L'infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

FRÉDÉRIQUE LEPLEUX*   LAURENCE COUTO**  

Du contrôle de la prescription des produits sanguins labiles (PSL) aux analyses d’immuno-hématologie jusqu’à l’administration des PSL au receveur et à son suivi, l’IDE est au centre de l’acte transfusionnel et garante de la sécurité du processus.

La transfusion sanguine est une thérapeutique administrée par voie intraveineuse de produit sanguin labile (PSL) issu de dons de sang de bénévoles. Son administration demande aux professionnels des connaissances spécifiques, de la rigueur dans la mise en œuvre et un sens aigu de la responsabilité. L’infirmière doit être en mesure de réaliser un ensemble d’étapes afin d’éviter les risques en lien avec la transfusion (risque infectieux ou immunologique, retard transfusionnel…). Le non-respect de l’une de ces étapes peut avoir des conséquences dommageables pour le patient. Chacune d’elle constitue un verrou de sécurité qu’il est indispensable de respecter. La maîtrise du processus repose sur l’actualisation des connaissances. Des formations, en e-learning ou en présentiel, sont ainsi proposées aux professionnels par les établissements de santé eux-mêmes ou par des organismes extérieurs, l’Institut national de transfusion sanguine, notamment. Elles permettent à l’infirmière de réaliser l’acte transfusionnel en toute sécurité.

Les quatre étapes que les professionnels doivent suivre méthodiquement sont :

– la demande d’examens d’immuno-hématologie ;

– la demande de produits sanguins labiles ;

– la réception des produits sanguins labiles ;

– l’acte transfusionnel (le contrôle ultime de concordance, le contrôle ultime de compatibilité, la surveillance et la traçabilité de la transfusion).

1. DEMANDE D’EXAMENS D’IMMUNO-HÉMATOLOGIE

Obligatoires, ces examens sont des préalables à l’acte transfusionnel et font l’objet d’une prescription médicale. Les examens immuno-hématologiques systématiques sont :

– le groupage ABO-RH1, la détermination du phénotype simple RH-KEL (RH : 2, 3, 4, 5 et KEL1) ;

– la recherche d’anticorps irréguliers appelée communément RAI. Il est possible, dans certains cas particuliers, de réaliser un phénotype étendu à d’autres systèmes comme les systèmes érythrocytaires : Duffy, Lewis, Kidd, MNS.

→ La réalisation du groupage ABO-RH1, ainsi que le phénotype simple, requiert deux déterminations :

– issues de deux prélèvements différents ;

– si possible par deux préleveurs différents (identification du préleveur sur la feuille d’examen) ;

– après vérification complète, avant le prélèvement, de l’identité du patient en présence de ce dernier en lui faisant épeler son nom de naissance, d’usage, son prénom, sa date de naissance, ainsi que la vérification de la lettre relative au sexe (M = masculin, F = féminin). Comme pour tout prélèvement, l’étiquette patient est collée immédiatement après le prélèvement en sa présence.

Ce qui est important à retenir : les examens doivent être issus de deux préparations de matériels différents pour la réalisation des prélèvements sanguins afin de diminuer le risque d’erreur qui pourrait survenir lors du premier prélèvement.

→ La réalisation d’une RAI ne demande qu’un seul prélèvement et est soumise aux mêmes règles (hygiène, asepsie, identitovigilance…) que la ponction veineuse pour prélèvement sanguin. La recherche d’anticorps irréguliers (RAI) ou recherche d’anticorps érythrocytaires (RAE) vise à mettre en évidence des anticorps naturels irréguliers et les anticorps immuns qui pourraient être acquis lors d’une transfusion précédente ou au cours d’une grossesse.

La RAI doit dater de moins de 72 heures. Sa validité peut être portée à 21 jours, sur prescription médicale, en l’absence de nouveaux épisodes transfusionnels ou immunisants dans les six mois précédents (grossesses, IVG, greffes…), conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) 2014.

2. DEMANDE DE PRODUITS SANGUINS LABILES

C’est une prescription médicale qui doit mentionner les noms et coordonnées de l’établissement de santé et du service, le nom et la signature du prescripteur, l’identifiant complet du patient, l’indication thérapeutique, le nombre, la nature et la qualification des PSL, la date et l’heure prévue de la transfusion ainsi que le degré d’urgence.

Cette demande de PSL doit être :

– accompagnée de la carte de groupage sanguin valide du patient ou de la demande des examens prétransfusionnels ;

– acheminée vers le site de délivrance selon la procédure en vigueur dans l’établissement de santé.

