Bien dormir… pour mieux vivre - L'Infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

MARIE FUKS  

On passe entre un tiers et un quart de notre existence à dormir. Le sommeil est indispensable à la vie et sa qualité influence notre état de santé. Pourtant, les Français dorment beaucoup moins qu’il y a 30 ans et sont nombreux à négliger leur sommeil.

1. LE RÔLE DU SOMMEIL

Le sommeil est un état durant lequel le cerveau fonctionne en circuit fermé, sans connexion avec l’extérieur. Il permet au corps de se reposer et au cerveau de se recharger en énergie pour pouvoir reconstruire les réseaux de neurones endommagés, fixer la mémoire, réguler la sécrétion de nombreuses hormones (dont l’hormone de croissance chez l’enfant) et des anticorps indispensables à l’immunité, mais aussi restaurer et maintenir en bon état les fonctions physiologiques et psychologiques « usées » par l’éveil.

Impact sur la santé

Les études récentes ont montré qu’au-delà de ses effets sur les fonctions psychologiques, le sommeil retentit aussi sur la santé physique. Au début des années 2000, une étude américaine a montré qu’une réduction de la durée de sommeil de 3 h par nuit chez des sujets volontaires de poids normal entraînait une prise de poids de 1 kg en deux semaines comparée à un groupe témoin du même âge soumis au même régime, mais dormant normalement(1). En fait, la dette de sommeil a pour conséquence de réduire la production de leptine (hormone qui provoque la sensation de satiété) et de stimuler la sécrétion de ghréline et d’hypocrétine (hormones qui stimulent l’appétit) durant l’éveil, ce qui favorise les comportements de recherche de nourriture, le grignotage et le surpoids. Ces recherches ont également montré qu’une dette chronique de sommeil induit un mauvais métabolisme des sucres, en cause dans la survenue de l’obésité et du DT2(2). Elle favorise aussi l’hypertension, la diminution des défenses immunitaires, l’augmentation du taux d’hormones pro-inflammatoires et des processus inflammatoires, ainsi qu’une hypersécrétion de cortisol (l’hormone de stress) et le développement de troubles anxio-dépressifs(3). Enfin, la dépression est souvent associée à une insomnie sévère et les patients bipolaires présentent systématiquement une insomnie avant un accès maniaque.

Y a-t-il une bonne durée de sommeil ?

La durée idéale de sommeil est propre à chaque individu. C’est celle qui permet de se sentir en bonne forme physique et mentale pendant la journée. Si les Français dorment en moyenne 7 h par nuit en semaine (1 à 2 h de plus le week-end), certains « longs dormeurs » (15 % de la population) ont besoin de plus de 9 h de sommeil tandis que les « courts dormeurs » (également 15 %) peuvent se contenter de moins de 5 à 6 h de sommeil pour être en forme. Cela dit, la qualité du sommeil n’est pas corrélée à sa durée. On peut être long ou court dormeur et avoir un sommeil de bonne ou de mauvaise qualité.

Un besoin évolutif

Le besoin de sommeil évolue avec l’âge. Prépondérant chez les nourrissons (environ 18 h), il reste important jusqu’à l’adolescence : 14 h en moyenne à un an, 12 h à 4-5 ans, 10 h à 12 ans et 9 h à 15-17 ans(3). À l’âge adulte, il se stabilise autour de 7 à 8 h en moyenne. Il varie peu avec le vieillissement (d’une demi-heure en général), mais sa répartition évolue car les personnes âgées dorment moins la nuit, ont un sommeil plus léger et plus fractionné, donc moins restaurateur, ce qui explique le besoin physiologique de faire la sieste.

2. LES MÉCANISMES

Le sommeil est organisé en cycles qui se répètent tout au long de la nuit et que l’on peut enregistrer sous forme d’hypnogramme (voir schéma ci-contre). Chaque cycle dure 90 mn (45 mn chez le nourrisson) et comprend deux grandes phases de sommeil très différentes l’une de l’autre quant à l’activité du cerveau : le sommeil lent et le sommeil paradoxal.

