Promouvoir la santé des mineurs sous main de justice, accompagner les équipes éducatives, assurer du conseil technique… Les missions des infirmières à la protection judiciaire de la jeunesse sont vastes. Autonomie exigée.
Centre éducatif fermé (CEF) de Savigny-sur-Orge (91). Dans ce « foyer » entouré de grilles, qui dépend du ministère de la Justice, une équipe pluridisciplinaire accueille 12 mineurs délinquants multiréitérants ou ayant commis des faits graves. Élisabeth Huneau, l’infirmière du centre, y circule toujours un trousseau de clés à la main. Chaque porte sitôt ouverte doit être verrouillée, y compris celle de l’unité éducative où se situe l’infirmerie. À la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les CEF sont les seules structures disposant d’infirmières dans leurs murs. Des IDE qui ont pour principale mission de promouvoir la santé (lire encadré p. 66), tâche qui relève également de leurs collègues exerçant dans l’une des 53 directions territoriales (DT), sur un ou plusieurs départements, ou dans l’une des 9 directions interrégionales (DIR)
Depuis 2013, le travail des infirmières – qu’elles exercent en CEF, en DT ou en DIR – s’inscrit dans le cadre du programme « PJJ promotrice de santé », voué à décliner les axes de la charte d’Ottawa : création d’environnements favorables pour les jeunes et les professionnels, renforcement de l’action communautaire, des aptitudes individuelles… Il s’agit, au-delà du soin, de prendre en compte les facteurs de risques et de développer les compétences, notamment psychosociales, des mineurs, tout en conservant aux familles leur place. « Au-delà de l’action éducative, la PJJ cherche à étayer ces jeunes, à leur apporter une plus-value par différentes actions : sport, culture, citoyenneté, santé, afin de leur permettre un mieux-être dans le but d’éviter la récidive », analyse Marc Dubreil, IDE conseiller technique en promotion de la santé à la DT Loire-Atlantique/Vendée. Pour que la santé s’impose comme une ressource éducative, un accord de partenariat a été signé avec la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé permettant aux infirmières de construire des actions avec l’appui de son réseau. « Pour nous, la santé est l’affaire de tous et ne se limite pas à l’aspect biologique. Nous montons donc des projets visant à montrer au mineur qu’il peut être acteur de sa santé globale comme des actions de prévention à plus grande échelle », souligne Estelle Habert, IDE conseillère technique santé à la DT Alpes-Vaucluse. « Notre rôle est d’accompagner les équipes éducatives de notre territoire à mettre en place le projet de promotion de la santé et de bien-être de la PJJ », complète Haroun Soudani, IDE conseiller technique santé à la DT des Hauts-de-Seine. Alimentation, activité physique, bien-être affectif et sexuel… font partie des sujets ciblés. Cela peut se traduire par l’instauration de pratiques sportives pour les jeunes, l’organisation de formations sur la santé sexuelle ou les addictions pour les éducateurs, d’animations dans un foyer sur le bien vivre ensemble autour de l’alimentation, sur les relations filles-garçons, etc.
Promouvoir la santé à la PJJ passe aussi par l’application sur les territoires des politiques de santé publique. Cela suppose d’identifier les besoins du terrain, les difficultés spécifiques, et de nouer maints partenariats pour y répondre. « Une grande part de notre métier consiste à échanger avec des interlocuteurs très variés : directeurs de service, centres de soins, associations… Je peux, par exemple, être amené à rencontrer, avec les directeurs concernés, les chefs de service des urgences médicopsychologiques pour travailler sur des conventions, des protocoles et autres modes de collaboration afin de favoriser la fluidité des relations, l’articulation des interventions », illustre Marc Dubreil. Il s’agit aussi de faciliter l’accès au droit des jeunes. « Leur situation familiale étant souvent compliquée, leur parcours jalonné de ruptures, l’accès au droit commun peut être distant. Nous devons donc nous assurer que chacun en bénéficiera et pouvons être amenés à établir des protocoles avec la Cpam », explique Annie Robert, conseillère technique en promotion de la santé à la DT Franche-Comté. Des liens sont également noués avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), avec des associations du champ des addictions, ou des conventions établies avec la pédopsychiatrie. C’est surtout sur le plan de la santé mentale que l’accès aux soins se révèle le plus complexe. « Lorsqu’on exprime à ces ados qu’un psychiatre ou un psychologue pourrait les aider, la réponse est de suite le rejet. Depuis tout petit, en effet, on leur a dit de voir, ou ils ont vu, des psys. Ils ont en outre vécu des parcours de placement, des abandons…, la confiance en l’adulte est donc bien émoussée », observe l’infirmière qui souligne l’intérêt de travailler avec les maisons des adolescents. De façon générale, les IDE remplissent « une mission très prenante de construction de réseaux », résume Estelle Habert et, pour étayer les équipes, entretiennent des liens étroits avec les territoires. « L’idée est que les éducateurs en milieu ouvert connaissent les ressources des quartiers, les dynamiques locales. Il s’agit de mailler le territoire pour faciliter les orientations », souligne Marc Dubreil.
