L'infirmière Magazine n° 377 du 01/09/2016

 

PSYCHIATRIE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Aurélie Vion  

Au centre psychothérapique de Nancy, des groupes de parole sont dédiés à la vie affective et sexuelle des patients. Une manière de lever le voile sur un sujet qui reste encore tabou.

Préservatif, parfum, sextoy, photos… Les uns après les autres, les objets sortent du sac. Le but : entamer une discussion autour de la vie intime, thématique qui inspire tantôt le désir, le plaisir ou le rejet. Six à huit personnes sont rassemblées autour d’une cadre de santé et d’une IDE, pour ce groupe de parole dédié à la vie affective et sexuelle. Hospitalisées au centre psychothérapique de Nancy (CPN) ou hébergées dans des appartements thérapeutiques, celles-ci se rencontrent une fois par semaine, pendant cinq séances, pour aborder ce sujet encore très tabou. « La sexualité des patients constitue pourtant une vraie question, surtout en psychiatrie où la durée des hospitalisations est longue et parfois chronique », estime Myriam Pecoul, cadre de santé. Ce que confirme sa collègue infirmière, Sylvie Cunin : « La sexualité fait partie des besoins du patient, au même titre que manger ou dormir. Cependant, beaucoup d’IDE considèrent qu’en parler ne relève pas du soin. » En effet, les réactions diffèrent suivant chaque soignant : « Je me souviens d’un collègue qui avait surpris deux patients qui dormaient dans le même lit. Il leur a dit : “Pas de ça chez nous !” », raconte Franck Lebret, IDE qui anime lui aussi ce groupe de parole, créé fin 2013.

Transmissions des valeurs

Qu’est-ce que les patients ont le droit de faire ou pas ? « En théorie, la chambre doit être considérée comme le domicile, on doit respecter leur intimité. Mais c’est souvent compliqué avec les soins que nous devons dispenser et, plus encore, quand il s’agit de chambres doubles », souligne Myriam Pecoul. Faut-il fermer les yeux face aux effusions des patients ? Pour ces soignants, ce n’est clairement pas la bonne solution, car cela reviendrait à favoriser « les rapports sans protection, ou encore développer des comportements agressifs », ajoute la cadre de santé. Le but n’est pas d’encourager les relations sexuelles, mais de transmettre aux patients chroniques souffrant de troubles psychotiques des valeurs essentielles, comme le consentement. « Nous sommes face à un public vulnérable dont la pathologie peut entraîner une altération du discernement. Nous devons donc être vigilants pour qu’il n’y ait pas d’abus de faiblesse, qu’un rapport sexuel ne se fasse pas en échange d’un paquet de cigarettes, par exemple », insiste Myriam Pecoul.

Les soignants profitent également de ces groupes de parole pour aborder certains effets secondaires des traitements, dont les problèmes d’érection ou la baisse de la libido. « Nous ne parlons pas uniquement de sexe, précise Sylvie Cunin. Nous évoquons la vie affective au sens large. Car aller vers l’autre et faire une rencontre représente souvent quelque chose de compliqué pour ces personnes. » Parmi les autres intervenants de ces groupes de parole : une chargée de prévention de la Caisse primaire d’assurance maladie qui rappelle le mode d’emploi du préservatif, et réalise un quiz sur les infections sexuellement transmissibles ; et un juriste qui discute, lui, de points plus pratiques. « Les patients veulent savoir ce qui est autorisé ou non. A-t-on le droit de faire des enfants si on est sous tutelle ? Peut-on se marier entre handicapés mentaux ? », cite Myriam Pecoul.

L’équipe de soignants réfléchit actuellement à améliorer leurs outils. Elle pense notamment avoir recours à des pictogrammes pour mieux échanger avec un public présentant des déficiences plus lourdes. « Nous pensons aussi intégrer des notions d’anatomie, car nous avons constaté qu’il y a de vraies lacunes, complète Sylvie Cunin. Certains, par exemple, ne comprennent pas comment avoir une relation sexuelle, confondent leurs parties intimes, ou se blessent en se masturbant… » Le sujet semble bien loin d’être clos.

GROUPE DE PAROLE

Sur prescription médicale

La participation à ces groupes de parole s’effectue sur prescription médicale. « Évoquer ce sujet pourrait perturber certains patients, en fonction de leur pathologie », explique Myriam Pecoul. Ainsi, les personnes jugées perverses ou celles ayant subi un traumatisme type viol ou inceste sont d’emblée écartées. « S’il y a un problème particulier, nous pouvons les renvoyer vers un psychologue, précise Sylvie Cunin, IDE. Le but de ces groupes de parole n’est pas de faire de la thérapie mais d’amener les participants à parler de leur vie affective et sexuelle. Notre but est de libérer la parole qui reste encore très taboue. »