L'infirmière Magazine n° 375 du 01/10/2016

 

ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE

DOSSIER

Aurélie Vion  

Depuis 2009, à Grenoble, des séances d’éducation thérapeutique du patient (ETP) sont proposées aux sourds diabétiques. Un programme qui a nécessité de retravailler les outils existants.

Naïvement, nous pensions qu’avec nos outils très visuels, il serait facile de transposer notre module d’éducation thérapeutique du patient diabétique pour les sourds… Nous avions tort ! » Sophie Uhlenbusch, diététicienne à l’unité transversale pour l’éducation du patient (Utep) du CHU de Grenoble, a le mérite d’être lucide et franche. Du travail mené avec l’unité d’accueil et de soins pour sourds (UASS) pour mettre au point des séances d’ETP adaptées, elle est sortie enrichie, car cette expérience a réinterrogé sa pratique et celle de ses confrères et consœurs. « Avec les sourds, on s’est posé des questions que l’on ne se pose pas avec les entendants. Et nous avons réfléchi à la pertinence de nos outils », retient-elle. Pourquoi, par exemple, le body link que nous utilisions jusqu’ici ne respectait-il pas le bon positionnement des organes ? » « Ce n’était pas logique et cela a tout de suite posé problème avec le premier groupe de patients sourds diabétiques qui a servi de test, explique Joëlle Blanchard. Déjà parce que pour dire le mot “cœur” en signant, on met la main à la place du cœur. » Cette intermédiatrice (donc elle-même sourde) exerçant au sein de l’UASS du CHU a travaillé avec la diététicienne pour élaborer de nouveaux outils adaptés à la population sourde.

Une cohérence propre

« Il faut connaître la logique des sourds pour construire des outils efficaces et pertinents, souligne Joëlle Blanchard. Par exemple, pour expliquer qu’il existe des aliments qui n’ont pas le goût sucré, mais sont sources de glucides, nous avons représenté un morceau de sucre dans l’estomac, mais un morceau de sucre barré au niveau de la bouche. Il est important d’avoir toutes les étapes. » L’ensemble des outils ont été coconstruits et validés par le service de diabétologie qui a étroitement collaboré à ce programme validé par l’Agence régionale de santé. Les séances s’adressent à des groupes composés de quatre à huit patients et/ou accompagnants sur une durée de trois jours. Objectifs : renforcer et développer des compétences pour vivre au quotidien avec le diabète, comprendre ce qui se passe dans son corps, savoir gérer ses médicaments, bien manger, maîtriser les gestes techniques comme l’injection, la glycémie, les soins des pieds, etc. « Nous nous sommes rendu compte qu’énormément d’informations passaient par l’audition et que les sourds possédaient des notions en termes d’équilibre alimentaire bien inférieures à la moyenne ; ils rencontrent, par exemple, des difficultés à se faire à manger et à maîtriser les techniques culinaires », précise Sophie Uhlenbusch. « Il faut avoir à l’esprit que beaucoup de sourds ont vécu des échecs scolaires et n’ont pas forcément accès à des informations qui semblent basiques », confirme Joëlle Blanchard.

Et au centre, le patient

Débutées en 2009, ces séances d’ETP pour sourds diabétiques ont évolué tant sur les outils que sur le mode de fonctionnement. Ce n’est pas la diététicienne qui anime les séances, mais deux intermédiatrices qui ont reçu une formation préalable. L’avantage est d’éviter le décalage de la traduction en langue des signes induit par l’interprétariat. Deux interprètes sont bien présents mais ils sont là pour traduire les échanges pour les professionnels de santé (entendants) présents en fonction de la thématique (une infirmière pour les soins des pieds, une diététicienne pour l’alimentation, un médecin pour le traitement…). « L’objectif est d’être réellement centré sur le patient. Ce sont les équipes qui s’adaptent aux besoins des patients et non l’inverse », résume la diététicienne. Malgré les difficultés – à l’image des différences de niveaux en langue des signes –, l’équipe réfléchit à élargir le programme d’ETP à d’autres pathologies comme les maladies cardiovasculaires.