Communiquer et savoir conduire une relation dans un contexte de soin. Inscrite dans le référentiel de formation des étudiants en soins infirmiers depuis 2009, cette compétence nécessite de travailler sur sa posture, sa communication ou son adaptabilité.
Comme nous avons pu le voir, les éléments apportés par les neurosciences et la psychologie sociale présentent un intérêt direct pour déterminer la qualité de la relation de soin. Ces derniers permettent le développement d’une communication adaptée aux différents types de situations rencontrées en pratique infirmière, en tenant compte à la fois du moment de la relation, de son motif et de l’état des protagonistes, principalement celui du patient auquel le professionnel cherche en permanence à adapter son comportement.
Pendant longtemps cette partie du tryptique « savoir, savoir-faire, savoir-être » n’a été que peu développée dans la formation initiale des IDE. Il était considéré comme délicat de s’intéresser aux comportements des professionnels du soin et à la nécessité de développer un savoir-faire relationnel (plutôt qu’un savoir-être). Il était courant d’entendre les formateurs comme les encadrants déclarer que « Chacun est comme il est ! Il n’est pas question de travailler sur le comportement. Il appartient à la responsabilité individuelle de chaque soignant de développer son savoir-être, etc. ». Aussi, le développement de comportements professionnels adaptés est-il resté longtemps l’affaire de chacun. Il était fréquent de penser que toucher aux comportements professionnels revenait à modifier la personnalité profonde des individus. Pour autant, dans d’autres professions, ce savoir-faire relationnel est appris dès la formation initiale, berceau des potentialités à faire évoluer tout au long d’une carrière. Ce sont ensuite la formation et la supervision qui permettent d’affiner ce savoir-faire en fonction des situations, des rencontres, des déroulements de carrière de chaque infirmière. La compétence « communiquer et savoir conduire une relation dans un contexte de soin » est à ce titre reconnue dans le référentiel de formation de 2009 comme une compétence transversale indispensable à l’exercice professionnel.
Afin de travailler ce savoir-faire relationnel, plusieurs points sont à décrypter : la posture professionnelle, la connaissance de soi et de son mode de communication, l’identification et l’accompagnement des émotions, la capacité individuelle d’adaptabilité, l’identification des situations complexes, la création de la boîte à outils relationnels.
Selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales, la posture se définit comme « l’attitude, la position du corps, volontaire ou non, soit par ce qu’elle a d’inhabituel, ou de peu naturel, de particulier à une personne ou à un groupe, soit par la volonté de l’exprimer avec insistance ». Cette définition s’intéresse au corps dans ce qu’il traduit de la volonté de l’individu de communiquer, d’exprimer à autrui ce qui lui semble important, nécessaire. Très généraliste, elle se doit d’être adaptée au développement d’une posture professionnelle. Ainsi, la posture infirmière peut se définir comme la volonté du professionnel à communiquer, par son attitude ou son comportement, ce qu’il veut transmettre au patient, comme de la réassurance, le calme, l’attention qu’il attend. Si notre attitude corporelle transmet nos intentions, rappelons que notre comportement, nos mimiques portent l’empreinte de nos pensées et de nos émotions. Ce langage non verbal est transmis bien avant même les mots prononcés. Quand une infirmière a comme intention de « rassurer le patient », il faut alors qu’elle soit certaine de disposer des moyens de le faire, non seulement d’un point de vue technique, mais aussi selon ses propres compétences. Dire son intentionnalité que « tout va bien se passer » pour un soin qui est douloureux ou invasif implique en premier lieu que le soignant en soit convaincu et qu’il y mette tous les moyens nécessaires, tels que l’installation du patient, le matériel utilisé, la dextérité et la maîtrise du geste, le langage – le tout associé à une antalgie adaptée –, pour y parvenir.
Concernant la formation initiale de l’infirmière, la notion de posture est énoncée principalement dans l’UE 5 : « Intégration des savoirs et posture professionnelle infirmière ». Dans ce programme, cette unité d’enseignement est composée de six sous-unités :
– l’accompagnement de la personne dans la réalisation de ses soins quotidiens ;
– l’évaluation d’une situation clinique ;
– la communication et la conduite de projet ;
– les soins éducatifs et la formation des professionnels et des stagiaires ;
– la mise en œuvre des thérapeutiques et la coordination des soins ;
– l’analyse de la qualité et le traitement des données scientifiques et professionnelles.
Nous pouvons constater qu’il y est encore peu question du développement de comportements professionnels adaptés, même si cela peut être abordé à travers « l’accompagnement de la personne…. » ou « la communication et la conduite de projet » ou encore « les soins éducatifs… ».
