L'infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016

 

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Hélène Colau  

Succédant à plusieurs plans d’économies, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) vont engendrer de nouvelles mutualisations et transferts d’activités. Parmi les défis à relever pour les établissements, celui de la préservation des conditions de travail des soignants.

De tels événements dramatiques amènent nécessairement à s’interroger sur les difficultés d’exercice d’un métier choisi pour être au service des patients et des usagers du système de santé en faisant souvent fi de ses difficultés personnelles. […] La lutte contre les risques psychosociaux doit constituer une priorité de la politique hospitalière. » Ainsi réagissait, le 30 juin, l’Ordre national des infirmiers, après les suicides, à une semaine d’écart, d’un soignant du CHU de Toulouse (31), puis d’une infirmière du GH du Havre (76). Le premier a mis fin à ses jours dans son bureau, tandis que la seconde a laissé une lettre mettant en cause sa dernière nuit de travail. Dans les deux cas, les syndicats ont invoqué les récentes restructurations. « Depuis de longs mois, nous vous interpellons au sujet du mal-être des soignants qui s’amplifie dans un contexte de restrictions budgétaires, face à la multiplication des injonctions contradictoires, à la mobilité à outrance, à la polyvalence imposée et aux conditions de travail de plus en plus dégradées », a accusé la Coordination nationale infirmière dans une lettre ouverte à la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

Logique d’économie

En effet, depuis quelques années, les établissements – et donc leur personnel – sont soumis à toujours plus de pression : contrats de retour à l’équilibre financier, plan d’économies triennal… et la constitution des GHT, le 1er juillet dernier. Les 135 groupements ont désormais un an pour présenter un projet médical partagé finalisé. Avec, comme souvent, une logique d’économie : les GHT « assurent la rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d’activités entre établissements », précise le texte fondateur. Comment faire en sorte que les conditions de travail ne se dégradent pas davantage ? « Avec les mutualisations, on trouve dans une même unité des patients relevant de plusieurs disciplines : les équipes de soins doivent être polyvalentes, reconnaît le Dr Stanislas Johanet, responsable du projet “Promouvoir le virage ambulatoire” à l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap). Par ailleurs, si les pathologies les plus légères sont traitées en ambulatoire, les services accueillent des malades plus lourds, dans un espace de temps plus court et la charge en soins est plus importante. » L’Anap procède actuellement à des retours d’expériences d’établissements volontaires dans le but de produire un guide sur le regroupement ou la mutualisation de plusieurs disciplines médicales et/ou chirurgicales dans un même service ou unité.

Mobilité forcée

Exigence de polyvalence, manque de temps et spectre d’une mobilité forcée : voilà de quoi inquiéter le personnel infirmier. Une catégorie de travailleurs particulièrement exposée aux risques psychosociaux, d’après un récent rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees)(1) : 18 % des soignants se disent « constamment sous pression » et 75 % des infirmières interrogées affirment avoir « trop de choses à penser à la fois ».

« Il y a des situations d’urgence dans certains établissements, confirme Olivier Liaroutzos, responsable de département à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Après des drames tels que des suicides, il faut savoir remettre en cause des organisations. » Il prône toutefois le réalisme : « On ne peut pas ne rien faire ; il nous faut donc agir avec peu de moyens. On ne peut pas être en permanence dans la revendication de moyens supplémentaires. » La solution serait donc à chercher du côté de l’organisation du travail. La Fédération hospitalière de France, après une phase d’évaluation de l’impact des GHT sur le personnel, a ainsi réalisé dix fiches pratiques(2) recueillant des préconisations : mettre en place un suivi particulier pour les professionnels susceptibles d’effectuer une mobilité ; créer une bourse à l’emploi à l’échelle du GHT ainsi qu’une bourse aux remplacements afin que les agents découvrent le fonctionnement des autres établissements ; favoriser l’émergence du sentiment d’appartenance à un GHT (stage d’immersion professionnelle dans les autres structures) ; favoriser les conditions matérielles de mobilité (disponibilité des véhicules de service, accès aux selfs de l’ensemble des établissements)… Autant de « détails » qui peuvent amortir des changements vécus comme brutaux.

