Lait sur-mesure - L'Infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016

 

NÉONATOLOGIE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

CATHERINE FAYE  

À Colombes, au nord de Paris, la biberonnerie de l’hôpital Louis-Mourier (AP-HP) remplit des fonctions essentielles au développement des nouveau-nés les plus fragiles. Chaque jour, près de 300 préparations lactées sont fabriquées dans ce laboratoire aux règles d’hygiène strictes.

Symbole de maternité et de vitalité, mais aussi d’abondance et de richesse, le lait peut devenir un vrai casse-tête pour la prise en charge de certains nouveau-nés. Qu’ils soient en soins intensifs ou en réanimation, les nouveau-nés prématurés ne peuvent s’alimenter que de préparations spécifiques, au cas par cas, à base de lait mais aussi de nutriments. Le contenant prend alors différentes formes – seringue ou biberon, d’une contenance allant de 2 ml à 240 ml –, pour répondre aux difficultés de succion, d’hygiène et d’adaptation en fonction du terme et du poids. Pour les mamans, le mythe de la bonne mère s’en voit un peu écorné, mais en néonatologie, tout a été pensé et mis en place pour les accompagner, favoriser le peau-à-peau pendant la prise de lait et surtout pour palier, étape après étape, les carences et les rythmes particuliers de ces petits consommateurs fragiles, à la muqueuse digestive non mature et aux défenses immunitaires en cours d’acquisition. « Il y a une bonne dizaine d’années, les préparations étaient fabriquées directement dans le service de néonatologie, notamment par les infirmières. Le transfert de cette activité vers une biberonnerie a dégagé du temps pour les soignants. Ainsi, chacun revient à son cœur de métier », explique Florelle Prio, cadre supérieure diététicienne. Riche d’une longue expérience en pédiatrie, celle-ci participe à la création de la biberonnerie de l’hôpital Louis-Mourier (AP-HP). Elle sait ce qu’il ne faut pas reproduire pour améliorer les conditions de travail, de précision et d’hygiène, et guide les architectes.

Dédiée au service de néonatologie, aux soins intensifs et la réanimation, la biberonnerie ouvre ses portes en 2010, au rez-de-chaussée du nouveau bâtiment périnatal, et répond aux normes HACCP(1). C’est l’une des premières biberonneries en France, avec celles notamment de Necker et de Port-Royal… et un modèle ! En tout, 180 m2 pensés en termes d’organisation de l’espace, de séquencement et de processus, d’accès réglementés, de sas d’hygiène, de traçabilité, d’évacuation des déchets. Conçue à taille humaine, elle a la particularité d’être ouverte sur l’extérieur. En effet, tandis que le centre périnatal relié en équerre au reste de l’hôpital est ouvert sur un jardin central de plus de huit mètres de large, la biberonnerie plonge, elle, sur un patio lumineux. Ensoleillée en été et claire en hiver, elle bénéficie de proportions harmonieuses et ergonomiques.

Une mutation fructueuse

Le transfert de ces actes très techniques, dans un milieu indépendant et aux règles d’hygiène strictes, a sans conteste des répercussions sur la santé des petits patients, comme sur la pratique des soignants. « La création de la biberonnerie est intéressante, assure Christine Léon, cadre de santé. Elle nous permet d’avoir plus de temps à consacrer aux parents, de les accompagner dans les soins auprès de leur bébé. Cette relation privilégiée ne se fait pas sans un lien constant avec la biberonnerie. » Dans cette unité, quatre agents temps plein (auxiliaires de puériculture, aides-soignantes, agents hospitaliers qualifiés) officient par binômes, 365 jours par an, sous la férule de Sophie Mayet, responsable de la biberonnerie, et de Florelle Prio. L’alimentation du nourrisson exige une véritable expertise, surtout s’il est prématuré ou malade, et ne doit contenir aucun germe infectieux. En effet, une contamination de l’alimentation pourrait entraîner des complications infectieuses gravissimes, voire une décompensation cardiaque sévère en raison de l’immaturité digestive de ces nouveau-nés, d’où la rigueur en matière d’hygiène pour maintenir la qualité bactériologique.

« On entre dans un milieu protégé où la pression est plus importante pour éviter, lorsqu’on ouvre les portes, que les particules extérieures ne rentrent. Tout a été pensé en termes d’hygiène, de stockage et de gestion du froid », poursuit Florelle Prio. Dans le local de production en surpression – comme dans un bloc opératoire –, la température est maintenue à 16 °C et les ustensiles nécessaires aux préparations continuellement désinfectés. Avant d’entrer dans la salle principale, les professionnels, équipés de masques, de blouses, de charlottes et de sur-chaussures, jettent les emballages dans une pièce attenante. Par ailleurs, pendant les manipulations, la température des produits conservés à 3 °C s’élevant naturellement, les deux préparatrices sont obligées de refroidir les préparations, entre chaque étape, dans une armoire réfrigérée pour empêcher la prolifération de bactéries. Enfin, chaque biberon et chaque seringue sont minutieusement étiquetés (identification du patient, composition de la préparation et date limite de consommation), puis placés dans une barquette stockée dans une chambre froide accessible depuis l’extérieur. C’est là que les AS ou les auxiliaires de puériculture du service de néonatologie viennent chercher les biberons, sans entrer dans l’atelier de production.

