Une patiente est transfusée d’un produit sanguin labile qui ne lui est pas destiné. Si cette erreur n’a pas eu de conséquence sur sa santé, elle met en lumière les différents facteurs matériels, humains et organisationnels qui ont rendu cet incident possible.
→ Mme Carmen B., née le 12 juin 1960, est hospitalisée en neurochirurgie pour une hernie discale lombaire résistante aux traitements antalgiques majeurs. Elle doit être opérée à 7 h 00 le lendemain matin.
→ À 17 h 00 le dimanche, le médecin de garde vérifie la numération plaquettaire de la patiente qui se révèle être inférieure à 80 G.L-1.
→ Afin de garantir une bonne coagulation péri-opératoire, le clinicien prescrit pour le jour même un mélange de concentrés de plaquettes (MCP) à transfuser dès réception et réalise l’information éclairée de la patiente sur les bénéfices/risques liés à cette transfusion.
→ L’IDE de neurochirurgie vérifie qu’il existe bien un dossier transfusionnel et une carte de groupe sanguin valide pour cette patiente avant d’acheminer la prescription vers le site de délivrance des produits sanguins labiles (PSL).
→ Au site de délivrance, le technicien de garde réceptionne la demande et la traite une demi-heure plus tard. En recherchant la patiente dans le logiciel médico-technique (LMT) du site, il s’aperçoit que la patiente a déjà été transfusée d’un MCP la veille. Il appelle donc le service d’hématologie, où elle est identifiée sur la prescription reçue, pour confirmation de la transfusion. L’IDE en poste, seule pour tout le week-end, confirme la présence de la patiente dans le service. Le technicien prépare alors la commande.
→ À 17 h 45, un brancardier récupère les PSL destinés à l’hématologie et les achemine dans le service.
→ L’IDE, débordée et continuellement interrompue dans la réalisation de ses soins, lui indique où les entreposer et le laisse repartir.
→ À 18 h 05, Mme Carmen B., née le 12 mai 1960 et hospitalisée en secteur stérile après une greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) allogéniques réalisée 10 jours plus tôt, est transfusée, sans incident, d’un MCP non irradié contrairement à ce que prévoit son protocole transfusionnel pré et post greffe de CSH allogéniques.
→ À 18 h 30, l’IDE du service de neurochirurgie appelle le site de délivrance pour s’informer sur la suite donnée à la prescription du MCP pour sa patiente…
L’erreur d’attribution du PSL est à première vue due à une homonymie non détectée.
Cet incident a fait l’objet d’une déclaration réglementaire conjointe d’incident grave de la chaîne transfusionnelle sur le logiciel d’hémovigilance e-FIT auprès de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) par les correspondants d’hémovigilance de l’établissement de soins et du site de délivrance des PSL. Il n’a pas été rédigé de fiche d’évènement indésirable receveur (FEIR) du fait de l’absence de conséquences cliniques observables chez la patiente d’hématologie, et une nouvelle prescription de MCP a été rédigée pour la patiente de neurochirurgie.
À cette fiche d’incident grave (FIG) a été associée l’ouverture d’une fiche d’analyse systémique d’un incident de la chaîne transfusionnelle afin d’identifier les causes latentes ou causes racines ayant favorisé ces défaillances actives. En appui de cette fiche d’analyse et afin de sensibiliser à la démarche de gestion des risques les différents professionnels de santé qui ont relayé la succession d’erreurs ayant conduit à cet incident, un groupe de travail regroupant des professionnels de santé des deux structures (établissement de soins et site de délivrance) a été constitué afin d’analyser l’incident, d’identifier les causes racines et proposer des actions d’amélioration visant à éviter son renouvellement.
À l’aide du modèle de Reason, les différents niveaux de défaillance sont définis, étape par étape (voir schéma ci-contre).
