L'infirmière Magazine n° 374 du 01/09/2016

 

FORMATION

COMMUNICATION

P. W.-T.  

Le travail relationnel représente un axe central de la pratique infirmière. Pour autant, adapter son comportement et trouver les mots justes n’est pas toujours si simple pour les IDE et nécessite des connaissances spécifiques, pas toujours enseignées en Ifsi.

1. LES CHAMPS DE LA RELATION IDE-PATIENT

La rencontre de l’infirmière avec le patient s’effectue à plusieurs niveaux et dans plusieurs circonstances, qu’il est intéressant de distinguer dans le but de travailler le développement d’une communication professionnelle adaptée pour chacune d’entre elles, et en fonction de différentes situations cliniques. Schématiquement, il est possible de distinguer :

– la relation de politesse, toujours présente ;

– la relation de soin, très fréquente – l’acte technique constituant souvent le motif principal de la rencontre du soigné avec l’infirmier ;

– la relation d’aide, plus occasionnelle, car mise en œuvre dans des circonstances déterminées et spécifiques ;

– la relation éducative, qui peut avoir lieu dans des circonstances formelles (programme d’éducation thérapeutique, consultation) ou non (au cours d’un soin ou d’une préparation à une sortie, par exemple). Au-delà de ces repères généraux, il est important de rappeler que chaque moment de relation soignant/ soigné représente un temps unique, même lorsque les protagonistes se connaissent déjà ou se rencontrent de façon régulière. Du point de vue des infirmières, le champ de la relation soignant/soigné est une source fréquente d’insatisfaction. Les arguments sont nombreux, même si le plus spontanément évoqué est le manque de temps.

En formation initiale, trop souvent encore, les apprentissages se font sur la base de données relatives à la communication, et la relation soignant/soigné intègre que peu ou pas les apports les plus récents des neurosciences et de la psychologie sociale dans ce domaine. La prise de conscience du désir de développer la professionnalisation de la relation de soin est souvent le fait de professionnels confirmés, confrontés à des situations pour lesquelles ils sont en difficulté ou considèrent qu’ils doivent améliorer leur savoir-faire relationnel.

→ En pratique : Ainsi, il est encore enseigné aux étudiants en Ifsi l’obligation de dire au patient « Je vous pique » lors de la réalisation d’une injection ou d’une ponction veineuse. Il a pourtant été démontré de différentes façons que ces mots sont pourvoyeurs de douleurs et d’anxiété en raison de l’activation immédiate de la zone cérébrale qu’ils provoquent. Pour autant, il est nécessaire d’informer le patient de ce qui va lui être fait, de tenir compte de son souhait de savoir ou non le moment où il va être piqué.

Cette connaissance fine des réactions possibles et de leurs conséquences amène alors le soignant à adapter son comportement en fonction des situations, en se basant à la fois sur des connaissances solides et sur le développement d’une capacité d’adaptation de ses modalités de communication en fonction du contexte.

Il est donc souhaitable et nécessaire pour le soignant d’apprendre à adapter son comportement et sa communication en fonction des situations de soins qu’il assure et des attentes et comportements des personnes soignées.

La relation de politesse

La relation de politesse est toujours présente, de la première rencontre du soignant avec le patient à la rencontre pluriquotidienne. Elle est celle qui met en lien le patient et le soignant en premier lieu. Outre les habituels repères sociétaux, c’est au moment de ce contact que s’instaurent les premières représentations dans les cerveaux respectifs des deux protagonistes. Et en particulier pour le soigné via les perceptions du langage non verbal transmis par le soignant. Rappelons, en effet, que le cerveau humain perçoit les signaux émis par la posture d’un interlocuteur (le langage non verbal et paraverbal) quelques millisecondes avant de décoder son langage verbal(1). Du côté du soignant, ce moment permet de favoriser la mise en place des conditions d’une relation de confiance, de porter son attention sur les signaux non-verbaux et verbaux émis par le patient.

Concrètement, dans cette étape, il est utile pour le soignant de « soigner » sa relation de politesse et de se poser des questions sur son état du moment, sa disponibilité d’esprit avant d’entrer dans une chambre ou de sonner à la porte d’un patient, sur le ton de la voix qu’il va adopter, le placement de son corps lors de ce moment, et en fonction de la position du patient lors de cette rencontre. En effet, il est très différent de saluer un patient qui vient ouvrir la porte à l’infirmière libérale que de dire bonjour à un patient polyhandicapé encore couché dans son lit et qui est en position de dépendance totale. Il est par exemple intéressant de se poser la question de la poignée de main : correspond-elle aux codes sociaux du patient ? Elle est le premier contact physique avec le patient, lui permet-elle de se sentir sujet ?

