L'infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016

 

DIABÈTE

DOSSIER

Jane J. Seley et Esther Wei ont su faire reconnaître leurs compétences propres sur le diabète, dans l’un des plus prestigieux hôpital de New York. Elles tracent un chemin d’excellence dans le champ infirmier, sans complexe vis-à-vis du corps médical.

Vue du quartier de Brooklyn, de l’autre côté de l’East river, la skyline de Manhattan est l’un des plus beaux paysages urbain du monde. En partant de The One, le gigantesque building construit sur les ruines du World Trade Center, le paysage vertical alterne les hautes silhouettes élancées, massives ou asymétriques. Il s’adoucit peu à peu vers le Nord et Central Park. Là, les immeubles du Weill Cornell Medicine, l’un des principaux sites de l’hôpital Presbyterian, occupe tout un quartier en bord de fleuve. S’y côtoient une université de médecine de premier plan, un centre de recherche et un lieu de soins prisé par la meilleure société. Le New York Presbyterian est un hôpital privé non lucratif, ce qui n’a pas beaucoup de sens aux États-Unis : il affiche fièrement un chiffre d’affaires de 4,8 milliards de dollars et son PDG a un salaire très semblable à ses confrères de l’industrie pharmaceutique… Les 2 600 lits de l’hôpital sont disséminés sur six sites principaux à travers la ville. 20 000 employés, dont 6 500 médecins, y travaillent. C’est l’un des plus grand et des plus prestigieux hôpital de New York, et du monde.

Docteur en pratique infirmière

Au même titre que les professeurs de médecine qu’elles côtoient, Jane J. Seley et Esther Wei sont toutes deux des références dans leur discipline : elles sont infirmières de pratique avancée, spécialisées sur le diabète. Jane J. Seley travaille dans le service d’endocrinologie et de diabétologie de l’hôpital ; Esther Wei est membre de l’équipe du Weill Cornell Medicine Internal Medicine, un important centre de santé primaire qui appartient à l’hôpital, et où sont suivis de nombreux patients diabétiques en ambulatoire. Impossible de visiter leur service ou leur centre de santé : la loi qui protège la vie privée des patients est très stricte aux États-Unis. Mais elles parlent avec bonheur, et avec cette énergie propre aux new-yorkais, de leur travail. Petit recadrage préalable de la part des deux infirmières de pratique avancée, légèrement courroucées : « Nous ne sommes pas une profession de santé intermédiaire. Nous n’aimons pas ce terme, car il sous-entend que les médecins seraient, eux, des professionnels de santé de haut niveau. Notre pratique est tout simplement différente. Certaines de nous ont même un doctorat ! » C’est le cas de Jane J. Seley, qui a obtenu en 2010 le titre de doctor of nursing pratice, c’est-à-dire de docteur en pratique infirmière. Elle est aussi membre du bureau de l’American Association of Diabetes Educator, auteure d’une vingtaine d’articles universitaires, membre du comité de lecteur d’une publication spécialisée, etc. Toutes s’affirment sans complexe « expertes infirmières du diabète ».

De la gestion médicale à l’éducation

À l’intérieur du service d’endocrinologie et de diabétologie, Jane Seley a une double mission de « gestion médicale du patient » et d’« éducation ». Quand un patient est reçu dans son service, elle le voit en consultation pour discuter avec lui « des causes de son hospitalisation, de son traitement, de son régime, de l’évolution de sa glycémie, énumère-t-elle. Je peux passer une heure avec lui. Puis j’adresse une note aux internes si j’estime nécessaire d’ajuster la prise d’insuline, d’en prescrire une autre, de modifier le régime du patient, etc. ». Elle ne prescrit pas, cette prérogative restant l’apanage du médecin dans son service. Mais il suffit d’écouter Jane pour comprendre que ses recommandations sont suivies, à la lettre. Et le rôle « d’éducation » de Jane ne se limite pas au patient et à sa famille. Il englobe aussi « l’ensemble des professionnels de santé : les médecins seniors et internes, les infirmières, les diététiciens, les coordonnateurs de soins, etc. Je leur donne des cours, y compris aux chirurgiens qui vont opérer des patients diabétiques ». Quand approche la fin du séjour hospitalier, l’infirmière de pratique avancée doit encore s’assurer que le patient rentre chez lui, ou dans un établissement de long séjour, dans les meilleures conditions. « Je discute avec le patient et sa famille de ses conditions de vie. Et je vérifie le niveau de son assurance, car un patient qui est mal ou pas assuré ne pourra pas suivre un traitement d’insuline qui coûte 400 $ la petite bouteille. S’il le faut, il faut trouver un autre traitement pris en charge par son assurance », explique Jane J. Seley. À New York, les patients qui n’ont pas d’assurance s’orientent généralement vers l’hôpital public. Mais Jane assure que la population prise en charge au Presbyterian est « mélangée socialement : nous avons des patients très riches originaires du Moyen-Orient, mais nous en avons aussi qui bénéficient des assurances publiques Medicaid et Medicare », réservées aux personnes à faible revenus et à toutes les personnes de plus de 65 ans. « Nous prenons soin d’eux de la même manière », assure l’infirmière. En prenant en compte ces facteurs économiques et sociaux, Jane J. Seley essaie d’orienter le patient « dans la bonne direction ». Et l’une d’elles est le centre de santé de l’hôpital, situé de l’autre côté de la rue, où travaille Esther Wei.