→ Patient. Les deux patientes sont extrêmement fatiguées, mais parfaitement capables de répondre à des questions ouvertes. À aucun moment, elles n’ont été interrogées sur leur identité complète (nom de naissance, d’usage, prénom, date de naissance).
→ Soignant-équipe. Médecin et infirmières sont expérimentés et connaissent les procédures transfusionnelles en vigueur dans l’établissement. Ils ont tous été formés à la réalisation de l’acte transfusionnel. Le médecin de garde pour l’ensemble de la structure est hématologiste dans l’établissement et les infirmières des deux services sont seules le week-end pour une charge de travail anormalement élevée. Ces professionnels ont l’habitude de travailler ensemble, se respectent et bénéficient d’une grande confiance les uns envers les autres. Il existe néanmoins une certaine banalisation de l’acte transfusionnel due à la fréquence des transfusions, au peu d’incidents relatés et au climat de sécurité existant, chacun faisant pleine confiance au professionnel intervenu avant lui.
→ Tâches
• Le médecin, pour réaliser la prescription, s’identifie dans la base de données avec son nom/prénom, ce qui le rattache automatiquement à son service d’exercice habituel, l’hématologie, où il suit quotidiennement une patiente ayant le même nom et prénom que celle qu’il doit prendre en charge en neurochirurgie…
Il se trompe de patiente en la sélectionnant dans la base et rédige sa prescription pour Mme Carmen B., née le 12 mai 1960, hospitalisée en secteur stérile d’hématologie pour une leucémie aiguë myéloblastique (LAM) et dont il est le médecin traitant.
Cette patiente vient de bénéficier d’une greffe de CSH allogéniques pour laquelle un protocole transfusionnel de PSL « irradiés » a été mis en place avec le site de délivrance et qui a reçu, la veille une transfusion de MCP « irradié ».
• L’infirmière de neurochirurgie ne vérifie pas la concordance d’identité sur la prescription avant de l’acheminer vers le site de délivrance et n’y joint aucun autre document d’immuno-hématologie susceptible d’arrêter l’erreur. Elle ne se rend donc pas compte de la discordance de date de naissance…
• Le technicien du site de délivrance reçoit une prescription émanant d’hématologie, pour une patiente d’hématologie et rédigée par le clinicien en charge de la patiente. Il s’inquiète tout de même des deux transfusions de plaquettes successives, plutôt inhabituelles sur une numération plaquettaire considérée comme normale en hématologie en dehors de tout contexte hémorragique, et contrôle la demande en appelant le service d’hématologie où l’infirmière ne vérifie pas la présence d’une prescription pour cette patiente, n’interpelle pas le prescripteur et valide en toute confiance… Le technicien ne s’interroge pas sur l’absence de protocole « irradié » pour ce MCP et valide à son tour la commande en toute confiance…
• Le brancardier vient récupérer les PSL destinés au service d’hématologie sans aucun document permettant d’identifier ni le patient, ni le service destinataire des produits sanguins.
→ Environnement
• Le système informatique est mis en défaut.
• Les soins subissent des interruptions répétitives des tâches et la charge de travail crée un environnement stressant, incitant les professionnels à travailler plus vite pour répondre aux contraintes horaires et réaliser tous les soins avant le changement d’équipe à 19 h 30.
• Il existe une mauvaise anticipation de la charge de travail ayant entraîné une mauvaise adéquation personnel/patient nécessaire à une bonne prise en charge des soins.
• Le retrait des PSL à destination des services est insuffisamment sécurisé.
→ Contexte institutionnel. La sécurisation et les modifications des systèmes informatiques représentent un coût et un travail important rencontrant ainsi des résistances à sa mise en œuvre. La sécurité et la gestion des risques sont perçues comme une priorité, mais nombre de personnels ne s’en sont pas encore appropriés les outils et la démarche.
Des pistes d’amélioration sont élaborées pour chaque type d’erreur.
→ Dans le LMT, la prescription a automatiquement été attribuée à l’hématologie, service auquel est habituellement rattaché le prescripteur.
