L'infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016

 

GHT

DOSSIER

FRANÇOISE VLAEMŸNCK  

Si les initiateurs des groupements hospitaliers de territoire (GHT) en attendent le meilleur, pour l’heure, ceux-ci posent davantage de questions qu’ils n’apportent de réponse à un système de santé bien mal en point.

Tout neufs, les GHT font déjà beaucoup parler d’eux. « En 21 ans de carrière, j’ai connu presque autant de réformes hospitalières. Alors celle des GHT, à laquelle je ne comprends d’ailleurs pas grand chose, s’ajoute à la liste, plaisante Étienne(1), infirmier dans les Bouches-du-Rhône. Plus sérieusement, chaque nouvelle loi nous est vendue comme une promesse de mieux pour les soignants et les patients, comme pour notre système de santé. Mais, au final, ce que je vois au quotidien, c’est une dégradation des conditions de travail et une détérioration dans la prise en charge ; sans parler de celles et ceux qui n’accèdent pas ou difficilement à des consultations ou à des soins. Alors pourquoi cette réforme serait-elle plus efficace que les autres ? Bref, j’attends déjà la prochaine… »

De son côté, Odile, cadre de santé en banlieue parisienne, se désespère. « C’est absolument incroyable. À chaque fois, le diagnostic est plutôt bon, mais le traitement totalement à côté de la plaque. Et je crois que les GHT ne dérogeront pas à cette règle. Ainsi, on nous avait assuré que la T2A était la solution idéale et on s’aperçoit que le résultat est absolument catastrophique ! D’ailleurs, si on soignait les patients comme les gouvernements soignent la santé depuis plus de vingt ans, on nous interdirait d’exercer ! » Et la cadre de poursuivre : « Au mieux, les GHT permettront de résoudre un peu le problème de la démographie médicale et faciliteront peut-être certains parcours patient ; au pire, on se perdra un peu plus dans ce qui m’apparaît déjà comme une usine à gaz imaginée par des gestionnaires, à des années-lumière des réalités du terrain et des difficultés que nous vivons, nous, les soignants et particulièrement les infirmières et les aides-soignantes dans nos services. »

Plus tempérée, Véronique, qui travaille dans un Ehpad de l’Aisne, estime qu’« il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain », même si, comme Odile, elle regrette que la réforme - qu’elle dit ne connaître que dans les « très très grandes lignes » -, « vienne du haut et provoque des tas d’incertitudes en bas, notamment en termes d’organisation du travail au sein des services ». Et ce, même si elle admet que les GHT ne sont absolument pas un sujet de conversation. « Ce type de réforme, ce n’est jamais tout blanc ou tout noir. Elle peut donc améliorer certains aspects de notre système de santé. Il ne faut pas être immobiliste par principe. En revanche, à un moment où on doit prendre en charge de plus en plus de personnes âgées dépendantes et de malades chroniques, il me semble que le médico-social reste le parent pauvre des GHT au seul profit du médical. Et ça, c’est vraiment peu cohérent. Et puis, quel sera notre rôle demain ? Rien n’est très clair quand même », s’interroge Véronique.

Mutualiser, économiser

Comme chaque année, le 1er juillet apporte son lot de réformes. 2016 n’échappe pas à la règle. Côté santé, on note l’extension du tiers payant chez le médecin ou l’accès à la contraception facilité… Mais la plus importante est peut-être celle qui touche les quelque 850 établissements de santé du secteur public qui se devaient, sous l’égide des agences régionales de santé et des délégations régionales de la Fédération hospitalière de France, de rejoindre obligatoirement au plus tard à cette date, un groupement hospitalier de territoire, sauf dérogation (lire encadré ci-contre).

