L'infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016

 

PSYCHIATRIE

DOSSIER

Craignant de faire les frais des GHT, la filière psychiatrique plaide pour la reconnaissance de sa spécificité. Quelques établissements ont déjà obtenu une dérogation, mais jusqu’à quand ?

Le GHT a été pensé pour les établissements MCO(1), pas pour ceux de psychiatrie. D’ailleurs, lorsque la loi a été discutée, rien n’était prévu pour préserver leur spécificité, comme l’ont rapidement pointé les professionnels du secteur et les syndicats de psychiatres. Du coup, le gouvernement a dû insérer dans la loi un article permettant la création de communautés psychiatriques de territoire, mais le dispositif ne permet pas de déroger au GHT », regrette le Dr Noël Pommepuy, pédopsychiatre à Ville-Evrard (93). Le praticien représentait son établissement lors de la conférence de santé de territoire de la Seine-Saint-Denis qui s’est tenue à Bobigny en juin dernier, et a soutenu, à cette occasion, la demande de dérogation de l’établissement de ne pas rejoindre un GHT, comme le permet la loi. À travers l’Hexagone, une vingtaine d’établissements de la filière ont aussi initié cette démarche. De fait, les professionnels de santé mentale voient d’un très mauvais œil l’agrégation de leur établissement à un groupement arguant notamment que cette réforme risque de désorganiser fortement l’offre de soins du secteur pourtant déjà territorialisée depuis les années 60. « La prise en charge s’effectue plutôt par pathologie. Ainsi, les patients qui ont, par exemple, des épisodes dépressifs ou des troubles de la personnalité vont vers les CHU et nos établissements accueillent les patients psychotiques ou ceux atteints de pathologies lourdes. Il faut absolument conserver cette complémentarité », plaide le Dr Pommepuy. D’autre part, les établissements psychiatriques craignent de voir leur dotation budgétaire et leur personnel « captés » par les MCO.

Une inquiétude partagée par des associations de patients, comme la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy). Comme l’explique Claude Finkelstein, sa présidente : « Si on oblige les établissements psychiatriques à “se marier” avec des gros hôpitaux généraux, on risque d’être confrontés à une utilisation détournée des moyens parce qu’en psychiatrie, où on n’achète pas de PET Scan. En effet, il est difficile de tracer combien “coûte” un patient, aussi ne voit-on pas toujours très bien à quoi servent les moyens. Or, tous les hôpitaux ont une trésorerie dans le rouge et vont naturellement chercher de l’argent là où il y en a, considérant qu’ils en ont davantage besoin.  » Rappelons que le secteur psychiatrique perçoit toujours une dotation budgétaire globale tandis que les établissements MCO sont soumis au régime de la tarification à l’acte (la T2A). Idem s’agissant de la mobilité des personnels. « Je suis administratrice dans un hôpital et lorsqu’il manque des infirmières dans des services de soins, on les prend en psychiatrie avec les dérives qu’on connaît, entre autres, la contention et d’autres formes de maltraitance, car il n’y a plus assez de personnel pour prendre en charge les patients », relate la présidente.

Perte d’autonomie

De son côté, la Coordination nationale infirmière (CNI) dénonce, dans un communiqué du 26 juin dernier, le désossage de la filière des services de psychiatrie et des établissements spécialisés qui, avec la mise en place des GHT, « vont perdre leur autonomie ». « Quels moyens seront attribués pour maintenir l’existence du secteur, améliorer les prises en charge intra et extrahospitalières, et répondre aux besoins de prévention ? », interroge ainsi le collectif psychiatrie de la CNI.

« Nous sommes conscients que la démographie médicale est un réel problème. Mais nous pensons que le meilleur moyen d’attirer de jeunes médecins dans la carrière sanitaire est qu’ils puissent exercer dans un établissement où la dimension psychiatrique est revendiquée et pas diluée dans l’activité polyvalente des GHT », poursuit le Dr Pommepuy. Crainte encore pour la formation initiale et permanente des infirmières qui fait partie, avec d’autres services support, du package mutualisé au sein des groupements. « Nous sommes totalement contre, poursuit le médecin. On a déjà une perte de la qualité de formation d’une manière générale, je pense notamment à des aspects comme la relation thérapeutique en psychiatrie qui n’est plus enseignée, et qui sont un de facteurs de la survenue de la violence dans les unités de soins avec de jeunes professionnels qui n’ont pas acquis cette culture et n’ont pas non plus bénéficié de la transmission des savoirs entre générations. » À la veille du 1er juillet, une dizaine d’établissements de santé spécialisés en psychiatrie ont obtenu une dérogation d’adhésion à un GHT et quelques-uns se sont alliés autour de GHT psychiatriques. Mais, pour l’heure, personne ne sait si ces dérogations sont provisoires ou définitives. « En somme, conclut le Dr Pommepuy, il ne faut pas s’endormir, car à terme, on ne sait pas à quelle sauce on va être mangés. »

1 - Médecine, chirurgie, obstétrique.