3. RÉCEPTION DES PRODUITS SANGUINS LABILES

Cette étape capitale vise à contrôler les conditions de transport du colis et à repérer tout incident survenu en amont et pouvant conduire à un retard transfusionnel, à une erreur de service, de patient ou de produit. Elle se réalise en présence du professionnel qui achemine le colis et donne lieu à un retour vers le site de délivrance en cas de non-conformité.

→ Vérification du transport et de l’intégrité du colis : en appui d’un bon de transport sont vérifiés le délai, la température et les conditions d’hygiène du colis transporté.

→ Vérification du service : en appui de la prescription médicale, on doit s’assurer que les PSL ont bien été livrés au bon service, à la bonne date et à la bonne heure.

→ Vérification de l’identité du patient : la concordance d’identité du patient est à contrôler sur l’ensemble des documents (fiche de délivrance, prescription médicale, carte de groupe sanguin) et sur les produits s’il y a lieu (compatibilité, PSL autologue…).

→ Vérification du produit : elle est réalisée par un personnel formé et est définie dans un protocole. Elle vise à contrôler :

– le nombre, la nature, la qualification des PSL et leurs concordances avec la prescription et le document de groupage sanguin ;

– la concordance d’identification entre le numéro à onze chiffres figurant sur le PSL et celui inscrit sur la fiche de délivrance ;

– l’aspect, l’intégrité, la péremption des PSL livrés.

Chaque item contrôlé au cours de la réception doit faire l’objet d’une traçabilité et donner lieu à une validation de cette étape de réception (date et heure d’arrivée/conformité du colis/nom et signature).

À compter de cette validation, le PSL doit être transfusé dans les meilleurs délais pour les concentrés de plaquettes (CP) et les plasmas frais congelés (PFC), et sans dépasser le délai de 6 heures pour les concentré de globules rouges (CGR).

4. L’ACTE TRANSFUSIONNEL

L’acte transfusionnel comprend : le contrôle ultime de concordance, le contrôle ultime de compatibilité, la surveillance et la traçabilité de la transfusion.

L’IDE s’assure au préalable que le patient a bien reçu une information médicale éclairée sur les bénéfices/ risques de la transfusion et qu’un médecin de l’établissement puisse intervenir à tout moment pendant le soin (art. R. 4311-9 du code de la santé publique).

Préparation de la transfusion

Il s’agit ensuite de préparer la transfusion en faisant les derniers contrôles avant de réaliser la pose du PSL, puis d’en assurer la surveillance et la traçabilité.

→ L’infirmière doit, en premier lieu, réunir l’ensemble des éléments indispensables et nécessaires à la réalisation du soin :

– conteneur isotherme avec le (s) PSL et les documents afférents (prescription médicale, fiche de délivrance, résultats d’examens immuno-hématologiques) ;

– dossier transfusionnel, dossier de soins infirmiers, feuille de surveillance, étiquette patient ;

– dispositif de transfusion spécifique muni d’un filtre et d’un perforateur, test de compatibilité biologique ABO (si CGR) ;

– dispositif de perfusion pour le sérum physiologique à poser en dérivation du PSL ;

– matériel nécessaire à la pose d’un cathéter court ;

– appareil de monitorage patient (thermomètre, saturomètre, pression artérielle, pulsations cardiaques).

→ Cette étape requiert une organisation chronologique du soin tenant compte du facteur temps :

Surveillance clinique et paraclinique du patient

(données de référence et recherche d’une éventuelle contre indication )

+

Contrôle ultime de concordance

+

Contrôle ultime de compatibilité biologique ABO

+

Préparation et pose du PSL +

Surveillance clinique et paraclinique (15 premières minutes)

=

Temps de présence auprès du patient IMPORTANT

Elle répond à la règle des trois unités :

– unité d’action ou de personne (je fais moi-même l’ensemble des contrôles ultimes) ;

– unité de lieu (je fais tout en présence du patient) ;

– unité de temps (je fais tout sans interruption).

Contrôle ultime de concordance

Il doit être réalisé pour tous les PSL et consiste à rechercher une discordance en matière d’identité civile et immuno-hématologique entre le patient, les différents documents et le produit sanguin labile (CP, PFC, CGR).

Les contrôles à réaliser sont nombreux et peuvent paraître complexes. Être rigoureux et méthodique dans leurs réalisations diminue considérablement le risque d’oubli et donc d’erreur. La fiche de délivrance est le document de traçabilité qui va servir de « feuille de route » (voir document ci-contre).

Contrôle ultime de compatibilité biologique ABO

Il est obligatoire pour toutes les transfusions de CGR, et doit être réalisé pour chaque poche de concentré de globules rouges homologue ou autologue, quel que soit le degré de l’urgence. Il permet de :

– contrôler que le sang du patient et le sang du CGR correspondent bien aux documents (carte de groupage sanguin du patient et étiquette du CGR) ;

– contrôler qu’il y a compatibilité entre le sang du patient et le sang du CGR.

