Mis en place par une équipe référente, le soin de bouche aromatique participe au confort et au bien-être du patient en phase palliative. Un soin proposant une couverture thérapeutique large qui permet de reconnecter le patient à son environnement.
Bien que l’aromathérapie en soit encore à ses débuts en milieu hospitalier, elle peut être un véritable outil thérapeutique complémentaire de la médecine conventionnelle. En effet, en plus d’apporter des solutions aussi utiles qu’agréables, cette approche, qui s’appuie sur l’utilisation médicale des extraits aromatiques de plantes, vise à améliorer le confort et le bien-être du patient. En soins palliatifs, l’aromathérapie peut être utilisée en diffusion pour contrer les mauvaises odeurs ou en application cutanée (toucher/massage, affection dermatologique, réfection de pansement), mais elle peut aussi être utile dans l’hygiène buccale, tout particulièrement dans le cas de bouches pathologiques. Initié en 2010 au Groupe hospitalier et médico-social du Haut Val de Sèvre et du Mellois, suite à la demande d’un patient très sensible aux odeurs, ce projet est complété par une formation sur le maniement des huiles essentielles, assurée par une aromathérapeute, autour des soins de bouche.
La cavité buccale est l’une des voies d’introduction des huiles essentielles. En effet, la langue – riche en réseaux veineux – en est un élément clé. Ainsi, les molécules aromatiques passent directement dans la circulation générale en court-circuitant le filtre hépatique.
Dans les unités palliatives, les soins de bouche sont de première importance en matière de prévention et de confort. Ils permettent de restaurer l’image de soi et le respect du bien-être psychologique. Ce geste quotidien d’hygiène basique, qui doit parfois être reproduit plusieurs fois par jour, reste malgré tout un soin intrusif, la bouche étant un lieu d’intimité, d’amour, de sensualité, donc une source de plaisir. Ritualisé, le soin buccal est un geste qui peut vite être banalisé, considéré comme un soin secondaire voire négligé en raison d’une gêne ou d’une forme de répulsion, d’une certaine pudeur, ou d’un manque de reconnaissance. La difficulté du soin pour le soignant consiste ainsi à faire abstraction des odeurs et des images pour en faire un temps de rencontre et d’attention, un soin de qualité, d’authenticité et de respect, un soin qui prend du sens.
Le soin de bouche aromatique est proposé aux patients en stade palliatif qui présentent une altération de l’état buccal. Ce soin de deuxième intention complète l’hygiène de base. La bouche des patients en stade palliatif est fragile, car ces derniers accumulent plusieurs facteurs en cause dans l’altération de leur état buccal, notamment la chimiothérapie, la radiothérapie, la dé?nutrition, les médicaments, les pathologies générales, le vieillissement, les infections, la déshydratation, la formation néoplasique endobuccale et la mauvaise hygiène buccale qui peuvent entraîner des douleurs, des difficultés à boire ou à manger et à communiquer.
En bains de bouche, les huiles essentielles permettent de garder une bouche saine et préviennent la mauvaise haleine. Des chercheurs en odontologie ont validé leur utilisation pour leurs actions de prévention contre les bactéries responsables des caries dentaires avec une plus grande efficacité comparée à certains désinfectants chimiques utilisés en soins dentaires.
Dans notre service, nous proposons le soin de bouche aromatique dans les cas suivants :
→ xérostomie : symptôme fréquent en stade palliatif qui se traduit par une sécheresse buccale, il est souvent le point de départ des problèmes de la muqueuse buccale ;
→ l’halitose : mauvaise haleine due à une accumulation de débris, de crachats ou de sécrétions abondantes ;
→ bouche sale : des croûtes et des dépôts sont dus à une baisse de la quantité de salive. En plus du risque d’infection, on note des répercussions sur la qualité de communication ;
→ bouche ulcérée : elle correspond à une perte de substance (l’aphtose buccale et l’infection virale herpétique) ;
→ bouche mycosique ;
→ bouche douloureuse ;
→ troubles du goût.
