L'infirmière Magazine n° 376 du 01/11/2016

 

FRANCE

DOSSIER

Consultation infirmière, pré-prescription, examen clinique au domicile des patients : quelques IDE ont développé une pratique avancée. Toutes attendent l’évolution du cadre réglementaire.

Cinquante ans après les États-Unis, l’article 119 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 ouvre, enfin, la possibilité pour les infirmières de développer une pratique avancée, dont la prescription. Les décrets d’application sont désormais attendus ; ce sont eux qui poseront un cadre d’exercice, plus ou moins large. Une centaine d’infirmières, formées ou en cours de formation dans les deux masters en sciences cliniques infirmières de l’université d’Aix-Marseille et de la faculté de Saint-Quentin-en-Yvelines, se languissent… Les plus chanceuses, celles qui ont trouvé des postes à la hauteur de leurs nouvelles compétences, travaillent dans des établissements qui se sont aussi déjà engagés sur cette voie.

Quatre domaines prioritaires

L’Île-de-France compte le plus grand nombre d’expérimentations, une dizaine en cours actuellement, à l’initiative de l’Agence régionale de santé (ARS). « Nous nous sommes rendus compte, il y a quatre ans, que des infirmières avaient développé des formes de pratiques avancées, car les établissements ont besoin de leurs compétences élargies, explique Ljiljana Jovic, directrice des soins et conseillère technique régionale à l’ARS. Nous avons décidé d’accompagner ce mouvement avec le projet « prefiguration des infirmiers cliniciens spécialisés » (Prefics). Nous avons défini quatre domaines prioritaires : le sujet âgé, la santé mentale, l’accompagnement de la dépendance et les soins de premier recours. »

Sita Gakou, IDE depuis 15 ans dans l’établissement psychiatrique Maison blanche, à Paris, aspirait à une « autre évolution professionnelle que celle de cadre. Je souhaitais rester dans la clinique ». Repérée par son encadrement, elle intègre en 2012 en master en sciences cliniques infirmières. Reste à imaginer son nouveau poste avec sa direction. Elle rejoint l’équipe mobile de psychiatrie du sujet âgé, aux côtés d’une infirmière et d’un gérontopsychiatre à mi-temps. L’équipe intervient au domicile du patient, après un signalement. La mission de Sika Gakou débute par un « recueil de données par téléphone auprès du patient, de ses proches, de ses professionnels de santé libéraux, sur sa pathologie, sa situation sociale, son mode de vie. Puis je me rends au domicile où je réalise une véritable consultation : j’utilise mon jugement clinique pour évaluer la situation et élaborer un plan de soins ». Le médecin n’intervient que si l’infirmière le juge nécessaire. Elle évalue également la situation de l’aidant et peut lui proposer, si nécessaire, un soutien de courte durée.

Près de Nantes, Mireille Drouet est l’une des deux infirmières de pratique avancée qui exercent à l’Institut cancérologique de l’ouest (ICO). Elle réalise des consultations de prévalidation de chimiothérapie auprès de patients atteints d’un cancer, dans la phase chronique de leur maladie, au moment du renouvellement de leur traitement, et sur le long terme. « Alors que le médecin a des consultations toutes les 10 minutes, moi j’ai 20 minutes, explique l’infirmière. Je réalise un examen clinique du patient. Mais je m’intéresse aussi à son état psychologique, à ses relations familiales, aux effets secondaires de son traitement, etc. Mon approche est plus globale. » Elle rédige ses observations et établit une pré-prescription qui est ensuite validée par le médecin. « Bien sûr, mon rôle est d’alerter le médecin en cas de difficulté. » Se sont posées des difficultés d’ordre technique: « Il a fallu modifier les habilitations aux logiciels de prescription pour intégrer des droits en écriture intermédiaires entre ceux des infirmières et ceux pour les médecins. Nous restons ainsi dans le cadre réglementaire », explique la directrice des soins, Barbara Robert, qui attend désormais avec impatience les décrets d’application de la loi de santé.

Avec la bénédiction des médecins

Dans ces deux établissements, les médecins ont accompagné les expériences. « Ils y ont toujours été favorables. Mais aujourd’hui ils en redemandent, car ils gagnent du temps médical et peuvent se concentrer sur les phases aigües et les cas complexes », explique Barbara Robert. Pour le directeur adjoint de Maison blanche, Stéphane Pierrefitte, « il est nécessaire de poursuivre le travail de reconnaissance de ces nouveaux métiers en étroite collaboration avec les communautés médicale et paramédicale, avec l’appui des directions des soins. Il fait aussi partager la définition des profils de postes, afin d’améliorer leur lisbilité. Alors l’objectif, qui est d’améliorer les parcours de soins coordonnés et la prise en charge des patients, est partagé par tous ».