L'infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016

 

QUALITÉ DES SOINS

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Aveline Marques  

En septembre, le magazine Le Point a publié son traditionnel palmarès des hôpitaux et cliniques en France. Née aux États-Unis dans les années 80, la démarche de classement est désormais investie par la Haute Autorité de santé.

François Malye « Il y a beaucoup de professionnels qui nous lisent »

En 1997, vous publiiez le premier classement français des hôpitaux. Comment expliquer ce succès ?

À l’époque, on ne savait rien de l’hôpital, tenu par les médecins. Mais en raison des scandales sanitaires (affaires du sang contaminé, des hormones de croissance…), l’État avait besoin d’y reprendre la main. Suivant l’exemple des classements aux États-Unis, on a voulu enquêter sur la sécurité des soins, hôpital par hôpital. On a traqué les informations pendant un an, notamment en exploitant la base de la Sécu. La première « liste noire » publiée dans Sciences et avenir a été vendue à 310 000 exemplaires, preuve de l’appétence des citoyens. Le numéro a déclenché un branle-bas de combat au Gouvernement, qui a vu l’opportunité de réglementer l’hôpital. On a vite arrêté de mentionner les très mauvais établissements – on passait notre temps dans les tribunaux – pour ne mettre en avant que les meilleurs, par pathologie. Le palmarès est chaque année la première vente du Point(1). Les gens cherchent la bonne structure à côté de chez eux. Quand ils n’ont pas de réseau, ils sont perdus… Il y a beaucoup de professionnels qui nous lisent. La communauté hospitalière a vite compris qu’elle ne pourrait pas échapper à la double offensive des médias et de l’État. Les gros établissements jouent tous le jeu.

Comment sont déterminés vos choix d’indicateurs ?

Le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) renseigne sur les pratiques médicales et la gravité des cas. On s’est rendu compte qu’une forte activité était source de meilleurs résultats, notamment en chirurgie. Pour les accouchements, le taux de césarienne est assez discriminant (de 10 à 35 % !). On adresse aux hôpitaux un questionnaire sur leurs moyens. Si pour l’AVC, par exemple, ils n’ont pas d’unité neuro-vasculaire avec un neurologue présent 24 h/24, ils sont disqualifiés. Un réseau de médecins nous aident à créer les requêtes les plus pertinentes dans le PMSI pour chaque pathologie.

Utilisez-vous les données fournies par la HAS ?

La certification n’a pas grand intérêt pour le classement puisque les établissements sont tous certifiés. Le but n’est pas le même : la certification porte sur les moyens mis en œuvre par l’établissement dans son ensemble, pas sur les résultats par pathologie. Mais la HAS a produit quelques indicateurs dont on se sert, notamment sur la prise en charge de l’infarctus du myocarde, de l’AVC et de l’obésité.

Pourquoi ne pas comparer les effectifs au lit du patient ?

Aucune base de donnée ne donne cette information et on ne pourrait pas l’obtenir de façon fiable auprès des établissements. En fait, les indicateurs les plus discriminants, on ne les a pas : taux de mortalité, ?d’infections nosocomiales…

Quel regard portez-vous sur l’évaluation de la qualité et la sécurité des soins en France ?

L’évaluation des praticiens me semble indispensable. On ne devrait pas seulement financer les établissements à l’activité, mais aussi à la qualité des pratiques, notamment par rapport aux indications. Malgré tout, les résultats ne sont pas mauvais… Il y a une vraie notion du travail bien fait à l’hôpital.

Catherine Grenier « Il n’y a pas de volonté de non-transparence »

Que pensez-vous des classements médiatiques ?

À la HAS, nous encourageons tout ce qui va vers plus de sensibilisation et d’information des usagers. Cela questionne la qualité des soins, mobilise la société et créé une émulation dans le milieu. Les informations dont nous disposons sont en accès libre. Pour autant, la HAS ne peut pas cautionner ces classements, pour des raisons de méthodologie. La pondération de chaque critère dans la note finale est opaque. L’activité, l’équipement, et même la notoriété participent à la qualité certes, mais dans quelle mesure ? Par ailleurs, ne figurent dans le classement que les établissements qui répondent…

En quoi la démarche de la HAS sur Scopesante.fr se démarque-t-elle ?

Le classement de la HAS positionne les établissements par rapport à tous les autres et donne toutes les informations valides pour la comparaison, sans donner de note globale, et sans présager de ce qui est important pour le patient : l’activité ? la pratique ? les équipements de pointe ? L’information est contextualisée : si un établissement a un indicateur à 60 %, c’est important de savoir si une majorité ou une minorité d’établissements ont le même niveau. Nous allons ajouter un score de satisfaction des patients car la qualité ressentie est importante. Tous les patients sont interrogés 15 jours après leur hospitalisation sur l’accueil, la coordination des soins, mais aussi l’attitude des professionnels (respect, confidentialité, informations…) – qui est le sujet majeur d’intérêt.