À l’arrivée du patient dans le service, nous procédons à une évaluation de l’état buccal en trois étapes (interrogatoire, examen et évaluation) à l’aide de la grille OAG (Oral Assesment Guide) (voir ci-dessus), dont le score varie de 8 à 24 :
→ un score de 8, la bouche est saine ;
→ si le score est compris entre 8 et 16, elle est altérée ;
→ si le score est supérieur à 16, on estime qu’elle est très altérée.
Ainsi, l’infirmière observe l’état des gencives, des dents, de la langue, de la salive, des joues, du palais et de l’arrière-gorge. Elle note l’état des lèvres et la présence d’une odeur particulière de l’haleine. Elle vérifie aussi l’ajustement des prothèses aux gencives, car une mauvaise adhérence peut causer des petits ulcères aux gencives. L’examen terminé, l’IDE peut identifier les problèmes et planifier les interventions.
L’intérêt de cette évaluation est de décrire l’état buccal, d’adapter des soins personnalisés, de suivre l’évolution, de définir le type de soins – préventif ou curatif – et d’en évaluer l’efficacité. Il est nécessaire de tracer cette évaluation afin que la continuité des soins puisse être assurée par toute l’équipe soignante.
Si la bouche est altérée, des huiles essentielles sont associées au soin de bouche. Nous pouvons aussi en proposer si le traitement allopathique est inefficace ou mal toléré. Toute l’équipe médicale et paramédicale connaît cette approche ; ils font donc appel à nous dès qu’ils estiment que l’aromathérapie pourrait être utile au patient.
La préparation à base d’huiles essentielles utilisée dans le service a été conçue par le Dr Baudoux, pharmacien aromatologue. Composée de mentha piperita (menthe poivrée), de satureja montana (sarriette des montagnes), de laurus nobilis (laurier noble), de chamaemelum nobile (camomille noble) et de litsea citrate (litsée citronnée), elle permet une action antalgique, anti-inflammatoire, cicatrisante, antibactérienne, antifongique et antiparasitaire. Nous adaptons la concentration en fonction de la tolérance du patient.
Avant de pouvoir utiliser toute huile essentielle, il est nécessaire de la diluer dans un corps gras. Toute substance huileuse peut servir d’excipient. La préparation, elle, peut être gardée en bouche tant que le goût le permet et tant qu’elle ne présente pas un risque d’irritation.
L’équipe référente en soins palliatifs a créé – et suit – un protocole qui débute par l’évaluation de l’état buccal à l’aide de la grille OAG, puis la transmission dans le dossier. Nous procédons ensuite à un soin de bouche basique adapté au patient en privilégiant son autonomie, puis nous appliquons la préparation aromatique (huile essentielle diluée dans une huile végétale) sur la muqueuse buccale plusieurs fois par jour en fonction de la satisfaction de celui-ci. Enfin, nous réalisons une réévaluation de la bouche.
M. L. se plaignait d’une sécheresse buccale et de troubles du goût. L’évaluation de l’état buccal révèle un score de 17, sa bouche est donc très altérée. Nous lui proposons donc d’utiliser la préparation aromatique « synergie bucca » en complément des bains de bouche. Le consentement du patient est primordial. M. L. exprime tout d’abord une certaine méfiance vis-à-vis de l’aromathérapie. Mais il accepte de tester notre synergie en complément des autres réflexes, notamment d’humidifier régulièrement la bouche, de multiplier les soins et bains de bouche basiques, de consommer des sorbets, des fruits frais, de suçoter des bonbons peu sucrés… Des gestes destinés à augmenter la production de salive.