La réalisation de ce test de compatibilité demande également méthode et rigueur. Différents tests de compatibilité existent, l’intérêt pour chacun reste identique, même si le sens de lecture ou l’interprétation des résultats diffèrent (lire ci-dessus).

→ Préalable à l’utilisation du dispositif :

– ports de gants et de lunettes de protection ;

– vérification de la date de péremption, de l’intégrité de l’emballage, ainsi que des différents éléments qui composent le test de compatibilité.

→ Après ouverture du test, l’infirmière :

– vérifie la coloration des quatre alvéoles (bleu = anticorps anti-A, jaune = anticorps anti-B) ;

– renseigne l’identité du patient et du PSL en apposant l’étiquette patient et l’étiquette du PSL ;

– réalise le test dans le respect de la procédure ;

– procède à la lecture et à l’interprétation des résultats obtenus ;

– assure la traçabilité (date, heure, nom et signature de l’IDE qui assure la responsabilité de la transfusion).

Attention ! Toute discordance, non-conformité ou doute à l’un de ces contrôles doit conduire à l’arrêt de l’acte transfusionnel afin de prévenir le médecin prescripteur ainsi que le site de délivrance.

Traçabilité

L’infirmière assure la traçabilité de cette quatrième étape en reportant sur la fiche de délivrance :

– l’étiquette PSL et l’étiquette patient préalablement vérifiés ;

– la réalisation du contrôle de concordance documents ;

– la réalisation du test de compatibilité biologique ABO ;

– la date et l’heure de la pose de la transfusion, puis l’identité du soignant

Pose et surveillance de la transfusion

Il est important de privilégier une voie veineuse périphérique spécifique (une poche de sérum physiologique pourra être branchée en Y en attente en fonction du protocole de service). La pose du PSL doit s’effectuer dans le respect des règles d’hygiène, d’asepsie et de sécurité pour le patient.

Le transfuseur est rempli aux deux tiers, sans prise d’air, la tubulure est purgée et posée au plus près du site d’injection. La tubulure à filtre permet de retenir les microagrégats, les amas de fibrine et les microcaillots, elle doit être changée pour chaque PSL.

→ Le calcul du débit, sur la base de 1 ml, correspond à 15 gouttes et tient compte de la nature du PSL, à savoir :

– CGR = 1 h à 1 h 30 (à moduler en fonction de la pathologie, de l’âge du patient et du degré d’urgence) ;

– PFC = 20 à 30 min ;

– plaquettes = 20 à 30 min (à moduler en fonction de la tolérance du receveur).

→ L’infirmière procède à la surveillance du patient et reste auprès de ce dernier pendant les 15 premières minutes. Cette surveillance permet de dépister des effets indésirables immédiats et d’apporter une réponse quasi simultanée au patient. L’IDE peut repérer ainsi un ensemble de signes traduisant un possible effet indésirable receveur (voir tableau p. 50) :

– perturbation des paramètres cliniques (hypo ou hypertension artérielle, dyspnée, tachycardie, hypo ou hyperthermie) ;

– perturbation de l’état de conscience, angoisse ;

– douleurs lombaires ;

– coloration des téguments, prurit…

Cette surveillance se poursuit tout au long de la transfusion ainsi que dans les heures qui suivent la fin du traitement (risques post-transfusionnels). Le dispositif de compatibilité est gardé minimum deux heures après l’arrêt de la transfusion et selon la procédure locale.

EXERCICE INFIRMIER

→ Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004, relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier, intégré dans le code de la santé publique (CSP).

→ Art. R. 4311-9 du CSP : « L’infirmierest habilité à accomplir sur prescription médicale écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, les actes et les soins suivants, à condition qu’un médecin puisse intervenir à tout moment : injections et perfusions de produits d’origine humaine nécessitant, préalablement à leur réalisation, lorsque le produit l’exige, un contrôle d’identité et de compatibilité obligatoire effectué par l’infirmier ou l’infirmière. »

→ Circulaire DGS/DHOS/Afssaps n° 03/582 du 15 décembre 2003 relative à la réalisation de l’acte transfusionnel.

GÉRER LES DOCUMENTS

Le dossier transfusionnel est une partie intégrante du dossier patient. Il se compose des documents en lien avec toutes les transfusions réalisées :

→ la prescription médicale : un feuillet est conservé à l’EFS au moment de la délivrance du PSL, le second est archivé dans le dossier transfusionnel ;

→ la fiche de délivrance : un feuillet est à retourner à l’EFS, le second est archivé dans le dossier transfusionnel ;

→ le document de groupage sanguin, les résultats de RAI et les protocoles transfusionnels sont conservés dans le dossier transfusionnel ;

→ le document de consigne transfusionnelle en lien avec les antécédents immunologiques du patient (grossesse, greffe…) ;

→ la fiche d’incident transfusionnel, le cas échéant.

