L'infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016

 

INTERVIEW : CHRISTOPHE DEBOUT DIRECTEUR DE L’INSTITUT DE SOINS INFIRMIERS SUPÉRIEURS, MEMBRE DU GIC REPASI, LE RÉSEAU DE LA PRATIQUE AVANCÉE EN SOINS INFIRMIERS

DOSSIER

C. C.-C.  

Pour Christophe debout, l’un des premiers promoteurs de la pratique avancée infirmière en France, il faut une stratégie claire, diffusée et comprise par tous pour que ce nouveau rôle s’implante de manière optimale.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : La législation française ouvre enfin la possibilité pour les infirmières d’exercer en pratique avancée. Pourquoi passe-t-on enfin à l’acte ?

CHRISTOPHE DEBOUT : On parle de la pratique avancée en France depuis 13 ans, c’est-à-dire la sortie du rapport d’Yvon Berland sur le transfert de tâches entre professionnels de santé. Il y a eu depuis des réflexions, des expérimentations, des préconisations… Mais par rapport à d’autres pays, les infirmières françaises ont peu pesé dans ce débat. Trop peu voient l’intérêt d’adhérer à une association, à un syndicat, ou même de s’inscrire à l’Ordre. Elles sont pourtant 600 000 ! Aujourd’hui, tandis que la pénurie de médecins dans de nombreuses spécialités - une pénurie déjà pointée dans le rapport Berland - s’est aggravée, tout comme les difficultés d’accès aux soins, la saturation des services d’urgence, le boom des maladies chroniques…, les infirmières de pratique avancée ouvrent des perspectives innovantes.

L’I. M. : Quel sera le champ de compétences des infirmières de pratique avancée en France ?

C. D : L’article 119 de la loi de santé(1) donne les grandes lignes : il indique qu’elles pourront exercer au sein d’une équipe de soins coordonnée par un médecin, en ville ou en établissements, et qu’elles pourront prescrire. On attend les décrets d’application d’ici la fin de l’année. Quelle sera la définition de la pratique avancée ? Une infirmière de pratique avancée ne peut pas être une assistante médicale. Elle doit développer son expertise dans le champ infirmier. Le regard infirmier sur le patient est global : il englobe la pathologie, mais aussi les répercussions sur la vie professionnelle et familiale, les difficultés d’observance, etc. À l’aide de son raisonnement clinique, l’infirmière de pratique avancée peut ensuite élaborer un plan de soins, qui comprend parfois le recours à la prescription. Mais un cadre doit être posé : quel type de molécules ? quels examens ? J’espère que les expériences étrangères seront prises en compte. Pour que ce nouveau rôle s’implante de manière optimale, il faut une stratégie claire, diffusée, comprise par tous : patients, soignants et administratifs. Sinon, la pratique avancée restera réservée à des initiées, donc marginale.

L’I. M. : Il existe quelques expériences de pratique avancée en France. Préfigurent-elles l’avenir ?

C. D. : Il y a deux profils d’infirmières de pratique avancée. Les premières sont les infirmières cliniciennes, qui ont développé une expertise clinique particulière. Leur activité ne déroge pas à la législation actuelle. Outre leur activité clinique, elles ont un rôle essentiel dans l’accompagnement des équipes. Ces infirmières existent déjà, certaines sont issues d’un programme certifiant, d’autre ont un master. Dans leur champ d’expertise, elles ont approfondi leur raisonnement diagnostique et thérapeutique, elles peuvent réaliser des consultations infirmières, sont des expertes de l’éducation thérapeutique du patient. La seconde catégorie regroupe les infirmières praticiennes, qui ont la capacité de prescrire. Il existe quelques expériences françaises, généralement dans le cadre des protocoles de coopération, mais ce dispositif reste perfectible. Au niveau de la formation, deux masters préparent à la pratique avancée, ceux de Saint-Quentin-en-Yvelines et d’Aix-Marseille. Une vingtaine d’infirmières en sortent chaque année et une centaine ont d’ores et déjà été formées.

L’I. M. : Vous attendez-vous à des résistances à l’émergence des pratiques avancées ?

C. D : Oui, si il y a un manque de communication. Les médecins peuvent craindre de se voir déposséder d’une partie de leur activité. Les autres soignants peuvent avoir des difficultés à cerner ce nouveau rôle infirmier, qui n’est pas en position hiérarchique par rapport aux autres infirmières. Et bien sûr, rien n’est possible si les infirmières de pratique avancée n’obtiennent pas un statut et une rémunération à la hauteur de leurs contributions au système de santé. Tous les organisations professionnelles infirmières ont une brique à apporter à cet édifice au service de la santé de la population.

1 - Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.