L'infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016

 

ROYAUME-UNI

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Aveline Marques  

Le vote en faveur du Brexit risque d’ébranler le système de santé britannique. Les procédures administratives pourraient bien pousser les 110 000 soignants originaires d’un pays membre de l’Union européenne à quitter le pays.

Votre travail auprès des patients est remarquable, votre rôle au sein du NHS (National Health Service, le service public de santé, NDLR) est déterminant et notre pays vous accorde la plus grande estime. » À l’instar de Jeremy Hunt, secrétaire d’État à la Santé, les responsables sanitaires du Royaume-Uni se sont succédé, fin juin, pour rassurer les professionnels de santé originaires de l’Union européenne (UE). Car, depuis le vote en faveur du Brexit, ces derniers n’ont plus vraiment l’impression d’être les bienvenus outre-Manche. Certains auraient même été la cible d’agressions verbales racistes. Au-delà du climat de tension généré par le référendum, les quelque 110 000 professionnels de santé européens exerçant au Royaume-Uni s’interrogent sur leur avenir dans un pays qui compte sortir de l’UE. Pourtant, les éta?blissements pourront difficilement se passer de cette main d’œuvre qualifiée : 10 % des médecins et 4,5 % des infirmières et sage-femmes sont originaires de l’Union européenne, notamment d’Espagne, du Portugal, d’Italie et d’Irlande.

I need somebody, help

Depuis la fin des années 1990, le recrutement d’infirmières à l’international supplée la hausse de la demande de soins, mais surtout le manque de diplômées nationales. En 2001-2002, les Australiennes, Indiennes, Philippines, Sud-africaines et les Européennes repré?sentaient ainsi plus de 50 % des nouvelles inscrites au Nurse and Midwifery Council (NMC), l’ordre des infirmières et sages-femmes. Le gouvernement tente aujourd’hui d’inverser la tendance en augmentant les quotas : quelque 50 000 étudiantes infirmières sont en cours de formation, un chiffre « record », souligne Jeremy Hunt. Mais il faudra patienter pour les voir intégrer le marché du travail.

En attendant, les établissements font à nouveau face à une pénurie d’infirmières, dans un contexte de vigilance accrue sur les effectifs depuis le scandale sanitaire de l’hôpital Stafford(1). Une situation qui ne risque pas de s’améliorer : « Une infirmière sur trois partira à la retraite dans les dix prochai?nes années », relève l’Institute for Employement Studies (IES) dans un rapport rendu en juillet au gouvernement. Soulignant l’importance de planifier les besoins de formation sur le long terme et de lutter contre le turn-over, ce dernier ne peut que constater que « le Royaume-Uni est à l’heure actuelle fortement dépendant des infirmières étrangères ». Arrivant à la même conclusion, le Migration Advisory Committee a recommandé le maintien de la profession sur la liste des emplois en tension, facilitant l’obtention des visas pour les infirmières étrangères et les exonérant des minima de revenus désormais imposés aux immigrés.

Wait and see

Reste que la lourdeur des procédures de recrutement des soignantes originaires d’un pays hors UE – six mois en moyenne – ont amené les hôpitaux à désormais privilégier le recrutement d’infirmières européennes, note l’IES. Ces dernières n’ont pas besoin de visa pour travailler. Elles doivent s’inscrire à l’Ordre, qui vérifie leur diplôme et leur niveau d’anglais. En supplément, les infirmières hors UE doivent passer deux examens de compétences… et s’acquitter de la somme de 1 415 £, soit 1 688 €(2). Dans deux ans, quand le pays aura quitté l’UE, les infirmières européennes devront-elles en passer par là pour exercer au Royaume-Uni ? Outre-Manche, le mot d’ordre est « wait and see ». « À ce stade, il est trop tôt pour spéculer et personne ne semble savoir avec certitude ce qui va se passer », nous répond le Royal College of Nursing, principal syndicat de la profession. « De nombreuses infirmières des pays membres de l’UE s’inquiètent des conséquences du vote, mais on doit leur assurer qu’aucun changement ne se produira avant longtemps », a déclaré dans un communiqué la présidente du syndicat, Janeth Davies, insistant sur la nécessité de prendre en compte le caractère « vital » de cette main d’œuvre. Pas de quoi rassurer Sara Sanchez, étudiante infirmière espagnole qui vit au Royaume-Uni depuis 16 ans, interrogée par le Nursing Times : « J’attends de voir ce qui va se passer avec l’Écosse(3). Je pourrais déménager là-bas si un accord est signé avec l’UE. Autrement, j’envisage de quitter le pays », témoigne-t-elle.

1- L’Infirmière magazine n° 319, 15 mars 2013.

2- 120 livres (environ 143 euros) pour les Européennes.

3- L’Écosse a voté contre le Brexit.