Proposition d’amélioration : modification du paramétrage du LMT afin que le prescripteur inscrive lui-même le service pour lequel il rédige la prescription.
→ Le médecin se trompe de patiente dans le LMT, car le nom et prénom lui sont familiers et il ne contrôle pas la date de naissance.
Proposition d’amélioration : identifier les doublons par un code couleur dans le LMT de manière à attirer l’attention des utilisateurs à qui il est rappelé qu’une identité se vérifie en présence du patient, en lui faisant épeler son nom de naissance, d’usage le cas échant, son prénom et sa date de naissance.
→ L’IDE de neurochirurgie n’a pas pris le temps de vérifier les concordances d’identité figurant sur la prescription avec les éléments du dossier transfusionnel avant de l’acheminer vers le site de délivrance. Elle a lu le nom, prénom, pas la date de naissance et n’a pas repéré l’erreur de service.
Proposition d’amélioration : joindre à toute prescription de PSL, conformément à la circulaire du 15 décembre 2003 relative à la réalisation de l’acte transfusionnel, le document de groupage sanguin, après en avoir vérifié les concordances avec l’identité figurant sur la prescription. Le document sera retourné au service prescripteur accompagné des PSL délivrés.
Indicateur de suivi : nombre de prescriptions présentées au site de délivrance sans le document de groupe sanguin.
→ Le technicien du site de délivrance ne s’interroge pas sur l’absence de prescription du protocole transfusionnel d’irradiation pour cette patiente et n’en demande pas la raison au prescripteur.
Propositions d’amélioration :
– dans le LMT, repérer et signaler par une alerte les homonymies et tracer tout protocole transfusionnel temporaire avec une date de début et de fin ;
– l’absence de mention du protocole transfusionnel en cours sur une prescription doit être un critère de rejet de la prescription et l’appel du prescripteur est obligatoire pour modification de la prescription, selon la procédure en cours dans l’établissement de santé.
→ À l’appel du technicien, l’IDE d’hématologie ne vérifie pas la présence d’une prescription dans son service pour cette patiente et valide simplement sa présence à l’énoncé de son nom, prénom et de la fréquence des transfusions reçues.
Proposition d’amélioration : toute demande d’information orale complémentaire formulée à l’unité de soins doit être confirmée en regard d’une prescription présente, validée par le prescripteur si besoin, puis tracée par le site de délivrance. Elle doit être explicite.
→ Le brancardier se présente sans aucun document de retrait au site de délivrance et tous les PSL lui sont remis.
Proposition d’amélioration : le retrait des PSL par le brancardier ne doit se faire que sur présentation d’un document rappelant le nom de naissance, le nom d’usage, prénom, date de naissance du patient, son unité de soins et le PSL attendu. La formation de ces personnels est programmée après validation par le Comité de sécurité transfusionnelle et d’hémo-vigilance (CSTH).
Indicateur de suivi : nombre de retraits de PSL sans présentation d’un document d’identification
→ L’IDE ne réalise ni le contrôle à réception en présence du brancardier et en appui de la prescription, ni le contrôle ultime des concordances au lit de la patiente. Elle valide la transfusion en regard de l’appel du dépôt quelques minutes plus tôt.
Propositions d’amélioration :
– un rappel des exigences règlementaires est planifié pour l’ensemble des professionnels et un document traçant tous les items du contrôle à réception mis en place et progressivement intégré à la fiche de délivrance après validation par le CSTH. Indicateur de suivi : nombre de documents de contrôle à réception correctement remplis ;
– un audit des pratiques sera réalisé par le correspondant d’hémovigilance de l’établissement de soins afin d’identifier les écarts existants avec la circulaire du 15 décembre 2003 au sein des services. En parallèle, seront proposés des actions de formation visant à les réduire et à rappeler que tous les PSL font l’objet d’un contrôle à réception en appui d’une prescription et d’un contrôle ultime des concordances d’identité réalisé en présence du patient (lire p. 48). Ces deux étapes sont distinctes l’une de l’autre et doivent être impérativement réalisées en toutes circonstances ;
– la direction des soins est invitée à réfléchir à la possibilité d’accorder un personnel supplémentaire le week-end lorsque l’augmentation d’activité crée un déséquilibre favorisant la survenue d’incidents.