Les missions des infirmières ayant été de plus en plus recentrées sur le conseil technique en DT, la représentation en termes de politiques de santé et la conception d’actions d’éducation à la santé, le contact direct avec les jeunes s’est amoindri, hormis en CEF. Toutefois, les IDE tiennent à maintenir ce lien. « Nous ne nous chargeons pas de la situation de chaque jeune. Cette tâche revient aux éducateurs. Notre rôle est davantage la coordination, mais je veux garder un pied sur le terrain », insiste Annie Robert. Pour rester en prise avec la réalité, certaines choisissent d’animer certaines actions : soirées santé en hébergement, formation aux premiers secours… et organisent des rencontres avec les jeunes. « Je fais deux permanences par mois par foyer. Je m’entretiens avec les nouveaux, j’utilise le RIS (recueil d’information santé) pour amorcer le dialogue sur la santé… Durant ces journées, je participe aussi à des activités avec les jeunes : sport, peinture, théâtre… », témoigne Haroun Soudani, qui estime à 20 à 30 % le temps qu’il passe sur le terrain. L’expertise infirmière peut aussi ponctuellement être sollicitée pour dénouer une situation complexe ou grave. Ainsi, Estelle Habert de souligner : « Si je ne tiens pas de permanence dans un foyer, en cas de problème, je peux rencontrer les ados et leur famille pour soutenir les éducateurs. »
Intervenir sur le terrain permet aussi d’être plus proche des éducateurs et des responsables d’unité éducative, qui doivent prendre soin des mineurs délinquants au plan éducatif, mais aussi de leur santé. Cela y compris en CEF où, précise Élisabeth Huneau, « l’infirmière doit rendre présente la question de la santé et accompagner les éducateurs à en tenir compte dans leur prise en charge ». Mais souvent, « il y a confusion entre santé et soin », déplore Marc Dubreil. « Ce n’est pas dans la culture éducative de s’occuper de la santé. C’est vécu comme une intrusion intime dans la vie du jeune et de sa famille », confirme Annie Robert. Cela suppose donc de travailler avec l’éducateur. « En tant qu’infirmière, seule, je ne peux rien. Il faut qu’il ait repéré les difficultés et, même si le jeune n’a pas de problème médical, qu’il garde à l’esprit de le questionner sur sa santé globale », insiste-t-elle.
Pour faciliter la circulation d’informations, dans chaque service, un éducateur « référent santé » est chargé de faire remonter les difficultés rencontrées dans les unités et redescendre aux équipes les informations recueillies. Outre participer à des réunions au sein des services, les infirmières animent 3 à 4 fois par an des « commissions territoriales santé » où sont conviés ces référents santé. « Par exemple, je vais organiser une rencontre avec une équipe mobile de psychiatrie qui viendra présenter sa mission, l’idée étant d’établir une culture commune de prise en charge des jeunes et de leur famille. À sa suite, je ferai intervenir notre référent laïcité en vue d’aborder le thème de la radicalisation », illustre Haroun Soudani. Un sujet qui intéresse notamment les éducateurs suivant les mineurs incarcérés et qui préparent leur sortie. Si les détenus sont pris en charge par l’unité sanitaire de la prison, l’infirmière de la PJJ peut « œuvrer en binôme avec celle du quartier mineurs. À la maison d’arrêt de Besançon, on intervient ainsi sur des actions d’éducation à la santé et des groupes de parole permettant aux jeunes d’exprimer leurs ressentis. On explique les possibilités de l’unité sanitaire en termes de bilan de santé, de soins, le temps de détention pouvant être mis à profit pour faire le point », explique Annie Robert. À la sortie de la prison, l’infirmière suit le parcours du jeune : retour en famille, placement dans un foyer, en CEF… de manière à assurer une continuité au plan de la santé.
En DT et en DIR, les infirmières de la PJJ jouent également un rôle important de conseil technique santé auprès de leur direction. Concrètement, ils assistent à de multiples réunions, participent à différents comités de pilotage à plusieurs échelles, sont associés à divers groupes de travail et commissions (de coordination en matière de prévention, de santé scolaire…), émettent des préconisations, font remonter les besoins, rédigent des rapports, voire représentent le directeur territorial dans des instances variées (ARS, Mildeca, préfecture, etc.). Ils recherchent aussi des fonds pour monter des actions, notamment avec des partenaires extérieurs. Autant de tâches qui exigent « un esprit de synthèse, des facilités à l’oral, une certaine maîtrise de l’écrit », pointe Estelle Habert. Plus largement, les infirmières doivent, outre savoir animer une réunion ou mener un projet de bout en bout, se sentir en capacité de représenter l’institution, aimer travailler en pluridisciplinarité et en réseau. Elles doivent aussi renoncer aux soins techniques. « Il faut avoir envie de changer, de découvrir le champ de la santé publique et la PJJ, de mener un travail plus politique. Venant de l’hôpital, j’ai beaucoup appris, car c’est le jour et la nuit. Cela requiert une grande curiosité intellectuelle et des capacités d’adaptation », poursuit-elle. Sens de l’écoute, pédagogie, diplomatie, débrouillardise, patience et humilité sont d’autres qualités essentielles. « Certains projets peuvent tarder à se mettre en place, parfois aussi la durée des mesures éducatives peut stopper un travail avec un mineuR. Il faut savoir ne pas se décourager, s’essouffler », pointe Annie Robert. Le turn-over dans les structures est aussi important. « Les responsables d’unité éducative et les directeurs changent souvent. Il faut recommencer à chaque fois, rassurer les équipes… », relève Marc Dubreil.