Parcours de soins

À l’image du Presbyterian, tous les grands hôpitaux sont en train de se doter de centres de santé ambulatoires. Ils cherchent ainsi à s’adapter à l’évolution actuelle de rémunération des hôpitaux par les assureurs privés et publics : la tarification à l’activité est peu à peu remplacée par une tarification au séjour. Le principe est simple en théorie. À chaque pathologie correspond une durée d’hospitalisation de référence. L’établissement est pénalisé financièrement si le patient sort trop tard, mais plus encore s’il sort trop tôt, dans de mauvaises conditions, et qu’il est finalement ré-hospitalisé. Jane J. Seley et Esther Wei travaillent donc ensemble pour assurer un bon parcours de soins à leurs patients, de l’hôpital à une prise en charge ambulatoire. Dans le centre de santé Weill Cornell Medicine travaillent 28 médecins internistes, une centaine de médecins assistants et 7 infirmières de pratique avancée, dont Esther Wei. Sa pratique est sensiblement différente de celle de Jane J. Seley. Elle prescrit des traitements, des analyses et des examens. Dans l’État de New York, les infirmières de pratique avancée qui prescrivent doivent signer un contrat avec un médecin. Mais pour Esther Wei, ce contrat comporte peu de contraintes : « Ce médecin supervise ma pratique, mais nous ne discutons pas de chaque cas ; en réalité, nous faisons un point tous les six mois seulement. »

Esther Wei, elle, est tournée vers la « communauté », c’est-à-dire l’environnement social, culturel et géographique du patient. Elle anime des cours collectifs d’éducation thérapeutique, en anglais et en espagnol. Elle donne des cours individuels pour aider les patients à gérer leur diabète et leur traitement. Elle développe également des programmes de prévention du diabète et donne pour cela des conférences dans des églises ou des écoles.

Approche holistique

L’infirmière exerce au Presbyterian depuis 30 ans. Elle évoque les « résistances, au sein même de cette institution, à la pratique avancée infirmière. Elles se sont aujourd’hui estompées, car nous avons su investir une niche : nous travaillons auprès des populations défavorisées, souvent dans des spécialités dont se détournent les médecins car elles ne sont pas assez rémunérées. Et surtout, nous savons éduquer le patient, communiquer avec lui ». « Le soin infirmier englobe le patient dans sa globalité, en prenant en compte sa situation sociale, psychologique, son environnement culturel, renchérit Jane J. Seley. Notre approche est holistique, c’est ça qui est beau. »

À la fin de l’entretien, passe la chef de service d’endocrinologie. Esther Wei lui demande quel regard elle porte sur son métier. « J’ai de fortes relations avec vous, car vous savez parler au patient, vous aidez souvent le médecin à l’atteindre », explique l’endocrinologue. « Un médecin m’a raconté qu’il se sentait très mal à l’aise face à un patient en pleurs, complète Jane J. Seley. Mais moi, je n’hésite pas à pleurer avec lui ! » « C’est vrai, poursuit l’endocrinologue. Et les médecins sont en train de se rendre compte que les soins, pour être efficaces, doivent être centrés sur le patient, adaptés à lui. Leur formation évolue dans ce sens. Et ce sont les infirmières qui les influencent. »