→ En pratique : Catherine est infirmière, elle est diplômée depuis 18 ans, aime son métier et le contact avec les personnes soignées. Nul doute sur sa capacité à se remettre en question, tant ce qu’elle souhaite est de répondre de la meilleure façon possible aux personnes qu’elle soigne. Après quelques années d’exercice, elle souhaite améliorer sa pratique, en particulier dans le domaine du rôle propre et de la prévention de la douleur. Depuis plusieurs années, elle travaille auprès de personnes atteintes de pathologies neurologiques dégénératives entraînant un handicap important les rendant totalement dépendantes. Catherine pense que le toucher et le massage pourraient leur faire du bien (lire « toucher et relation » p. 51). Ces personnes vivent dans une structure médico-sociale où elles bénéficient d’un espace de vie personnel. Malgré leur grande dépendance pour les actes de la vie quotidienne, elles sont chez elles quand les soignants les rencontrent. Lors d’une formation sur le toucher dans le soin, Catherine prend conscience que le fait de s’approcher de ces personnes pour leur serrer la main au moment de la première rencontre du matin a progressivement disparu de ses habitudes, comme de celles de ses collègues. La relation de politesse qui est la règle dans l’institution est le plus souvent centrée sur la communication verbale et de ce fait d’emblée plus distante. Réintégrer ce geste dans sa posture lui paraît alors un préalable à l’intégration d’autres moments de contacts physiques. Cette prise de conscience amène alors des modifications de son déplacement dans l’espace, concernant l’écoute de chaque résident, de la prise en considération de ses attentes concernant cette mise en relation.

La relation de soin

La relation de soin est celle qui sous-tend la réalisation d’un soin technique : prélèvement veineux, pose de sonde gastrique, pansement, etc. ; tous ces actes représentent le cœur du métier d’infirmière, qu’elles sont le plus souvent seules habilitées à réaliser.

→ En pratique : Maryse est infirmière en dialyse depuis 13 ans. Elle rencontre régulièrement des patients épuisés par la ponction de la fistule artério-veineuse, un soin renouvelé trois fois par semaine. Elle souhaite améliorer la qualité de sa relation au moment de ce geste. Mais elle a bien conscience que les attentes de chacun de ses patients sont différentes. Certains souhaitent absolument être prévenus, quand d’autres, bien au contraire, préfèrent ignorer le moment de la ponction. Comment savoir « ce qu’il faut faire », « ce qu’il faut dire » ? Surtout quand les comportements des patients évoluent au fil des prises en charge, au gré de leurs moments de découragement.

Si la relation est fondamentale au moment de leur mise en œuvre, elle est parfois mal adaptée, stéréotypée. Il est essentiel que les infirmières développent, à partir de travaux menés scientifiquement, leurs référentiels de communication et de relation, adaptés à la fois aux comportements des patients, mais aussi aux contextes spécifiques, extrêmement nombreux et variés de réalisation des soins. Ainsi, ce n’est pas la même chose d’assurer un prélèvement sanguin à un enfant de 18 mois aux urgences, qu’à un patient de 45 ans atteint d’une pathologie cardiaque, ou qu’à une personne âgée démente. Chacun d’entre eux requiert une adaptation de la communication mise en place (lire « utiliser les bons mots » p. 53).

La relation d’aide

La relation d’aide est un concept né dans les années 1950-1960 visant à identifier le travail relationnel des personnels infirmiers(2). Elle complète alors l’aspect technique de la prise en charge des personnes malades, trop souvent centrée sur les signes liés à la pathologie. La relation d’aide a comme objectif premier « d’aider le patient à vivre sa maladie et ses conséquences sur la vie personnelle, familiale, sociale et éventuellement professionnelle ». Elle se fonde sur un travail institutionnel et se base sur l’établissement d’une relation de confiance. Elle consiste à mettre en œuvre des temps de rencontre formalisés, échelonnés dans le temps, s’appuyant sur des objectifs partagés entre le patient et le soignant. Elle implique donc un savoir-faire relationnel professionnel intégrant de nombreux concepts de communication et de relation.