Créés dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, entrée en vigueur le 26 janvier dernier, les GHT, qui s’inscrivent dans la stratégie nationale de santé définie en 2013 par le gouvernement, ont pris corps via un décret publié le 29 avril suivant. Ils remplacent de facto les CHT (communautés hospitalières de territoire) issues, elles, de la loi Bachelot de 2009 et dont la constitution était en revanche facultative - seules 45 avaient été créées depuis. Principaux objectifs de ces futurs mastodontes de la santé : mutualiser et économiser à grande échelle, mais également, lutter contre une démographie médicale en berne et les déserts qui vont avec, grâce à la mise sur pied d’un projet médical partagé portant sur toutes les activités. Ils permettront de mettre en place une gradation des soins hospitaliers et de développer des stratégies médicales et soignantes de territoire, à travers notamment des établissements de proximité, de recours et de référence. Ainsi, 135 GHT, chacun rattaché à un établissement support (voir encadré ci-dessus), ont vu le jour cet été. Les plus petits couvriront des bassins de vie de 300 000 habitants ; les plus gros, deux millions voire plus. Dans un contexte économique plus que tendu pour la plupart des hôpitaux du public, les GHT sont pour les uns « le bras armé » et pour les autres, « un cheval de Troie » d’un plan d’économie de masse engagé par le gouvernement.

Renforcer le service public

Une réalité qui s’est déjà vérifiée depuis l’annonce par la ministre de la Santé au printemps dernier et qui doit se traduire, d’ici à 2017, par 3 milliards d’économie, la suppression de 22 000 postes et la disparition de près de 16 000 lits, alors que les hôpitaux publics cumulent une dette qui flirte avec les 30 milliards d’euros. Pour Marisol Touraine, qui a porté la loi de santé, les GHT sont « une innovation majeure qui permettra le renforcement du service public hospitalier. Elle traduit la volonté de donner à tous les Français le même accès aux soins délivrés par l’hôpital, partout sur notre territoire ». De leurs côtés, Jacqueline Hubert, directrice générale du CHU de Grenoble, et Frédéric Martineau, président sortant de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement (CME) des centres hospitaliers, qui ont conduit une mission sur les GHT et rédigé le rapport intermédiaire en mai 2015(2), à la demande de la ministre, estiment que « la coopération entre établissements publics de santé doit leur permettre de soigner mieux et à moindre coût […] ». Et de poursuivre : « Il nous paraît incontournable d’outiller nos hôpitaux de dispositifs permettant de passer d’une stratégie concurrentielle à une véritable stratégie de groupe. Il en va de la pérennité de notre système d’hospitalisation publique. »

Une (r) évolution qui ne va pas sans heurts, d’autant que nombre de soignants et patients estiment être peu au fait des tenants et aboutissants de la réforme. Par ailleurs, craignant une perte d’identité, le secteur psychiatrique grince des dents à l’idée d’intégrer des structures polyvalentes. Afin d’accompagner cette réforme d’ampleur, le ministère de la Santé a débloqué 10 millions d’euros sur cinq ans et mis en place un comité de suivi. De son côté, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) s’est dotée d’une chefferie de projet, notamment pour coordonner les acteurs institutionnels chargés d’aider les établissements dans la mise en mouvement des groupements et d’évaluer leur performance au regard des objectifs fixés (lire interview p. 23).

Attendre et voir…

Qu’est-ce qui va changer pour les soignants avec la mise en place des GHT ? Dans un premier temps, pas grand-chose d’après le Dr Thierry Gombeaud, à la fois praticien hospitalier, médecin de ville et médecin dans un centre municipal de santé : « Pour l’instant, les GHT, drivés par leur établissement support, ne vont traiter que de questions administratives et logistiques. » Pour Jérémie Sécher, président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), « il est difficile de répondre à cette question aujourd’hui, mais il est assez logique d’imaginer que la mise en œuvre des GHT va affecter une partie des organisations soignantes, ne serait-ce qu’au travers des évolutions d’activités qui sont prévues dans le projet médical partagé et le projet de soins partagé ». Et d’ajouter : « Le problème, c’est qu’au départ, le GHT devait être délimité en fonction du projet médical partagé ; or, aujourd’hui, on voit que les GHT sont constitués avant même que les projets médicaux et de soins soient finalisés… »

