ceux qui sont à temps plein dans leur syndicat, y pensent. « J’essaie de m’extirper de plus en plus de mon bureau pour aller sur le terrain. J’ai aussi une expérience qui me permet d’appréhender certaines situations. Je reçois aussi à mon bureau des agents, d’autres syndicalistes… », explique Philippe Peretti. Et d’ajouter : « Mais la question peut se poser pour quelqu’un qui est à temps plein depuis 20 ans. » Au CHU de Toulouse, Sud santé a décidé de ne pas avoir de représentants à temps plein. « Je pense qu’il faut garder un pied dans le service », estime Julie Ferrua. La conciliation avec la vie familiale n’est pas toujours simple non plus. « C’est un petit peu dur. Mais comme mon mari a été syndiqué, il me soutient », confie Anne-Marie Berthomier. « Le syndicalisme, c’est presqu’un sacerdoce », glisse Didier Birig.
Être syndiquée modifie également les relations de travail. « Au départ, les collègues venaient me voir pour me dire tout ce qui n’allait pas dans le service. J’ai dû leur expliquer que je ne pouvais pas, moi toute seule, résoudre tous les problèmes… », se souvient Julie Ferrua. « Il faut faire attention à ne pas faire du syndicalisme sur son temps de travail. Il est nécessaire de séparer les deux activités, voire de mesurer ses propos lorsqu’on est en service », prévient Stéphanie Mallet. D’autres difficultés peuvent surgir notamment lors de la préparation des plannings. « Certains collègues peuvent râler parce que vous êtes absente. Ils pensent parfois que c’est du luxe d’être syndiqué », relève Anne-Marie Berthomier. Mais globalement, les infirmières ne rencontrent pas de problèmes insurmontables pour exercer leur mandat. En revanche, côté direction, cela peut s’avérer plus épineux. Certaines infirmières estiment qu’elles sont victimes de discrimination en raison de leur activité syndicale. Pour d’autres, ce n’est pas le cas : « Je n’ai jamais vécu de harcèlement en raison de mon engagement ni dans la clinique privée, ni au CHU de Montpellier. Mais je n’ai jamais mélangé les genres et fait de prosélytisme par exemple », détaille Philippe Peretti. « Nous entretenons de bonnes relations avec la direction. Il y a un dialogue social et nous ne sommes pas non plus butés de notre côté, même s’il n’y a pas consensus », remarque Jacques Abhissira. Beaucoup soulignent que les relations dépendent aussi des personnes qui sont à la tête des établissements.
L’autre aspect à prendre en compte avant de se lancer est la carrière que l’on veut mener. Dans le public, les infirmières exerçant une activité syndicale ont droit à un avancement équivalent à la moyenne du corps. Pour autant, il paraît difficile d’obtenir une promotion. Comme de suivre une formation pour devenir cadre. « Quand on est syndiqué à temps plein, il n’y a pas de promotion. Et passer cadre et redevenir syndicaliste est compliqué. On va penser que la direction vous a acheté », tranche Didier Birig. En clair, il faut choisir. Ceci dit, l’activité syndicale n’empêche pas de changer de service. Quant à la rémunération, elle est inchangée même si certaines primes liées à l’activité peuvent être supprimées pour celles qui sont à temps plein syndical. Dans le privé, la rémunération des représentants du personnel doit évoluer de façon égale aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles, si le nombre d’heures de délégation sur l’année dépasse 30 % de la durée de travail contractuelle.
Une autre voie s’offre cependant aux syndiquées : celle de prendre des responsabilités, c’est-à-dire d’avoir des mandats, au sein de son organisation. Au niveau départemental, généralement, puis au niveau national. Ce qui implique d’y consacrer tout son temps. Et suscite des interrogations : « On n’embrasse pas une “carrière” syndicale comme cela », témoigne Didier Birig. Se pose aussi la question du « retour ». Peut-on reprendre son activité aussi facilement ? « Dans quatre ans, je retourne au bloc opératoire, affirme Anne-Marie Berthomier. J’aurais fait trois mandats. Le premier permet de se mettre au courant, le deuxième d’être bien et le troisième de passer la main. Le syndicalisme est une parenthèse pour moi. » Et de citer l’exemple d’un secrétaire général qui est retourné dans son service après neuf ans de syndicalisme. François Izard, président de la CNI pendant 14 ans, a choisi de devenir infirmier libéral : « Je suis mon propre patron. Mais il est vrai que j’ai appréhendé d’exercer de nouveau. »
Le syndicalisme et la participation aux IRP peuvent sembler ardus. Pourtant, aucune infirmière qui a choisi ce parcours, ne le regrette. « Ce ne sont ni les primes ni les salaires qui font sourire les soignants, mais bel et bien un remerciement ou le sourire d’un patient, d’une famille. C’est la satisfaction d’un travail bien fait en accord avec ses valeurs. C’est identique lorsque l’on s’engage syndicalement. Rien de tel pour redonner la pêche que le retour d’une collègue que l’on a accompagnée pour un changement de service, ou un retour à l’emploi suite à des restrictions médicales alors que quelques semaines auparavant, c’était les larmes dans nos locaux ! », commente Nathalie Depoire. Résoudre des problèmes individuels, mener à terme des dossiers sur des sujets collectifs, obtenir des résultats : telles sont les satisfactions des représentants du personnel.
« C’est enrichissant, on sort de son service, on rencontre d’autres personnes, on peut aussi partager sur nos pratiques professionnelles et voir ce qui marche dans un service », observe Stéphanie Mallet. Le syndicalisme c’est aussi la possibilité d’avoir « une vision plus globale et de comprendre le fonctionnement de l’entreprise, et ne plus être un simple salarié », conclut Philippe Gallais.
Coordination nationale infirmière : www.coordinationnationale-infirmiere.org
Fédération CGT Santé et action sociale : www.sante.cgt.fr
FO Services publics et santé : www.fosps.com
CFDT Santé sociaux : www.fed-cfdt-santesociaux.org
Fédération nationale Sud santé sociaux : www.sudsantesociaux.org
CFTC santé sociaux : www.cftc-santesociaux.fr
→ Les agents ou salariés qui siègent aux IRP ont le droit de suivre une formation spécifique afin d’exercer leur mandat, notamment au CHSCT. Ces formations peuvent être dispensées par les syndicats ou un organisme de formation, et sont prises en charge financièrement par l’employeur, qu’il soit privé ou public.
→ Les syndicats peuvent aussi proposer une formation sur le fonctionnement de leur organisation, leur rôle, etc.
→ Les représentants du personnel peuvent faire valider leur expérience dans le cadre de la validation des acquis (VAE). Des droits introduits par la loi Rebsamen de 2015. François Izard, ancien président de la CNI, y a songé : « Étant donné toutes les négociations que j’ai menées et ma participation à l’organisation du syndicat, j’aurais pu faire une VAE dans le domaine managérial et viser un diplôme de cadre. Mais j’ai préféré retrouver le terrain. »
→ Pour en savoir plus sur l’exercice du droit syndical, les heures de délégation et la rémunération des représentants du personnel : loi n° 2015-994 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen (http://bit.ly/29yBUen).
→ Dans le public, circulaire DGOS/RH3 n° 2013-275 du 9 juillet 2013 relative à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique hospitalière.