L'infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016

 

ATTENTAT DE NICE

ACTUALITÉS

FOCUS

Sandrine Lana  

Le 14 juillet, l’attentat perpétré sur la Promenade des Anglais a fait 86 morts et 434 blessés. Et des milliers de victimes sur le plan psychologique.

Le 5 août, trois semaines après l’attentat de Nice, Virginie Buissié est au téléphone dans une salle de réunion de l’hôpital Pasteur 2. « Vous prenez quoi ? Xanax… Cela vous aide à dormir ? Vous êtes vivante, plus alertée après avoir vécu tout cela, mais cela? n’empêche pas de continuer à vivre. » La psychiatre et coordonatrice de la cellule d’urgence médico-psychologique(1) (CUMP) des Alpes-Maritimes assure la permanence téléphonique du poste d’urgence médico-psychologique (PUMP) mis en place dès la nuit du drame. « À un moment, nous avons reçu des centaines d’appels par jour. Les volontaires sont épuisés… » Des appels qui étaient parfois de vraies consultations psychologiques.

Le soir de l’attentat, Virginie Buissié était déjà sur le pont aux côtés de Martine Fiorucci, infirmière volontaire de la CUMP. Autour d’elles, lumières éteintes, des corps sans vie et de petits attroupements, principalement autour des plus jeunes victimes. « J’avais déjà participé à des CUMP avant, mais cet événement sort de l’ordinaire. On est restés auprès des familles, parfois en silence, pour les soutenir dans la souffrance, une main dans le dos. C’est la première fois que je voyais des gens sidérés : le visage figé, un homme et son père nous annoncent avoir perdu le reste de leur famille. Sans émotion. Perdus ? Ils étaient en fait décédés. J’ai posé une main sur son bras, pour le faire sortir de cet état ahuri. C’était une scène surréaliste. »

Reviviscence

Aujourd’hui, le syndrome post-traumatique guette les victimes(2), rendant indispensable leur suivi psychologique : sentiment d’insécurité constant, culpabilité d’être vivant, pleurs, évitement du lieu de l’attentat, hypervigilance, cauchemars, agoraphobie, reviviscence de la scène (flash-backs permanents)… Vers midi, trois femmes arrivent à l’amphithéâtre du Galet, au pied de l’hôpital Pasteur. L’une d’entre elles ne peut se résoudre à franchir le seuil, les larmes lui montent aux yeux. « Il faut que tu y ailles. C’est important, même si c’est dur », lui murmurent ses deux sœurs. Kévin Champroux, infirmier en psychiatrie volontaire, les accueille au sein de l’un des sept PUMP ouverts depuis l’attentat. « Vous voulez être reçues ensemble ou préférez-vous me parler seule, madame ? » Il les guide à l’intérieur de l’amphithéâtre, aujourd’hui désert. Ils parleront dix minutes de ce qu’elles ont vu et ressenti ce soir de fête nationale. « Nous avons été formés pour participer à la CUMP. Aujourd’hui, j’accueille et j’évalue les besoins des personnes. Je les informe et les oriente vers un psychologue si nécessaire », indique le jeune homme, venu en renfort de Toulon.

Les CUMP sont gérées par le ministère de la Santé en collaboration avec l’Agence régionale de santé. Déjà mises en place lors du crash de l’avion de la Germanwings en mars 2015 et lors d’inondations dans la région, cette cellule de crise a été primordiale dans l’accueil des victimes et de leurs familles.

Déni

Philippe Fonfrede, psychiatre à l’hôpital Sainte-Musse de Toulon et volontaire de la CUMP, a assisté aux premiers instants post-attentat. « C’était le bazar… L’amphithéâtre du Galet était noir de monde. Nous avons essayé d’organiser des petits coins d’intimité ça et là pour laisser s’exprimer les victimes. » Des centaines de volontaires sont venus en renfort : psychiatres, IDE en psychiatrie ou autres… Ils ont assuré l’accueil, la prise en charge et l’information des milliers de victimes(3) qui se sont présentées.

Les vacances ont fait diminuer le nombre de consultations, mais Frédéric Jover, référent du CUMP des Alpes-Maritimes, s’attend à « un retour de bâton ». Surtout, il s’inquiète des séquelles que le choc laissera sur la société civile : « Je crains pour ceux qui ne sont pas venus consulter, qui sont dans le déni. Les conséquences du post-trauma sont imprévisibles et peuvent se manifester des années après : problèmes de couple, dans le travail, voire bien pire », confie le psychiatre.

1- Les CUMP ont été crées au lendemain de l’attentat de 1995 dans le RER parisien à Saint-Michel.

2- Le terme englobe les blessés, proches des personnes décédées, témoins, habitants…

3- Plus de 3 400 personnes en région PACA avaient sollicité une aide psychologique au 17 août.