Directrice des soins du centre hospitalier de Cadillac (33), et présidente de la commission des soins, Colette Scerri ne sait pas trop ce qui va se passer dans les prochains mois. Membre d’une CHT, son établissement a rejoint un GHT. « Pour nous, c’est un changement d’appellation. Le projet médical de la CHT sera la base du futur projet médico-soignant du GHT. Mais pour l’instant, il est un peu tôt pour savoir quels vont être les impacts, notamment en termes de formation pour le personnel infirmier. Nous allons travailler sur les pratiques avancées puisque l’on va pouvoir bâtir des formations à plusieurs établissements. Ça pourrait être intéressant pour des infirmières qui exercent en première ligne en centre médico-psychologique ou en addictologie, dans la mesure où les infirmières de pratiques avancées peuvent être une réponse à la démographie médicale et alors même que les protocoles de coopération sont très lourds à monter », explique la directrice. Pour le Gic-Repasi, qui représente les infirmières de pratiques avancées (IPA), « il ne faut pas s’emballer et vendre du rêve, car si le contour des GHT est désormais défini, rien n’existe encore pour les IPA, puisque le décret qui doit leur donner corps n’est toujours pas paru. Certes, les GHT vont organiser des parcours par filières de soins, et si cela réclame de la coordination par une IPA, il pourrait peut-être y avoir des opportunités. Mais nous ne sommes pas assez avancés pour l’affirmer. Aujourd’hui, le contour qui se dessine autour des IPA est davantage celui d’une praticienne que d’une clinicienne spécialisée, cela ne va donc pas trop coller avec de la coordination… » Du côté des blocs, on s’attend à des restructurations, mais « il faudra attendre pour que cela se précise. On peut imaginer que les astreintes médicales vont être repensées entre des établissements qui possèdent de gros plateaux techniques et d’autres plus modestes. De la même façon, le virage ambulatoire contenu dans la réforme pourra entraîner des blocs à se spécialiser dans cette prise en charge, mais il est difficile de tout mesurer aujourd’hui », estime Brigitte Ludwig, présidente de Union nationale des associations d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (Unaibode). Bref, comme souvent, les ré?formes de cette nature posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. Les GHT n’échapperont pas à la règle…

1 - Les soignants interrogés ont souhaité garder l’anonymat.

2 - social-sante.gouv.fr

LOI DE SANTÉ

Les GHT mis à flot

Au 1er juillet, 135 groupements hospitaliers de territoire ont été créés regroupant en leur sein quelque 850 établissements de santé et psychiatriques - certains étant uniquement dédiés à la psychiatrie et à la santé mentale. Quelques établissements ont cependant obtenu une dérogationà l’obligation d’adhésion à un GHT, quand d’autres bénéficient d’un délai supplémentaire pour décider s’ils rejoindront ou non un GHT. Rappelons que les établissements qui ne respecteraient pas l’obligation d’adhésion seront privés de la dotation couvrant leurs missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (Migac). Avec de 2 à 20 établissements par groupement, les GHT se sont majoritairement constitués dans le périmètre d’un même département, tandis que quelques-uns se sont constitués en inter-région. Chaque GHT a désormais jusqu’au 1er juillet 2017 pour présenter un projet médical partagé et un projet de soins partagé à son ARS. Un dispositif d’appui vient d’être lancé par la Fédération hospitalière de France (FHF) pour accompagner l’élaboration des projets médicaux. Pour l’heure, rien ne semble prévu pour les paramédicaux…

TOUT SAVOIR SUR LES GROUPEMENTS HOSPITALIERS DE TERRITOIRE

Établissement support

L’établissement support (ES) du GHT est désigné par les conseils de surveillance des établissements membres du groupement. Il doit assurer :

- la stratégie, l’optimisation et la gestion commune du système d’information hospitalier, avec en particulier la mise en place d’un dossier patient qui pourra être partagé au sein du GHT ;

- la gestion d’un département de l’information médicale de territoire ;

- la fonction achat ;

- la coordination des instituts et écoles de formation paramédicales et des places de formation continue et de développement personnel continu des employés.