La posture professionnelle est constitutive de la construction de l’identité professionnelle. Celle-ci se construit et se développe tout au long de la vie du professionnel et démarre dès la formation initiale sur les bases de ce qu’est l’individu à ce stade de sa formation. La construction identitaire est un processus permanent, qui se développe de façon circulaire, un peu à la façon d’un ressort sur lequel viennent se greffer les savoirs, les savoir-faire, les valeurs, les expériences, etc. La construction identitaire de l’infirmière s’appuie alors sur la partie de l’individu qui peut évoluer, changer, et non – comme cela a longtemps été pensé – sur la structure de personnalité qui constitue le socle de cette construction identitaire, à l’image des fondations d’une maison. Ensuite, comme pour une habitation, l’édifice peut être aménagé, amélioré, embelli. Cette construction identitaire est d’autant plus malléable qu’elle s’effectue chez une personne « naïve » de toute représentation ou de tout préjugé. Elle pourra aussi s’effectuer aisément chez une personne en proie à des difficultés, mais en quête de solutions.
Pour communiquer de façon adaptée et efficace avec autrui, il est intéressant d’identifier son propre mode de communication comme celui de son interlocuteur. Or, si la communication est universelle, nous ne communiquons pas tous de la même façon. La communication s’appuie sur les cinq sens, et chacun utilise de façon préférentielle un ou deux sens. Certains sont donc visuels, quand d’autres sont auditifs ou kinesthésiques. Les mots, les perceptions des uns et des autres peuvent alors être différents. Le visuel « voit » quand le kinesthésique « perçoit ». De ce fait, deux individus, peuvent rencontrer des difficultés de communication, tout en parlant la même langue, tout comme deux patients peuvent apprécier une pratique soignante, mais se l’approprier de façon différente. Ajoutons à cela les modifications qu’engendrent la maladie, la douleur, l’inquiétude ou l’anxiété, et le dialogue devient parfois bien difficile entre le soignant qui souhaite soulager et le patient qui est en attente de ce soulagement.
→ En pratique : Mme J. et M. B souffrent tous les deux de douleurs. La première en raison d’une maladie rhumatismale, le second en raison d’un accident de voiture. Au cours de leur prise en charge, les soignants sont amenés à utiliser la musique pour les soulager. Après la séquence d’écoute musicale, Mme J. « se sent plongée dans une vague », quand M. B. dit que « la musique provoque beaucoup d’images ». Pour ces deux patients, la musique a eu des effets thérapeutiques positifs. Mais au-delà de ces effets, les mots utilisés par Mme J. laissent penser qu’elle est plutôt kinesthésique, quand ceux de M. B. évoquent d’emblée la vue comme sens privilégié de communication. Ainsi, en étant attentif aux mots utilisés par le patient, le soignant peut d’une part les réutiliser dans le dialogue qu’il instaure avec lui, d’autre part adapter ses propositions thérapeutiques.
De ce fait, pour développer une posture professionnelle, le soignant acquiert progressivement une connaissance de soi, de ses modes de fonctionnement et de pensée. Cette connaissance de soi permet à chacun d’évoluer à partir de ce qu’il est, d’identifier les situations qui lui sont difficiles et celles pour lesquelles il est à l’aise. À partir de l’identification des situations professionnelles et des modes de fonctionnement individuel, il est alors possible de développer un savoir-faire professionnel adapté, facteur favorisant un cercle relationnel vertueux tel que le définit Curchod (voir schémas ci-dessus)
Les situations vécues par les infirmières sont très empreintes d’émotions, le plus souvent négatives : tristesse, peur, colère, dégoût, etc. Ces émotions émaillent également l’ensemble des relations entre professionnels du soin, et il n’est pas rare qu’elles prennent le pas sur la réflexion et le raisonnement. Trop souvent, les représentations amènent à penser qu’il faut mettre les émotions à distance, que le soignant doit être « a-réactif », impassible. Pendant un temps, nombre de formations ont été intitulées « gestion des émotions », un terme parfois mal compris, interprété souvent de façon négative.
Or, les infirmières doivent apprendre à travailler avec ces émotions. Ce travail porte sur la capacité du soignant à identifier ses propres émotions. Cela est indispensable, en particulier pour être en mesure d’adopter une attitude empathique (lire p. 47), mais aussi pour être en capacité d’adopter un comportement, une attitude adaptée à la situation. Gérer ses émotions, ce n’est pas les nier, les ignorer, mais bien au contraire les identifier, les comprendre, éventuellement les faire évoluer, afin d’être en capacité de se rendre disponible pour accueillir les émotions des patients, les aider à les traverser, les accompagner dans ce qu’ils vivent de difficile.
