À l’écoute des plus démunis - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

MÉDICO-SOCIAL

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

CAROLINE COQ-CHODORGE  

Faciliter l’accès aux soins des précaires, des exclus et des migrants, telle est la mission des permanences d’accès aux soins de santé. Situés le plus souvent dans les hôpitaux, ces services défendent une approche globale et interdisciplinaire du soin.

Un homme d’une cinquantaine d’années se présente à la permanence d’accès aux soins de santé (Pass) de l’hôpital de la Timone, à Marseille (13). D’origine bulgare, il ne parle pas français, et entend très mal en raison d’une otite externe que révèlera plus tard l’examen médical. De plus, il n’a aucun papier prouvant ses droits à l’Assurance maladie. Mais à la Pass, l’homme est au bon endroit : « Ici, nous ne voyons que des patients qui n’ont pas de droits : ce sont des migrants ou des Français en situation d’exclusion », explique Carole Devalle, infirmière. Elle le reçoit la première, car elle est chargée d’évaluer le degré d’urgence et l’opportunité d’une prise en charge au sein de ce service. En s’exprimant « avec les mains », elle fait une première évaluation médicale et dirige le patient vers l’assistante sociale.

Créées en 1998, en même temps que la couverture maladie universelle (CMU), les Pass ont pour mission de faciliter l’accès aux soins des personnes en situation de précarité. Et servent plutôt de porte d’entrée sur le système de soins français et non de services hospitaliers dédiés aux migrants ou aux exclus. « Lorsqu’il y a une prise en charge médicale, elle est transitoire, explique le Dr Dominique Grassineau, la responsable du service. Médecins, infirmières et assistants sociaux travaillent à l’intégration de ces personnes dans le droit commun. » À la Pass de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM), où travaillent trois médecins, deux infirmières, deux assistants sociaux et deux agents d’accueil, plus de 1 700 patients sont pris en charge chaque année.

Travail en réseau

Dans l’après-midi, l’homme bulgare voit tour à tour l’infirmière, l’assistante sociale, puis le Dr Grassineau. Chaque fois que cela s’avère nécessaire, les professionnels font appel à un service d’interprétariat par téléphone pour que l’homme comprenne bien le traitement qui lui est prescrit, puis pour éclaircir sa situation administrative. Elle s’avère finalement assez simple : il est en situation irrégulière, mais peut prouver sa présence sur le sol français depuis plus de trois mois. Et surtout, il a déjà déposé une demande d’ouverture de droits à l’aide médicale d’État (AME). Lorsqu’il sera en règle avec l’Assurance maladie, il sera réorienté vers un médecin généraliste : « Nous avons des contacts avec des médecins libéraux marseillais qui parlent différentes langues étrangères », explique Carole Devalle.

Pour l’infirmière, rejoindre ce service a été un choix : « J’ai attendu pendant trois mois que le poste se libère. » Car avant de rejoindre la Pass, Carole Devalle travaillait dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Au sein du service, elle est aujourd’hui plus particulièrement chargée des relations avec les nombreux partenaires extérieurs – caisses d’assurance maladie, Samu social, centres de santé ou de vaccination, centres communaux d’action sociale et services municipaux de santé, centres spécialisés (hébergement, obésité, cancer, VIH…), associations humanitaires, etc. : « Entre paramédicaux, on est plus solidaires, la communication est plus facile. On se réunit une fois par mois entre infirmières des accueils de nuit et de jour de Marseille, des centres d’hébergement d’urgence, etc. La cadre infirmière des urgences de l’AP-HM est également présente, car c’est un partenaire important. La Pass fait ainsi le lien entre le monde associatif et le système de soins. » Un travail de réseau important.

L’association Médecins du monde est un partenaire privilégié des Pass. Mais à Marseille, des incompréhensions doivent être levées. Ce jour-là, une réunion est organisée. Des médecins et infirmières de l’association humanitaire se sont déplacés pour rencontrer leurs homologues de la Pass. Ils exposent plusieurs cas de patients pour lesquels ils ne trouvent pas de solution médicale. À chaque fois, les professionnels de la Pass répondent par une seule et même question : « Quels sont les droits de la personne ? » Quand l’association n’a pas de réponse, elle les oriente vers la Pass. Dominique Grassineau insiste : « L’évaluation sociale est importante. Beaucoup de patients ont des droits qu’ils ne parviennent pas, malheureusement, à faire valoir. » Une infirmière de Médecins du monde explique ensuite ses difficultés pour obtenir un rendez-vous pour une consultation spécialisée à l’hôpital. C’est là que se situe le principal nœud d’incompréhension : « Nous n’avons pas plus de facilités que vous pour obtenir ces rendez-vous. C’est à vous d’utiliser votre réseau professionnel », assène franchement Dominique Grassineau. La Pass espère que cette réunion permettra de débuter une collaboration durable avec Médecins du monde. Carole Devalle a d’ores et déjà pris les coordonnées des infirmières présentes ce jour-là.