Si l’ES est un CHRU, il coordonnera aussi, pour tous les GHT de la région, les missions d’enseignement de formation initiale des professionnels médicaux, de gestion de la démographie médicale et celle de l’offre de référence et de recours.

→ Projet médical partagé et projet de soins partagé

Élaboré par chaque GHT, le projet médical partagé (PMP) est « le cœur battant » du groupement, car il en fixe la stratégie médicale. Il comprend notamment des objectifs médicaux, d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et l’organisation par filière d’une offre de soins graduée : prise en charge par un établissement de proximité, de référence et de recours. Le PMP va donc définir toutes les filières interhospitalières de prise en charge des patients. Le projet de soins partagé (PSP) se construit avec le PMP pour « coller » aux filières de soins mises en place dans les établissements. Pour les équipes paramédicales, il pourra s’agir de créer des protocoles de coopération ou souscrire à ceux déjà existants, ou de mettre en place de nouveaux protocoles de soin et de prise en charge pour répondre au développement de l’ambulatoire.

→ Membre, associé ou partenaire au GHT

Il existe trois niveaux de participation à un GHT pour les établissements.

• Le premier regroupe les membres (ou parties) qui doivent obligatoirement y adhérer : ce sont les établissements publics de santé, y compris, et sauf dérogation, les établissements psychiatriques. Les établissements publics médico-sociaux ont aussila possibilité de devenir membre d’un groupement.

• Le second niveau concerne les établissements dits « associés ». Pour certains, telle l’HAD, cette association est obligatoire ; pour d’autres, elle est possible, comme les établissements psychiatriques à condition qu’ils soient membres d’une communauté psychiatrique de territoire et d’un autre GHT.

• Dernière catégorie : les établissements privés qui peuvent devenir partenaires à condition que leur PMP s’articule avec le GHT qu’ils veulent rejoindre.

TÉMOIGNAGE

« On craint une dégradation des conditions d’apprentissage »

LISA CANN

PRÉSIDENTE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ÉTUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS (FNESI)

Les GHT ont pour mission de coordonner la formation initiale paramédicale. Cette disposition vous semble-t-elle satisfaisante ?

Pas du tout. La Fnesi s’y est d’ailleurs opposée, mais c’est fait. Dont acte. Cependant, le décret ne dit quasiment rien sur les modalités de mise en œuvre, ni ne précise ce que recouvre la mission de coordination ! Bref, pour l’instant, nous n’avons aucune information et sommes dans l’expectative. D’ailleurs, les établissements sont dans le même cas que nous. Par ailleurs, je pense que les GHT vont avoir beaucoup de choses à faire avant de s’occuper de la formation…

Selon vous, qu’aurait-il fallu imaginer alors ?

D’une part, il aurait sans doute été plus logique que les GHT aient un rôle dans la gestion de potentiel des stages avec une approche plus cohérente des places et les lieux de stage, ce qui éviterait ainsi les guerres entre les Ifsi. Et, d’autre part, qu’on développe une réflexion sur l’implantation des Ifsi, notamment pour ceux situés dans des zones où les stages sont rares. Cette situation est problématique pour les étudiants qui ont des difficultés à trouver des stages intéressants, surtout quand il y en a peu, et qu’ils doivent parfois parcourir 100 km par jour pour rejoindre un lieu de stage.

Craignez-vous la fermeture de certains Ifsi avec l’avènement des GHT ?

Non, puisque ce sont les régions qui financent la formation initiale, et par conséquent décident de l’ouverture ou de la fermeture des instituts. En revanche, avec la mise en place des GHT, on craint davantage une mutualisation à outrance qui conduirait à une dégradation des conditions d’apprentissage et de l’offre pédagogique. Concrètement, ça peut se traduire par la suppression de postes de formateurs via la mutualisation de postes entre les instituts, mais aussi le recours excessif au numérique sans reprise des cours avec des enseignants.