Permettre au patient de traverser ses émotions, c’est avant tout l’aider à les identifier, les reconnaître, rester présent pour l’aider à les traverser. Cette présence peut se faire grâce à des modalités de relation adaptées : placement corporel, utilisation du langage non verbal (toucher, regard, etc.), de mots adéquats ou du silence.
→ En pratique : Monsieur M. est tétraplégique. Ce matin, en raison du manque de personnel, l’infirmière lui annonce que l’équipe ne sera pas en mesure de lui faire un bain au chariot douche, mais pourra lui faire sa toilette au lit. Cette annonce, en lien avec la déception de ne pas bénéficier d’un moment agréable, ravive la prise de conscience par Monsieur M. de sa dépendance. De façon naturelle, l’infirmière souhaiterait qu’il « comprenne » la situation. L’apprentissage d’une communication professionnelle lui permet d’accompagner Monsieur M. dans l’expression de sa tristesse, de rester présente pendant ce moment douloureux, de l’apaiser par un geste, des paroles adaptées, comme la sensation de bien-être et les activités qui suivront la toilette plutôt que de rester sur ce moment désagréable, signe de sa déception.
Les réalités des situations médicales, mais aussi sociales, rencontrées actuellement confrontent les professionnels de santé à la complexité. En effet, grâce à l’amélioration des techniques médicales, des évolutions scientifiques, des progrès techniques, les individus vivent de plus en plus longtemps, même avec une maladie grave, chronique.
Par ailleurs, les évolutions sociétales amènent les professionnels de santé à être en relation directe avec la personne malade, mais aussi à gérer les relations avec son entourage, dans un contexte d’évolution des droits des patients. Cette complexité intervient alors même que les rapports soignant/soigné ont considérablement changé. Ainsi, s’il est attendu du patient qu’il développe son autonomie, il est parfois mal vécu qu’il questionne, s’informe, fasse valoir ses droits.
Une meilleure compréhension de la complexité des relations et comportements humains à travers l’évolution des connaissances à la fois en neurosciences et en psychologie individuelle et sociale permet aux infirmières de développer une identification de ces situations et un savoir-faire qui leur soit adapté.
Ainsi dans le cadre de la démarche éducative et de l’implication du patient et de son entourage dans la prise en charge, l’infirmière peut développer un savoir-faire basé sur les connaissances du fonctionnement cérébral et des modalités d’apprentissage, parfois propres à chaque individu. Si certains patients ont besoin d’informations pour apprendre et comprendre la pathologie et les soins qu’ils auront à assurer, d’autres apprendront par la démonstration, puis par la réalisation des soins. La capacité du soignant à adapter son discours, sa façon de faire, l’utilisation de supports variés est alors essentielle. Mais surtout, comme nous avons pu le voir, la confiance du soignant dans les capacités du patient, mais aussi une bonne identification de ses modes de communication augmentent les chances de résultats positifs.
Il est nécessaire d’apprendre à se démarquer d’une attitude stéréotypée, en particulier dans les programmes d’éducation thérapeutique qui impliquent de développer des démarches pédagogiques individuelles (en fonction des capacités d’apprentissage spécifiques de chaque patient) et collectives pour les apprentissages en groupes.
Plus que savoir ce qu’il faut dire ou faire dans telle ou telle situation, il est souhaitable pour chaque professionnel de développer sa boîte à outils lui permettant d’adapter son comportement relationnel dans chaque moment de sa vie professionnelle. Celle-ci est constituée de la compréhension des modes de communication en relation duelle, mais aussi de groupe, de la formation à la communication hypnotique. Elle est la base d’une communication apaisée permettant au soignant de développer un langage professionnel tenant compte des situations difficiles rencontrées dans son exercice, de la connaissance des différentes émotions, en particulier négatives, vécues par les patients, de leurs modes d’expression multiples, et de la façon dont il est possible de les traverser.
→ En pratique : la famille d’un patient s’énerve aux urgences. L’attente est longue, les conditions d’accueil assez difficiles tant les patients sont nombreux et certaines situations complexes à gérer. L’infirmier sait que ce comportement est extrêmement contagieux. Plutôt que de demander à cette famille de se calmer et de comprendre la situation (ce qui semble le plus naturel et le plus habituel), il est judicieux de montrer que le professionnel comprend cet agacement, et admet même que dans des circonstances identiques, il réagirait de la même façon. Dans le même temps, il est souhaitable de proposer à la famille un lieu isolé pour échanger sur la situation et permettre à la colère de se dissiper plutôt que de se développer.