« Une fusion peut être l’occasion d’entamer une démarche sur la qualité de vie au travail, par exemple en réfléchissant au projet social, à l’aménagement des locaux, en organisant des formations communes, des événements sportifs, soutient Olivier Liaroutzos. Cela peut même renforcer l’attractivité des établissements. » En effet, ceux-ci ont tout intérêt à obtenir l’adhésion de leurs soignants. L’écoute de leurs envies et besoins est primordiale. « Quand une IDE fait le choix de travailler en chirurgie orthopédique, on n’a pas le droit de lui dire du jour au lendemain d’aller travailler en chirurgie viscérale, abonde Stanislas Johanet. Il faut lui demander si elle veut étendre son champ d’exercice. »

Sécurité des soins

D’autant qu’imposer de nouvelles tâches peut comporter des risques. « La vraie question est celle de la sécurité des soins et du développement de la compétence des IDE, pointe Fabienne Bousrez, cadre supérieure de santé et chargée de projet à l’Anap. Si elle doit réaliser du jour au lendemain un geste technique nouveau, ce sera un grand stress. S’il y a eu auparavant un transfert de connaissances, ce sera très différent ! » Parmi les pires exemples de restructurations re?montés à l’agence, figurent ainsi des tentatives de rassembler des spécialités pointues, qui demandent des compétences spécifiques que les équipes ne peuvent pas toutes maîtriser, ce qui induit un sentiment d’insécurité. Une question encore plus prégnante à l’heure où la charge en soins journalière augmente : « La concentration autour des cas les plus lourds induit la nécessité de réfléchir aux effectifs, assure Fabienne Bousrez. Pas forcément en termes de nombre, mais plutôt en termes de fonction. Organiser les flux de patients, par exemple, consomme du temps et crée des ruptures. Peut-être alors faut-il des personnes en charge de cette logistique, ainsi que du matériel ? Cela permettrait aux IDE de se recentrer sur leur cœur de métier. » Autre erreur également rencontrée : la suppression d’une unité d’hospitalisation conventionnelle sur deux, suivie du retrait de l’une des deux équipes. Dans ce cas, les indicateurs psychosociaux sont multipliés par trois en une semaine, car les professionnels ne peuvent pas suivre. « Il n’est pas non plus évident d’accepter l’arrivée d’une nouvelle équipe au sein d’une unité préexistante. Mieux vaut parfois envoyer les deux équipes dans un troisième lieu. »

Facteur temps

L’Anap préconise par ailleurs de réfléchir à la synchronisation des temps médicaux et non-médicaux. « Quand dans une journée, une seule visite d’équipe de praticiens est prévue, les IDE parviennent à s’organiser, insiste Fabienne Bousrez. Mais si ce sont deux ou trois équipes différentes, on court le risque que les transmissions ne soient pas effectuées correctement. » Le manque de communication est en effet l’une des principales causes d’échec. Pour preuve, l’exemple de ce service d’accueil d’un hôpital de jour entièrement reconstruit. Le nouveau bâtiment était magnifique, lumineux… mais les soignants n’avaient plus de lieux informels pour communiquer ! D’où une perturbation du collectif de travail. Il peut être intéressant de demander aux professionnels de rédiger en commun une charte de fonctionnement. « Cela permet de redonner un sens à une équipe », estime la cadre. Cependant, la mise en place de telles concertations dans le cadre des GHT dépend de la volonté de chaque établissement. Et le dialogue est parfois compliqué…

Fort heureusement, les exemples encourageants ne sont pas rares, notamment du côté de la chirurgie ambulatoire. Pour Stanislas Johanet, « les équipes soignantes y trouvent souvent leur compte, malgré la tension, car elles acquièrent de nouvelles responsabilités. Elles y prennent souvent le lead. » Tous s’accordent toutefois sur la nécessité de se laisser le temps. « Parfois, les problématiques ressortent à distance, un an après un changement d’organisation. Sur le coup, les professionnels endossent les contraintes. Mais ensuite, les difficultés ressurgissent et affectent gravement les relations de travail ainsi que la qualité de prise en charge des patients », prévient Fabienne Bousrez. Reste à espérer que les différentes réformes ne s’avèreront pas être des bombes à retardement…

1- « Portrait des professionnels de santé », Drees, février 2016 (http://bit.ly/2bKuhyt).

2- Fédération hospitalière de France (http://bit.ly/2be9fpU).