L’utilisation de la fiche d’analyse systémique d’un incident et la constitution d’un groupe de travail regroupant les différents acteurs de la sécurité transfusionnelle ont permis la mise en place d’actions correctives initiées et validées par les professionnels eux-mêmes. Ces actions ont contribué à accroître la sécurité des soins en favorisant l’adhésion aux outils d’une démarche de gestion des risques, la cohésion, le travail en équipe et la gestion des interphases en rendant chaque acteur responsable de sa propre organisation de travail.
→ La réaction du greffon contre l’hôte (GVH) est une réaction immunitaire où les lymphocytes T provenant d’un greffon de cellules souches ou de produits sanguins labiles, reconnaissent les cellules du receveur comme étant étrangères et les détruisent. Le receveur, totalement immunodéprimé du fait de son conditionnement, ne peut se défendre contre ces cellules qui l’agressent (lire p. 57). Les lésions principales affectent la peau, les muqueuses, le foie, l’estomac et/ou les intestins. La gravité, de légère à majeure, peut entraîner le décès.
→ La GVH est la principale complication de la greffe de cellules souches allogéniques. Pour la prévenir ou la traiter, le patient greffé reçoit des immunosuppresseurs associés à un protocole transfusionnel d’irradiation des concentrés de globules rouges et des concentrés ou mélanges de plaquettes si ces derniers n’ont pas été traités par Amotosalen. Cette transformation du produit sanguin est destinée à détruire les derniers lymphocytes ayant échappé à la déleucocytation systématique des produits sanguins labiles.
Elle est inscrite dans le logiciel médico-technique du site de délivrance, sur chaque prescription, sur chaque produit sanguin délivré et doit faire l’objet d’un contrôle des soignants à réception dans l’unité de soins. Le non-respect de cette indication transfusionnelle doit être immédiatement signalé.
→ Ce protocole est porté à la connaissance du patient à qui il est remis un document expliquant l’indication et sa durée. Il est recommandé de programmer cette transformation « irradiée » sept jours avant la greffe de cellules souches hématopoïétiques allogéniques et de la poursuivre au moins pendant un an après la greffe.
Recommandations de bonne pratique de transfusions de globules rouges et de plaquettes – HAS, novembre 2014 et octobre 2015.
Références d’UE et extrait de leur contenu :
→ UE 2.1.S1 « Biologie fondamentale » (compétence 4) : biologie cellulaire et moléculaire ;
→ UE 4.3 S4 « Soins d’urgence » (compétence 4) ;
→ UE4.4.S4 « Thérapeutique et contribution au diagnostic médical » (compétence 4) : réalisation d’actes contribuant au traitement ou au diagnostic conforme à la réglementation, pose de transfusion sanguine, risques, précautions ;
→ UE 4.5.S4 « Soins infirmiers et gestion des risques » (compétence 7) : hémovigilance, infectiovigilance, etc. ;
→ UE 2.5.S3 « Processus inflammatoires et infectieux » (compétence 4) : mécanismes physiopatologiques, principes de l’immunologie, signes, traitements… ;
→ UE 2.10.S1 « Infectiologie-hygiène » (compétence 3) : précautions standards, moyens de lutte contre l’infection, etc. ;
→ UE 1.3.S1 et 1.3.S4 « Législation éthique déontologie » (compétence 7) ;
→ UE 4.1.S1 « Soins de confort et de bien-être » (compétence 3) ;
→ UE 4.2.S3 « Soins relationnels » (compétence 6) : relation d’aide.