Dès la première utilisation de la préparation aromatique, M. L. reconnaît le goût et l’odeur de la camomille. Ce qui lui rappelle un souvenir : enfant, sa mère l’utilisait en infusion pour l’aider à s’endormir, alors qu’aujourd’hui, il a besoin d’un somnifère… Absentes du traitement médicamenteux, les sensations gustatives et olfactives mises en avant par l’aromathérapie font souvent ressurgir des souvenirs enfouis dans la mémoire et suscitent l’éveil des émotions, des sentiments. Certaines senteurs peuvent ainsi induire des réactions affectives positives. La seule présence d’une odeur agréable peut, par exemple, conduire à une amélioration de l’humeur. La sécheresse buccale de M.L. s’est rapidement améliorée, une réévaluation réalisée deux jours plus tard révèle un score de 10.
L’application des huiles essentielles sur la muqueuse buccale est intéressante, car nombre de vaisseaux sanguins s’y bousculent, ce qui permet d’accélérer le passage des huiles et donc de soulager rapidement.
Les huiles essentielles sont des outils utiles pour aider à rétablir la communication et les échanges. Elles reconnectent l’individu au monde extérieur, aux autres en redonnant au patient le goût de communiquer. L’aromathérapie peut éviter le repli sur soi du patient en aidant et développant son expression.
M. L. était renfermé sur lui et s’ouvrait peu aux autres, et finalement, avec quelques applications de préparation aromatique, il a pu verbaliser ses émotions, ses goûts, ses dégoûts, ses désirs, son projet de vie. Il est arrivé à bien identifier chaque soignant et s’est montré bienveillant envers chacun.
En supplément du soin d’hygiène basique (qui assure le confort, évite la douleur, prévient les complications et facilite l’alimentation, la digestion et la respiration), et du soin médicamenteux (qui traite les affections, prévient les surinfections et diminue les complications liées à la douleur et aux infections), le soin de bouche aromatique atténue les désagréments et soulage les symptômes. Il stimule également la relation en éveillant les plaisirs sensoriels des patients en stade palliatif. Rigoureusement encadrée, cette thérapeutique naturelle améliore la qualité de vie du patient et contribue à donner une certaine forme de bien-être à une période particulièrement difficile de la vie.
M. L., 56 ans, est admis en soins de suite et de réadaptation pour une prise en charge palliative dans un contexte de cancer ORL. Il présente une atteinte cutanéo-muqueuse et une mycose buccale post radio et chimiothérapie. Dans un premier temps, il est nourri essentiellement par sonde nasogastrique. Le patient se plaint d’une sécheresse buccale et de troubles du goût. Il communique peu avec les soignants et la prise en charge s’avère difficile, d’autant qu’il souffre d’un syndrome dépressif sévère traité par antidépresseurs.
→ 2008 : Ouverture de 5 lits identifiés en soins palliatifs dans le service de soins de suite et de réadaptation sous la responsabilité du Dr Bouchaud.
→ 2010 : Création du projet d’utilisation des huiles essentielles en diffusion. Un financement par la Fondation de France permet un démarrage dans de bonnes conditions par l’achat de matériel et la formation du personnel.
→ 2011 : Utilisation de l’aromathérapie en toucher/massage.
→ 2012 : L’aromathérapie se développe pour les soins de bouche à l’initiative d’une infirmière référente en soins palliatifs.
Selon le collège national d’aromathérapie, « une huile essentielle est l’âme d’une plante aromatique. C’est l’essence volatile extraite de plantes aromatiques par distillation ».
Ce composé hydrophobe ou lipophile (soluble dans un corps gras et insoluble dans l’eau) possède diverses vertus. En voici des exemples :
→ le laurier noble pour ses vertus antibactériennes, fongicides, antalgiques, cicatrisantes ;
→ la sarriette des montagnes pour son action antalgique, antibactérienne et fongicide ;
→ la camomille pour ses vertus anti-inflammatoires, antalgiques, calmantes du système nerveux central ;
→ la litsée citronnée pour ses propriétés anti-inflammatoires, fongicides, désodorisantes ;
→ la menthe poivrée pour ses vertus antalgiques, anesthésiques, anti-inflammatoires, digestives, rafraîchissantes.