COMPATIBILITÉ ABO

UNE NOUVELLE TECHNIQUE

Depuis quelques mois un nouveau test de compatibilité ABO est à disposition des professionnels. Si le précédent système repose sur l’hémagglutination, celui-ci repose sur la technique d’immuno-fixation par spots. La réalisation, la lecture et l’interprétation des résultats ne relèvent pas de la même démarche intellectuelle.

→ Nouvelle génération de test de compatibilité biologique ABO (AB Test Card-Diagast). Photo 1.

La lecture et l’interprétation des résultats sont colorimétriques.

Zone rouge = présence de l’antigène

Zone verte à translucide = absence de l’antigène

Le principe est basé sur la fixation d’anticorps (anti-A et anti-B) de façon covalente dans une membrane poreuse. Seules les hématies possédant l’antigène correspondant à l’anticorps sont retenues. L’interprétation des résultats est immédiate.

→ Ancienne génération de test de compatibilité biologique ABO (Serafol /Bio-Rad, et Safety Test ABO/Diagast). Photo 2. La lecture et l’interprétation des résultats se font par la visualisation ou non de réactions d’agglutination entre les sérums tests d’anticorps anti-A et anti-B et les antigènes présents ou non sur les hématies du patient et du CGR.

Cette nouvelle génération s’inscrit dans une démarche de gestion des risques :

– aucune contamination croisée entre les différents puits de recueil du sang ;

– pas de risque d’accident d’exposition au sang pour le soignant, car les zones de recueil de sang sont sèches immédiatement.

– lecture colorimétrique permettant des résultats standardisés, sans équivoque ;

– traçabilité d’une partie du test (identité patient, identité CGR, interprétation des résultats) via une étiquette détachable autocollante que l’on peut joindre au dossier transfusionnel.

L’identification du patient, une étape exigeante

• L’identification d’une personne soignée répond à des impératifs de qualité et de sécurité. La bonne identification du patient permet d’assurer le bon acte (soins techniques, imagerie médicale, intervention chirurgicale…) au bon patient. Une erreur d’identification peut être lourde de conséquences.

• L’identitovigilance est un système de surveillance et de gestion des risques et erreurs liés à l’identification des patients.

Ce n’est pas une vigilance réglementaire, mais un véritable risque lié aux soins.

• La responsabilité du professionnel est engagée lors du contrôle de l’identité. Ce contrôle est une pratique exigible, prioritaire depuis la certification des établissements de santé (V2010, HAS). Elle demande rigueur, sérieux et respect des procédures. Chaque établissement de santé répond à une charte régionale d’identitovigilance. Elle vise à harmoniser la saisie des identités au sein de toutes les structures de santé d’une même région.

• Le recueil de l’identité est l’une des toutes premières étapes de la prise en charge du patient. Elle se traduit par l’enregistrement de données dans le système d’information de l’établissement. Cette identité est la représentation administrative d’une personne physique, définie selon trois types de traits :

– traits stricts : seuls le nom de famille (appelé aussi nom de naissance), le sexe et la date de naissance doivent être retenus au titre des traits stricts, et ce pour le sexe masculin comme féminin ;

– traits étendus : ce sont le nom d’usage, le prénom, l’adresse et le numéro IPP (identifiant permanent du patient) ;

– traits complémentaires : antécédents, groupe sanguin.

• Des difficultés rencontrées sont de plusieurs ordre.

• Liées à la situation :

– personne soignée ne pouvant décliner son identité (inconscient…) ;

– personne soignée ne présentant pas l’ensemble des documents administratifs (pièce d’identité…).

• Liées à la personne :

– non-utilisation du prénom de l’état civil ;

– patient étranger (barrière de la langue, lecture difficile des documents officiels d’état civil…) ;

– usurpation d’identité ;

– enfants (pas de représentant légal au moment de l’hospitalisation).

• Liées aux identités :

– orthographe des noms complexes ;

• homonymes…

• Liées à la technique : logiciels non adaptés.

• Liées à la pratique professionnelle : règles d’identification.

Textes de référence :

→ Instruction DGOS/MSIOS n° 2013-281 du 7 juin 2013 relative à l’utilisation du nom de famille (ou nom de naissance) pour l’identification des patients dans les systèmes d’information des structures de soins. Elle définit des règles de saisie commune.

→ Circulaire n° 5575/SG du 21 février 2012 relative à la suppression des termes « Mademoiselle », « nom de jeune fille », « nom patronymique », « nom d’épouse » et « nom d’époux » des formulaires et correspondances des administrations.