La liberté d’action offerte aux infirmiers peut se doubler d’un sentiment de solitude. « Notre particularité à la PJJ, et encore plus en CEF, c’est d’être seuls au sens où les professionnels qui nous entourent n’appartiennent pas à la même culture. Ils n’ont pas des questionnements d’infirmières », résume Élisabeth Huneau. Cela peut se révéler perturbant lorsqu’on a été habitué à moins d’autonomie. Il ne faut pas alors hésiter à solliciter l’infirmière du territoire voisin. Mais la situation n’est pas sans avantage. « On travaille avec beaucoup de monde sans lien hiérarchique. Ce rôle de conseiller, de soutien, nous donne une place gratifiante », analyse-t-elle. Autre intérêt : la variété, la richesse des rencontres, la possibilité d’exercer ses talents. « Ce poste donne des ouvertures immenses. Il permet d’exercer pleinement le métier d’infirmier, d’aborder le patient de façon holistique. Chaque professionnel a des compétences spécifiques et peut les mettre en pratique au bénéfice des jeunes et des familles », assure Marc Dubreil, lui-même sophrologue. L’accès à la formation est par ailleurs très développé. Les infirmières peuvent en particulier renforcer leurs connaissances dans les pôles territoriaux de formation (PTF) des directions interrégionales ou à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse à Roubaix (59). Un large catalogue de thématiques (santé mentale, sexualité adolescente, violences…) leur est accessible. Il est également envisageable de préparer un DU « adolescents difficiles ».
Aucun diplôme spécifique n’est cependant exigé.
Côté conditions de travail, les IDE organisent leur semaine selon leurs besoins professionnels, leurs déplacements. Ils bénéficient de 53 jours de congés par an en sus des week-ends et jours fériés. Les salaires suivent, quant à eux, les grilles indiciaires. Seul point noir : l’évolution de carrière. Pour voir d’autres horizons, il est possible d’exercer sur les pôles territoriaux de formation (PTF) ou hors métropole (Mayotte, Polynésie française…), où le contexte – organisation locale, problématiques des publics… – peut modifier le travail. « Mais il n’existe pas de postes de cadres en santé », regrette Annie Robert. Avant de lancer avec humour : « Pour avancer dans sa carrière, il faut aller voir ailleurs… mais une fois à la PJJ, on n’a plus envie de partir. »
1- Les fiches de poste diffèrent un peu selon que les infirmières exercent en DT ou DIR.
2- Pour plus d’informations : http://justimemo.justice.gouv.fr/Justi Memo.php?id=96
La PJJ vient de lancer une campagne de recrutement. Aujourd’hui, les infirmières qui y exercent sont pour beaucoup issues de la fonction publique hospitalière ou territoriale et en détachement. Leur carrière est alors gérée par leur administration d’origine et leur salaire versé par la PJJ. Si elles viennent du privé, les IDE restent contractuelles, aucun concours n’étant aujourd’hui organisé. Dans le premier cas, si l’on souhaite rester à la PJJ, il est possible d’intégrer la fonction publique d’État plutôt que de refaire régulièrement des demandes de détachement.
Pour plus d’informations :
« Même en CEF, l’IDE n’est pas là pour le soin : sa mission est d’abord d’aider les éducateurs à accompagner les jeunes dans leur santé », résume Élisabeth Huneau, en poste au CEF de Savigny-sur-Orge (91). Dans sa structure, il est ainsi établi que si c’est elle qui emmène le jeune à son premier bilan de santé, c’est ensuite à l’éducateur de se charger des rendez-vous médicaux. Lorsqu’un mineur a un traitement à suivre, elle le prépare « mais, là aussi, c’est à l’éducateur d’aider le jeune dans ce geste du quotidien. Je vérifie juste qu’il a bien été pris ». L’infirmière s’assure aussi que l’ado dispose d’une couverture maladie et gère les contacts avec la Cpam.
En plus de participer aux réunions de service où l’équipe étudie la situation de chaque jeune, l’infirmière a mis en place des ateliers diététique et équithérapie. « Avec le cheval, ces jeunes font une vraie rencontre et il se passe des choses », commente-t-elle. L’infirmière propose aussi elle-même des soins esthétiques simples (massage des mains, masque…) qui permettent avant tout aux mineurs de se poser et de se détendre. « C’est un bon lieu d’observation. Ces jeunes ne savent pas exprimer leurs émotions », pointe l’infirmière. « Une des difficultés, poursuit-elle, c’est qu’ils ont beaucoup d’addictions et sont sortis du système scolaire. Il faut arriver à les amener à réfléchir par d’autres biais que les actions classiques de prévention. »