Formés et sensibilisés régulièrement, les agents mènent ensemble une réflexion sur leur pratique et sur tout ce qu’il est possible d’améliorer, dans un lien constant avec la néonatologie d’où les médecins transmettent leurs prescriptions médicales – dosages, quantité, contenant, marque de l’eau, type de lait… –, via le logiciel mis en réseau. Dans la biberonnerie, ces prescriptions sont suivies à la lettre. Tout est pesé et contrôlé. Au millilitre près. Seringues de lait d’un millilitre de lait maternel enrichi pour les prématurés, biberons de lait enrichis, biberons « secs » dont le contenu (glucides et/ou protéines en fonction de la prescription) sera ensuite mélangé avec le lait de la maman afin d’adapter sa composition aux besoins de l’enfant. « Nous essayons de promouvoir le lait maternel, car il reste le meilleur aliment pour les prématurés. Celui que nous utilisons provient du lactarium d’Île-de-France, situé à l’hôpital Necker, qui collecte du lait de femmes anonymes. Il a été analysé, pasteurisé et congelé, commente la diététicienne. On le complète ici, selon la prescription du médecin. Bien sûr, l’autre option est dans la mesure du possible qu’une maman donne son propre lait pour la préparation dédiée à son bébé. » Ici, le lait maternel retrouve de son aura. Mais, quand une préparation identique est préparée pour plusieurs bébés, un biberon supplémentaire est conservé en échantillonnage, en cas de souci ou de maladie, pour pouvoir être analysé. De fait, un laboratoire extérieur vient deux fois par mois pour effectuer des prélèvements sur les produits et les surfaces et les résultats des analyses sont conservés.

Orchestration implacable

Un ballet de gestes et d’actes rapides, précis, minutieux. Les va-et-vient de la biberonnerie oscillent entre chorégraphie avant-gardiste, laboratoire high-tech et cuisine tendance. Chariots, récipients, fouets, balances, thermomètres laser sont maniés avec dextérité, tandis que mini-biberons et seringues rose fuchsia s’alignent sur le plan de travail. Ici, Malika, aide-soignante, mélange du lait congelé pour le faire fondre. « J’apprécie le travail délicat, la précision et cette responsabilité que nous avons. Car la moindre erreur peut mettre un nourrisson en danger », observe-t-elle. Là, Marine, auxiliaire de puériculture, passe une éponge, met de l’ordre dans son matériel, structure son travail avant de commencer. Méthodiquement et efficacement. « Nous ne portons pas de gants, mais nous frictionnons nos mains très souvent avec une solution hydro-alcoolique. C’est bien plus efficace que des gants. »

Leurs tâches sont planifiées, organisées en termes d’ergonomie, de roulement et de prise en compte de la pénibilité de certaines postures. Un cadre apprécié de l’équipe, avec des créneaux horaires fixes, un rythme soutenu mais pondéré. À l’autre bout de la chaîne, et proches des nouveau-nés, les infirmières, formées par Isabelle Adam (voir encadré ci-contre), IDE consultante en lactation, et encadrées par Christine Léon. Jour et nuit, ce sont elles qui contrôlent les seringues, mettent le lait à température ambiante si besoin, posent l’alimentation entérale pour certains nourrissons, et donnent le biberon pour les plus grands. Une surveillance et un accompagnement de tous les instants dans un service où la santé et le bien-être du bébé sont au cœur de l’énergie déployée par toute l’équipe. Et où la préconisation de l’allaitement – que la biberonnerie vient palier pour les cas les plus extrêmes – est une recommandation. « Le lait de mère est précieux. Il constitue une prévention, d’où l’importance de prélever celui de donneuses, insiste Isabelle Adam. Bientôt, le don de colostrum, qui contient beaucoup d’anticorps, sera également mis en place. » À la maternité de l’hôpital Louis-Mourier, le lait est un cheval de bataille. Et un fil d’Ariane.

1- Hazard Analysis Critical Control Point, méthode et principes de gestion de la sécurité sanitaire des aliments.

PÔLE FEMME-ENFANT

Centre périnatal de référence

L’hôpital Louis-Mourier propose une offre de soins complète pour la femme (gynécologie), la mère (obstétrique) et l’enfant (néonatologie et pédiatrie). Son expertise en matière de périnatalité lui permet d’assurer le suivi de grossesses pathologiques à haut risque et d’accueillir de grands prématurés au-delà de son territoire de santé. Il totalise 111 lits (68 en chambres individuelles, 10 en réanimation néonatale, 15 en soins intensifs et 18 en néonatologie), 6 salles de naissance et 3 de pré-travail. S’y ajoutent un centre de contraception et d’interruptions volontaire de grossesse, la PMI, un centre de planification, et la 3e antenne d’HAD pédiatrique de l’AP-HP. Seul hôpital public à offrir une maternité de type III dans le nord des Hauts-de-Seine, il dessert 13 communes et réalise 3 300 accouchements par an.

FORMATION

Référente en allaitement

Pour devenir référente, l’infirmière ou l’auxiliaire de puériculture suit une formation pendant deux jours, avec Isabelle Adam, consultante en lactation. Durant cet intervalle, elle se perfectionne sur les différentes positions d’allaitement, les signes qui montrent qu’un allaitement est efficace (position de la bouche du bébé sur le mamelon, succion, déglutition). Les complications possibles de l’allaitement ainsi que leurs traitements et moyens de prévention sont abordés.

Un chapitre sur le circuit du lait, le recueil et ses règles d’asepsie, des conditions de stockage dans le service à la pasteurisation jusqu’à son retour dans le service.

Cette formation est basée sur les bons conseils à donner à une maman en termes d’hygiène, de positionnement et de fréquence de l’allaitement.