→ Le sommeil lent : durant cette phase, le cerveau fonctionne au ralenti et récupère. Elle comprend trois stades :

• le sommeil lent léger (stade I), le plus fragile : le patient dort mais entend les bruits environnants ;

• le sommeil un peu moins léger (stade II) ;

• le sommeil lent profond (stade III) : il se matérialise par un relâchement du tonus musculaire et un ralentissement de l’activité cérébrale sur l’ensemble du tracé de l’électroencéphalogramme. C’est le stade durant lequel on perçoit le moins l’environnement et on récupère le plus en énergie, vigilance et vitalité.

→ Le sommeil paradoxal : un peu plus d’une heure après l’endormissement, le sommeil paradoxal succède brusquement au sommeil lent. Il est appelé ainsi car, alors que le corps est comme paralysé, le cerveau fonctionne à une vitesse et une intensité beaucoup plus importantes que pendant l’éveil. Cette phase est également caractérisée par des mouvements oculaires rapides et par la survenue fréquente de rêves (voir encadré p. 40). Le sommeil paradoxal signe la fin de chaque cycle de sommeil.

Évolution des cycles au cours de la nuit

Selon que l’on ait besoin de peu ou de beaucoup de sommeil, le nombre de cycles de sommeil varie de 4 à 6. Si leur composition comprend systématiquement du sommeil lent et paradoxal, la répartition des différents stades de sommeil se modifie au cours de la nuit au sein de chaque cycle. Plus on avance dans la nuit, plus le sommeil lent profond diminue au profit du sommeil lent léger et plus les phases du sommeil paradoxal durent longtemps (45 mn lors du dernier cycle contre 10 mn au premier).

Pourquoi dort-on la nuit ?

À partir de l’âge de cinq semaines, le sommeil se répartit plutôt la nuit que le jour avec l’installation progressive du cycle jour-nuit. Ce cycle est contrôlé par notre horloge biologique (HB). Celle-ci est réglée chaque jour par des signaux de synchronisation dont le principal est la lumière. C’est elle qui, en déclenchant la production de mélanopsine (pigment situé dans les cellules ganglionnaires de la rétine), active les circuits nerveux qui synchronisent l’HB et indique au cerveau que c’est le moment d’être éveillé et actif. Elle augmente également la qualité de l’éveil (attention, mémoire, apprentissage, concentration). Il est donc important de s’exposer à la lumière du jour dans la matinée pour bien synchroniser notre HB, car elle est beaucoup plus puissante que la lumière artificielle, et ce, quelle que soit la saison(4). Les autres synchroniseurs externes de l’HB sont l’activité physique et dans une moindre mesure, les activités socioprofessionnelles, les repas, toutes les activités associées à une notion de temps nécessitant un contrôle de l’heure sur la montre ou la pendule. Par ailleurs, une heure ou deux avant l’endormissement, la glande pinéale sécrète une hormone, la mélatonine, qui indique à l’HB que c’est la nuit. La sécrétion de mélatonine connaît un pic vers 3 h, puis s’effondre dans la journée. Celle-ci diminue avec l’âge.

De manière générale, ceux qui ne travaillent pas en plein air sont en déficit d’exposition à la lumière et d’activité physique. C’est particulièrement le cas des jeunes adultes, dont 40 %(5) s’exposent en plus le soir et la nuit aux écrans d’ordinateurs, de tablettes et de téléphones. Or, la lumière bleue émise par leur rétroéclairage à LED forme le signal le plus puissant pour synchroniser l’HB en indiquant au cerveau que c’est le jour. Ce qui perturbe considérablement la régulation de l’HB et du sommeil.

1- Spiegel K. et al, « Brief communication: Sleep curtailment in healthy young men is associated with decreased leptin levels, elevated ghrelin levels, and increased hunger and appetite », Ann Int Med, 2004.