La majorité des indicateurs en France portent sur les moyens et processus(2). Pourquoi ne pas diffuser des indicateurs de résultats : taux d’infections nosocomiales, de mortalité… ?

Il n’y a pas de volonté de non-transparence. La HAS a tout intérêt à ce que ces informations soient mesurées et communiquées. Mais à ce jour, l’ensemble des données concernant le patient qui sont nécessaires pour élaborer des indicateurs de résultat fiables ne sont pas disponibles. Par exemple, pour la pose d’une prothèse de hanche, il n’y a pas le même risque de complication selon que le patient est un jeune sportif ou une personne âgée diabétique. Or, la polypathologie est très mal codée dans les bases médico-administratives. Quand on repère un taux de complication anormal, on s’aperçoit souvent que les comorbidités n’avaient pas été bien déclarées. On utilise les données limitées que nous avons pour alerter les professionnels et inciter à une analyse de pratiques. Mais notre souhait est de disposer d’informations fiables pour élaborer des indicateurs de résultats pertinents à diffuser au grand public, mais aussi que les mentalités évoluent, sinon il risque d’induire une sélection des patients.

Faut-il rendre l’accréditation des médecins obligatoire ?

Rendre l’accréditation obligatoire ou l’élargir à d’autres spécialités(4) pourrait être intéressant. L’accré-ditation en équipe est aussi une démarche que nous encourageons, car la coordination entre les professionnels est une question centrale. N’évaluer les praticiens – notamment chirurgiens – que sur le nombre d’actes n’est pas judicieux. Le volume c’est bien, la pertinence c’est mieux.

1- Depuis 2001, seuls deux numéros ont été plus vendus que ce palmarès : celui consacré aux attentats du 11 septembre et celui après l’élection de Nicolas Sarkozy.

2- Par exemple, en matière de lutte contre les infections nosocomiales, l’indicateur ICSHA.2 évalue l’hygiène des mains en mesurant le volume de solution hydro-alcoolique consommé par l’établissement par rapport à un objectif personnalisé.

3- Gynécologie-obstétrique, anesthésie-réanimation, chirurgie, spécialités interventionnelles, activités d’échographie obstétricale, de réanimation ou de soins intensifs. En juillet dernier, 9 000 médecins s’étaient engagés dans une démarche d’accréditation.

FRANÇOIS MALYE

GRAND REPORTER À L’HEBDOMADAIRE LE POINT

→ 1997 : après avoir enquêté sur le scandale de l’amiante, il publie la première « liste noire » des hôpitaux dans Sciences et avenir, aux côtés de Jérôme Vincent et Philippe Houdart

→ 2000 : intègre la rédaction du Point

→ 2009 : le trio publie Le Livre noir des hôpitaux (Éd. Calmann-Lévy)

DR CATHERINE GRENIER

MÉDECIN DE SANTÉ PUBLIQUE, DIRECTRICE DE L’AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ ET LA SÉCURITÉ DES SOINS, HAS

→ 2003-2005 : chef du projet Inserm-Compaq sur l’évaluation de la qualité des prises en charge à l’hôpital

→ 2005-2011 : direction de la qualité, des indicateurs et du projet médico-scientifique, groupe Unicancer

→ 2005-2011 : chef du service Indicateurs pour l’amélioration de la qualité et la sécurité des Soins, HAS

POINTS CLÉS

→ Historique. Créée par l’ordonnance « Juppé » du 24 avril 1996, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) conduit les premières accréditations d’établissements en 1999. Un décret du 27 octobre 2004 fonde la Haute Autorité de santé (HAS), désormais chargée de la certification.

→ Indicateurs. Un arrêté fixe chaque année la liste des indicateurs obligatoires pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. En 2016, 56 indicateurs – tous secteurs d’activité confondus – doivent être recueillis, mais seuls 32 sont mis à disposition du public. Ils portent sur la lutte contre les infections associées aux soins, le dossier du patient, la qualité de prise en charge de l’AVC ou encore de l’hémorragie du post-partum.

→ Classements. Sciences et avenir (le premier en 1997), Le Figaro magazine, Le Point et L’Express publient chaque année leur classement des hôpitaux et cliniques. La HAS se prête à l’exercice depuis fin 2013 sur son site Scopesante.fr, qui comptabilise quelques 30 000 visites par mois.