Prise en charge globale

Les Pass sont aussi des lieux d’expérimentation. C’est la mission qui incombe à Sylvie Kindrebeogo, une infirmière de 33 ans qui s’est spécialisée en santé publique. Elle a effectué son stage de master à la Pass et y est restée pour développer son projet de prévention des hépatites B et C auprès des patients qui fréquentent le service. Ils sont systématiquement dépistés, tant la prévalence est forte. « L’hépatite B est fréquente chez les patients originaires d’Afrique subsaharienne, l’hépatite C chez ceux originaires d’Europe de l’Est, du Moyen-Orient, du Maghreb, explique l’infirmière. Je cherche à développer l’accompagnement des personnes porteuses de ces virus. Je leur explique les modes de contamination. Si le patient est porteur de l’hépatite B, je l’encourage à se soigner, même s’il ne se sent pas malade, et j’incite l’entourage à se faire vacciner. Pour les patients porteurs de l’hépatite C, je prends contact avec les services d’hépatologie qui seuls décident d’un accès aux nouveaux traitements. »

Sylvie Kindrebeogo a été séduite par l’interdisciplinarité qui règne dans la Pass. « Dans les services hospitaliers classiques, le médical prime, le social passe après. Et il faut travailler vite, en appliquant les protocoles de soins, même s’ils s’avèrent inadaptés aux conditions de vie des personnes. Ici, nous prenons en charge le patient dans tous ses aspects. » Elle se souvient ainsi « d’un patient diabétique maghrébin, logé en foyer d’hébergement d’urgence, qui avait des problèmes pour stabiliser sa glycémie. Nous avons mis à sa disposition un conteneur à aiguilles. Et nous avons pris le temps de traduire en arabe sa feuille de surveillance glycémique. Il est venu nous remercier, très heureux ».

La réflexion est toujours collective, à la frontière du médical et du social, élaborée lors des nombreux temps d’échanges qui rythment la vie de l’équipe. Les repas pris en commun sont l’occasion d’évoquer les cas les plus difficiles. Et tous les mercredis se tient une réunion de service assez inhabituelle. Infirmières, assistants sociaux, agents d’accueil et médecins y discutent à bâtons rompus, parfois vivement. La responsable de la Pass, Dominique Grassineau, ne dirige pas la discussion, elle l’organise, la clôt parfois lorsqu’il faut aborder le sujet suivant. À l’ordre du jour, la réunion avec Médecins du monde, la coopération avec quelques pharmaciens marseillais. La discussion roule sur les misères de l’hôpital public : les ordinateurs qui manquent, en particulier pour les infirmières, ou encore les téléphones sans touches qui ne permettent pas de communiquer avec l’Assurance maladie – « taper 1 pour accéder au service » –, pourtant l’un des premiers partenaires du service. Les services techniques passent ce jour-là, mais laissent peu d’espoir aux professionnels : leur budget est très limité. Car l’institution hospitalière marseillaise est la plus endettée de France – 1 milliard d’euros – et est engagée dans un douloureux contrat de retour à l’équilibre.

Des soignants militants

À l’AP-HM, cependant, la Pass se développe : elle vient d’emménager dans de nouveaux locaux plus vastes et un nouvel agent d’accueil vient de la rejoindre. Mais pour Dominique Grassineau, elle reste « sous-dimensionnée par rapport au niveau de précarité à Marseille ». Malgré l’ampleur de la tâche, la crise économique et migratoire qui accroît la charge de travail des Pass, les conditions de travail sont bien meilleures dans ces services que dans le reste de l’hôpital public. Ainsi, selon une enquête réalisée par le collectif Pass(1) et l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements sanitaires et médico-sociaux (Anap), en 2013, l’absentéisme du personnel non médical à ?l’hôpital était de 7,40 %, alors que dans les Pass, il n’était que de 1,07 %. Et le niveau de satisfaction du personnel est à l’avenant : 84 % des agents trouvent leur travail épanouissant, 94 % ont trouvé dans leur exercice professionnel « ce qu’ils cherchaient ». « Dans les services, j’ai croisé beaucoup d’infirmières qui ont cru dans leur métier et qui, par déception, se sont enfermées dans une routine, raconte Sylvie Kindrebeogo. Ici, nous sommes des militants, nous sommes investis. Et parce que nous travaillons en concertation, nous assurons une prise en charge de meilleure qualité. »

1 - Le collectif Pass a fait paraître un ouvrage collectif consacré à ces services : Soigner l’humain, Manifeste pour un juste soin au juste coût, sous la direction de Claire Georges-Tarragano, Presses de l’EHESP, 2015.

MODE D’EMPLOI

Droits à l’Assurance maladie

Depuis 1998, la France offre un droit universel à la Sécurité sociale, à travers la couverture maladie universelle (CMU) et l’aide médicale d’État (AME). Pour les étrangers, toute demande de titre de séjour ou d’asile ouvre automatiquement des droits à la CMU. Une personne en situation irrégulière peut demander l’AME, à condition qu’elle puisse justifier de trois mois de présence sur le territoire français. Toutes les personnes qui ont des droits ouverts dans un autre pays européen doivent les fermer avant d’ouvrir des droits en France. Ceux qui n’ont pas de droits ne sont pris en charge qu’en cas de besoins « urgents et vitaux ».