2- Spiegel K. et al., « Effects of poor and short sleep on glucose metabolism and obesity risk », Nature Reviews Endocrinology, 2009 ; Spiegel K. et al., « Impact of sleep debt on metabolic and endocrine function », Lancet 1999 ; Morselli L. et al, « Sleep and metabolic function », Pflugers Arch – Eur J Physiol, 2012.

3- Joëlle Adrien, Mieux dormir et vaincre l’insomnie, Éd. Larousse, 2014.

4- La lumière du jour est blanche ou bleue (lumière de l’aube). L’horloge biologique répond à cette lumière, mais pas à la lumière jaune ou rouge.

5- « Sommeil et nouvelles technologies », enquête INSV/ MGEN 2016 (bit.ly/2cUNHQu).

SOMMEIL PARADOXAL

Du rêve au cauchemar

→ Le rêve est une activité « hallucinatoire » qui donne la capacité de voir, d’entendre ou de sentir des choses qui ne sont pas présentes autour de soi(1). Il est associé à une activation du système neurovégétatif (accélération du rythme cardiaque et respiratoire). Il peut survenir à tous les stades du sommeil, mais son souvenir est beaucoup plus précis lorsqu’il se produit pendant le sommeil paradoxal. À ce stade, le cerveau fonctionne très rapidement, ce qui est propice au foisonnement de la pensée. Tel un feu d’artifice, des informations innombrables s’échangent et donnent naissance au substrat du rêve en piochant dans les puits de mémoire à court et long terme présents dans le cerveau. Ainsi, des histoires se forment en lien avec des souvenirs très anciens et très récents, également associés à des évènements cognitifs (apprentissages, prise de décision), affectifs (joie, peine, peur, frayeur, déception…) et des sensations visuelles, auditives, tactiles… vécues et qui peuvent transformer le rêve en cauchemar.

→ Les cauchemars sont donc des mauvais rêves. Ils surviennent plutôt en deuxième partie de nuit durant les stades I et paradoxal. Ils sont associés à une activation exacerbée du système neurovégétatif. Il faut les différencier des terreurs nocturnes qui sont des parasomnies (lire p. 45).

1- Mieux dormir et vaincre l’insomnie, Joëlle Adrien, Éd. Larousse, 2014.

L’hypnogramme

L’hypnogramme est le tracé qui résume le déroulement du sommeil au cours de la nuit. Il montre le nombre et la structure de chaque cycle (fait de sommeil lent et de sommeil paradoxal) et révèle l’architecture normale ou pathologique du sommeil.

SOMNOLENCE

Les bienfaits de la sieste

La sieste permet de combattre efficacement les accès de somnolence de première partie d’après-midi qui sont physiologiques et correspondent au rythme naturel de l’horloge biologique, mais qui peuvent être majorés par un manque de sommeil temporaire ou pathologique. Il existe trois types de sieste.

→ La sieste flash ou micro-sieste : elle ne dure que quelques minutes, peut être pratiquée n’importe où, y compris au bureau(1).

Il s’agit plus d’un temps de relaxation que de sommeil proprement dit.

La technique consiste à fermer les yeux et respirer profondément, bien calé dans un fauteuil, pieds posés à plat et mains sur les cuisses.

→ La sieste courte : elle ne dépasse pas 15 à 20 mn et doit se pratiquer de préférence après le déjeuner (moment physiologiquement propice à la sieste) dans des conditions confortables, mais différentes de celles de la nuit (pas allongé dans le lit, ni dans l’obscurité).

À savoir : la sieste peut être faite jusqu’à 4 heures avant l’heure prévue du coucher pour la nuit.

→ La sieste longue : comprise entre 1 h et 1 h 30, elle doit être réservée aux personnes qui dorment moins de 4 à 5 h par nuit. Dans ce cas aussi, les conditions doivent être différentes de la nuit.

1- www.institut-sommeil-vigilance.org/mon-sommeil-en-pratique