Cette boîte à outil peut être enrichie avec l’expérience, mais les fondamentaux doivent être apportés dès le début de la formation initiale, tant il est plus facile d’acquérir les bonnes pratiques que de déconstruire les moins satisfaisantes pour en acquérir de nouvelles.
Contrairement à de nombreuses idées reçues, le développement d’un comportement et d’une posture relationnelle adaptée s’apprend, et ce, dès le début de la formation professionnelle. Même si les étudiants en soins infirmiers ne disposent pas tous d’une maturité identique, et parfois suffisante, pour faire face à certaines situations, il est essentiel de leur permettre, dès leur entrée en Ifsi, d’identifier que le travail sur les comportements professionnels est incontournable et, loin d’être naturel, qu’il doit faire l’objet d’un apprentissage basé sur des connaissances scientifiques. Il serait ainsi nécessaire d’introduire dès le début de la formation, et tout au long des études, les bases de la communication hypnotique qui permettent à la fois d’adopter un comportement rassurant lors des soins douloureux et/ou anxiogènes, et d’aider à la gestion des situations de crise. De la même façon, à l’instar d’autres métiers
Apprendre ces bases d’une communication professionnelle permet également le développement d’une identité professionnelle commune, basée sur une manière d’être identifiable par le patient et les membres de son entourage. Il est reconnu par les patients qu’un discours identique ou un positionnement collectif au sein d’une équipe est source de réassurance. Par ailleurs, cela est également plus confortable pour les professionnels.
Les moyens d’améliorer sa communication professionnelle, ses modes relationnels sont nombreux. Parmi eux, on peut distinguer aujourd’hui l’analyse de pratique et la supervision.
→ L’analyse de pratique permet de revisiter une situation et d’analyser les réponses qui ont été apportées. Ces réponses peuvent être techniques et relationnelles. L’analyse de pratique peut être individuelle ou collective. Dans ce dernier cas, elle permet en particulier d’identifier la cohérence des différents positionnements et discours professionnels.
→ La supervision peut se définir comme « l’ensemble des opérations critiques (observation, analyse, jugement, intervention) par lesquelles une personne en situation de responsabilité vise à améliorer la qualité de l’acte professionnel des personnes dont elle est responsable, de façon à assurer la plus grande cohérence possible entre les référentiels et les pratiques »
→ Développer les supervisions permettrait à la profession d’infirmier d’identifier clairement l’importance de son rôle dans la relation de soin. Elle permettrait une reconnaissance de l’expertise acquise progressivement au cours de la carrière et le développement de spécificités qui deviendront absolument nécessaires à l’avenir.
Développer une communication et des relations soignants/soignés adaptées, loin d’être chronophage, permet de gagner du temps grâce à la capacité des professionnels à gérer les situations difficiles, les situations de crise, par le développement d’une attitude plus sereine tant sur le plan individuel que collectif. Développer une communication adaptée basée sur des données probantes permet également de développer la prévention, en particulier dans le champ de la douleur et l’anxiété. Pour y parvenir, s’informer et intégrer dans les pratiques infirmières le fruit des recherches les plus récentes en neurosciences et en psychologie sociale constitue une démarche constructive et incontournable. L’intégration de ces connaissances peut s’étendre au développement d’une communication collective tant les travaux sur l’intelligence collective
1- Curchod C., Relations soignants-soignés, prévenir et dépasser les conflits, Elsevier-Masson, 2009.
2- Caupenne C., Négociateur au raid, Le Cherche midi, 2010.
3- Disponible sur http://www.csrdn.qc.ca/discas/csrdn/supervisiondefinition.html
4- Dossier « Les clés de l’intelligence collective », Cerveau et Psycho, n° 78, juin 2016.
Une erreur de fichier dans le numéro 373 de L’Infirmière magazine a échappé à notre vigilance. Nous prions nos lecteurs de nous excuser des coquilles malencontreusement publiées.
→ Page 50 : le schéma des points d’injection rectifié ci-contre.
→ Page 47 : surveillance des paramètres vitaux, question 1, la bonne réponse est A.
Le texte d’accompagnement est juste.
→ Page 47 : sous le paragraphe « fréquence respiratoire », les données n’ont pas de rapport. Les bonnes valeurs sont :
– chez le nouveau-né (< 1 semaine) : de 40 à 60 cycles par minute ;
– chez le nourrisson > 1 à un an : de 30 à 60 cycles par minute ;
– chez l’adulte : 12 à 20 cycles par minute.