L'infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016
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PSYCHIATRIE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

*%22&revues[]=INM&sortby=relevance">ANNE MÉDIGUE*  

Au sein du service médico-psychologique régional de la maison d’arrêt d’Amiens, une consultation infirmière d’accompagnement prend en charge les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Objectif : aider le patient à questionner sa relation à l’autre.

La prise en charge des auteurs de violences sexuelles (AVS) est toujours délicate, en raison notamment de la nature des faits et la complexité du soin en milieu carcéral. Situé dans la maison d’arrêt d’Amiens (80), dans des locaux proches des quartiers de détention, le service médico-psychologique régional (SMPR) dépend de l’hôpital Philippe Pinel. L’équipe est composée comme suit : un médecin responsable, quatre psychologues, un cadre de santé, treize infirmiers, une assistante sociale, une secrétaire médicale et un agent des services hospitaliers. S’y ajoute un surveillant pénitentiaire qui assure les déplacements des détenus, et la sécurité de l’équipe soignante et des patients. À mon arrivée en 2009, les soins étaient répartis en filières - psychiatrie générale, addictologie, AVS, etc. - avec pour chacune des soignants référents. Confrontée à mes propres représentations des AVS, j’ai décidé de me former à ces prises en charge, et je suis devenue la référente infirmière de la filière AVS du SMPR, à travers notamment une consultation d’accompagnement pour les auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS).

La relation aux victimes

La consultation d’accompagnement s’adresse à tous les détenus masculins majeurs - la maison d’arrêt ne dispose pas de quartier de détention pour les mineurs -, en mandat de dépôt ou condamnés, ayant commis des infractions à caractère sexuel, de nature délictuelle ou criminelle : agressions sexuelles sur mineurs, sur personnes vulnérables, sur adultes, agressions sexuelles intrafamiliales ou non, ou encore détention, téléchargement et diffusion d’images à caractère pédopornographique. Elle entend répondre à divers objectifs :

→ aider le patient à résoudre un problème qu’il aura identifié et exprimé, essentiellement la question de sa relation à l’autre, notamment à la/les victime/s ;

→ l’autonomiser pour qu’il puisse demander de l’aide en cas de situation à risque par exemple ;

→ faire émerger la demande de soin au sein de cette population ;

→ prévenir la crise suicidaire ;

→ permettre au patient de développer ses habiletés sociales, d’identifier et d’exprimer ses émotions.

Suite à un entretien d’entrée avec une infirmière, la consultation d’accompagnement est proposée aux AICS. Je les reçois pour une première prise de contact et d’évaluation.

En règle générale, je ne parcours jamais le dossier du patient ou sa fiche pénale avant de le rencontrer : je connais la raison de sa condamnation, mais je souhaite que ce soit lui qui parle lors de ce premier échange. Nous parlons de l’adaptation à la vie carcérale, de l’acceptation de la peine, des conditions du passage à l’acte, des traitements en cours, ainsi que des éventuels antécédents psychiatriques. Je détermine ensuite, avec lui, les objectifs de soin, la fréquence des entretiens et les actions à mettre en place. Ce processus est constamment évalué, et évolue au gré des progrès du patient. Il est parfois nécessaire de recadrer le patient quand, par exemple, il détaille les faits. Car ce qui importe, ce sont les émotions derrière. Ce repositionnement est constant, car parfois, les AICS ont du mal à saisir certaines notions, comme le viol, puisque la personne « n’a pas dit non »… Il faut alors leur faire comprendre et entendre la position de la victime, ses émotions, son incapacité à verbaliser les choses.

L’entretien de Pierre a mis en évidence des idées suicidaires liées au choc de l’incarcération, bien qu’il accepte sa condamnation. Comme il refusait de rencontrer un psychiatre, le médecin de l’unité de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa) lui a prescrit un traitement psychotrope léger. Nous avons aussi mis en place des entretiens réguliers afin de lui donner des repères et de l’accompagner dans son adaptation au nouveau milieu. En apaisant les tensions psychologiques et en proposant une éducation relative au diabète - dispensée par les IDE de l’Ucsa - sa glycémie s’est améliorée, sans pour autant arriver à se stabiliser de manière satisfaisante. À l’aide de quelques outils, tels que le génogramme(1) et le travail avec le patient sur son autobiographie(2), il a pu s’exprimer, faire des liens avec son passé, verbaliser ses émotions et dégager des éléments cliniques qui ont permis de mieux comprendre son parcours.

Un milieu contraignant

En milieu carcéral, les soins ne peuvent être imposés. Si un patient refuse un soin - ce qui est rare -, nous le sollicitons régulièrement, en lui expliquant les conséquences de son refus sur sa santé. Le travail en milieu pénitentiaire rencontre d’autres difficultés. Il est ainsi difficile de planifier des rendez-vous, en raison des contraintes propres à l’emprisonnement : des aléas liés aux mouvements des détenus (parloirs, visite de l’avocat, entretien avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation, consultation à l’Ucsa), et le statut en détention (isolement, quartier disciplinaire…). Un manque de personnel pénitentiaire peut aussi rendre difficile, voire impossible, le déplacement des détenus.