Empathie, sympathie, antipathie

S’il est aisé de donner une définition de l’antipathie, il l’est beaucoup moins de différencier empathie et sympathie. Pour Blouin et Bergeron(3), l’empathie est la « capacité à se mettre à la place de l’autre et de ressentir ses sentiments et ses émotions ». Pour le psychologue Rogers, « être empathique consiste à percevoir avec justesse le cadre de référence interne de son interlocuteur ainsi que les raisonnements et émotions qui en résultent… C’est-à-dire capter la souffrance ou le plaisir tels qu’ils sont vécus par l’interlocuteur, en percevoir les causes de la même façon que lui… ». Et le psychologue de rappeler : « Sans oublier que je ne suis pas cet autre. » (lire p. 48)

Dans la réalité et de façon schématique, deux champs se dessinent : une empathie spontanée où soignant et patient partagent le même point de vue, celle-ci peut être confondue avec la sympathie ; une empathie difficile – soignant et patient ne partagent pas le même point de vue, même si le soignant est en capacité de comprendre le point de vue du patient, mais parfois aussi l’antipathie n’est pas loin, ce patient pouvant alors être considéré comme non compliant quand le soignant ne souhaite que son bien.

→ En pratique : Mme H., 43 ans, est en phase avancée d’un cancer de l’ovaire. Le traitement curatif n’est plus efficace et l’objectif premier est de soulager la douleur. Mme H. connaît clairement le pronostic de sa maladie, elle sait qu’elle est en phase palliative. Pour autant, elle refuse son hospitalisation en unité spécialisée, ainsi que le traitement morphinique qui lui est proposé, non parce qu’elle en a peur, mais parce qu’elle souhaite garder la maîtrise de sa situation. Elle veut pouvoir décider elle-même du moment où elle acceptera de tels soins. L’infirmière libérale qui assure un passage quotidien se sent démunie ; elle considère qu’elle pourrait soulager Mme H. et a du mal à comprendre la position de la patiente. Elle se sent inutile et inefficace.

2. Transmissions et jugements de valeur

Chacun est amené à porter des jugements de valeur sur les individus, les comportements, les discours des personnes qu’il rencontre. Cela est normal et humain. Il est enseigné et rappelé régulièrement aux professionnels de santé la nécessité de ne pas porter de jugement de valeur. Pour autant, l’infirmière doit se faire un « jugement », une opinion qui lui permettent d’adapter son comportement. Porter un jugement de valeur, c’est juger l’autre en fonction de ses propres références, de ses propres valeurs. Or, il est souhaité (et souhaitable) que le soignant soit en mesure d’accepter l’autre, le soigné, avec ses propres références, ses représentations, tel qu’il est.

Si ces jugements de valeur sont inévitables, ils doivent faire l’objet d’une prise de conscience, d’une identification qui permet au professionnel de ne pas agir, de ne pas transmettre au groupe professionnel un avis, une opinion teintée de ces propres jugements, surtout lorsqu’ils sont négatifs. Ces jugements sont susceptibles d’entraîner un cercle vicieux relationnel et comme le met en évidence l’étude sur l’effet Pygmalion (lire p. 48), ils risquent d’avoir une influence négative sur la suite des relations entre une équipe de soin et un patient, voire son entourage.

1- Le Van Quyen M., Les pouvoirs de l’esprit, Flammarion 2015.

2- Le concept de relation d’aide est né dans le contexte de développement de la psychologie humaniste, une pensée développée par des psychologues comme Carl Rogers ou Abraham Maslow pour les plus connus, dans le domaine des soins infirmiers.

3- Blouin M., Bergeron C. et al, Dictionnaire de la réadaptation : termes techniques d’évaluation – Tome 1, Les Publications du Québec, 1995, 130 p., p. 11.

ZOOM SUR

La gestion des émotions

→ L’adage dit que « les émotions sont de bons serviteurs, mais de mauvais maitres ». Les relations soignant/soigné sont constamment empreintes d’émotions, le plus souvent négatives comme la tristesse, la colère, le dégoût ou la peur. Ces émotions, nécessaires et incontournables, concernent tant le patient que le soignant.

→ Dans le cadre de sa fonction, l’infirmière se sent souvent démunie dans ces situations qui peuvent survenir à tout moment de la relation. Le recours systématique au psychologue dès que le patient émet des signaux de détresse ne peut en aucun cas constituer une réponse satisfaisante, même si l’IDE a un rôle d’orientation fondamental.

→ Apprendre à développer une relation adaptée pour aider le patient à traverser l’émotion grâce à des modalités relationnelles immédiates, dénuées d’interprétation, favorisant l’accompagnement immédiat du patient sont des atouts majeurs de la professionnalisation de l’infirmière. Il ne s’agit plus alors de « gérer ses émotions », mais bien de développer un savoir-faire relationnel s’appuyant sur des données probantes favorisant un comportement professionnel réfléchi en fonction de la situation.