De plus, il n’est pas toujours simple de respecter le secret professionnel, tant en raison de la présence du personnel pénitentiaire dans le service - mais jamais en entretien - que du nombre de patients qui y transitent. De plus, déplacer des AICS s’avère souvent dangereux car l’étiquette est dure à porter : Pierre, par exemple, a reçu des menaces des autres détenus. Il a fallu le rassurer et le convaincre de la nécessité du suivi et des soins.

La prise en charge des AICS nécessite un cadre thérapeutique solide et stable, ainsi qu’une formation complémentaire. L’infirmière travaille sur « l’ici et maintenant », en créant une relation de confiance sécurisante pour le patient. Elle travaille également en synergie avec l’équipe pluridisciplinaire : orientation vers le psychiatre, la psychologue, les consultations du centre d’addictologie, l’assistante sociale, ou l’équipe de l’Ucsa. L’échange se fait « en direct », ou par le biais du dossier de soins. Dans certains cas, une réunion de synthèse peut être demandée par l’équipe.

Un rôle de relais

Les AICS semblent soulagés de trouver dans cette consultation un espace de parole dédié, sans jugement ni a priori. Je me positionne comme infirmière spécialisée dans la prise en charge des AVS, donc en tant que soignante et non juge. Je m’intéresse à leur parcours de vie avant d’aborder les faits qui les ont conduits en prison.

Je ne dispense aucun traitement ou soin technique, ceux-ci sont réalisés par l’équipe infirmière du SMPR. Mais au sein de la consultation d’accompagnement, la technicité relationnelle est pointue et primordiale. Le patient est incité à recevoir des soins psychologiques et/ou psychiatriques. Il peut également être orienté vers l’assistante sociale du service, ou des activités thérapeutiques de groupe à l’hôpital de jour. Dans ce cas, je me situe à l’articulation des soins au patient par les autres professionnels.

Je fais aussi le relais auprès du service pénitentiaire d’insertion et de probation, par exemple lorsqu’il faut contacter un proche pour des détails du quotidien - les soignants n’ayant pas le droit de communiquer avec la famille des détenus. Cette consultation permet donc de coordonner le parcours de soins lors de l’incarcération et de préparer un relais thérapeutique à la sortie.

*Anne Médigue a quitté le SMPR en juillet. À l’heure actuelle, aucun IDE du service ne veut reprendre la consultation. Le médecin référent a proposé la mise en place de groupes de parole dédiés aux AVS.

1 - Représentation graphique codée de l’arbre généalogique du patient et des liens entre les membres de la famille. Il permet au patient de visualiser sa place au sein de cet ensemble.

2 - En racontant son histoire, le patient travaille la verbalisation, l’expression des émotions, la relation à l’autre.

CAS DE DÉPART

Pierre, 60 ans, est condamné pour attouchements sexuels sur mineur. Bien qu’il ait déjà été condamné à un suivi socio-judiciaire pour des faits similaires onze ans plus tôt, c’est sa première incarcération. Son état de santé est préoccupant : diabète insulino-dépendant avec une glycémie irrégulière, pancréatite, surpoids et dorsalgies. L’unité de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa) l’a pris en charge, mais depuis le début de son incarcération, il reste prostré, en larmes, et est incapable de communiquer. L’équipe est inquiète et craint un passage à l’acte suicidaire. Elle sollicite une consultation d’accompagnement.

HISTORIQUE DU PROJET

→ 2009 : Intégration au SMPR de la maison d’arrêt d’Amiens.

→ 2011 : Intégration au Criavs (centre de ressources pour les intervenants auprès des AVS) de Picardie.

→ 2013 : Prise en charge spécifique des AICS à 20 % (20 % ETP infirmier accordé pour la prise en charge infirmière des AICS).

→ 2014-2015 : Formation à la consultation infirmière.

→ 2015 : Formalisation de la consultation d’accompagnement infirmier des AICS.

DÉFINITION

Qui sont les AICS ?

→ « Auteurs de violences sexuelles » est le terme le plus souvent retenu, mais on parle aussi d’auteurs d’infractions à caractère sexuel, ou d’auteurs d’agressions sexuelles… Dans le cas des AICS, on parlera plutôt de trouble de la personnalité que de trouble psychiatrique, avec des éléments communs : déficit narcissique, troubles des habiletés sociales, troubles de l’attachement, parcours émaillé de ruptures, traumatismes à divers degrés… Selon le rapport parlementaire Étienne Blanc présenté en février 2012, les AICS représentaient, en 2011, 13,9 % de la population carcérale, et parmi eux, 1,6 % de femmes(1).

→ Les AICS sont issus de toutes les classes sociales, et de tous âges. Ce sont aussi des enfants ou des ados ; leur prise en charge passe par une approche sexologique et éducative.

→ Plusieurs structures de soin peuvent prendre en charge les AICS : SMPR, CMP, les soins privés, le milieu associatif, ou les structures spécialisées.

→ Les professionnels peuvent se renseigner ou se former auprès des Criavs (centre de ressource pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles) et de l’Artass (Association pour la recherche et le traitement des auteurs d’agressions sexuelles).

1 - Selon la direction de l’administration pénitentiaire.