Développer une culture du secourisme en entreprise - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

FORMATION

ORGANISATION

A.-G. M.  

Outre leur rôle en cas d’urgence, les infirmières de santé au travail peuvent également avoir une place importante en terme de prévention et être formatrices pour les sauveteurs secouristes au travail (SST).

C’est le cas de Catherine Chazette, infirmière à l’Institut Laue-Langevin à Grenoble (38), un centre de recherche fondamentale qui travaille à partir d’un réacteur nucléaire. Elle s’appuie énormément sur les secouristes sur place lors des situations d’urgence. « Environ une centaine de personnes sont formées au secourisme, sur les 600 personnes dont je m’occupe au total. Nous avons proposé une formation basée sur le volontariat et établi une cartographie pour qu’il y ait une présence 24h/24 car le réacteur tourne en continu. » Pour elle, la présence des secouristes est une aide précieuse : « C’est confortable de parler à des gens que j’ai formés et quand j’arrive sur place, j’ai déjà une prise en charge faite par les secouristes. Cela me permet de me concentrer sur la personne, ou de prévenir le médecin si nécessaire. Et si je dois appeler les pompiers, je gagne du temps. »

Des mannequins pour former

Dans son entreprise, en plus des risques habituels, elle doit tenir compte du risque radiologique. Même en dehors de ses heures de travail, il y a en permanence une équipe formée aux risques afférents : « Il y a toujours un agent de sécurité, un secouriste par équipe de quart et un agent de radioprotection. » Catherine Chazette s’occupe de la formation et du recyclage(1). « J’organise une formation de deux jours complets par an, en groupe de 7 à 8 personnes, et environ un recyclage par mois, sur une journée, ce qui permet de former environ 50 personnes par an. » Pour travailler, elle dispose de matériel adapté : « J’ai deux mannequins, des tenues maquillées pour simuler des plaies et j’achète du faux sang pour compléter le maquillage. » Par ailleurs, elle forme les agents de radioprotection, grâce à des protocoles revus avec le médecin du travail. « Nous avons repris tous les protocoles d’urgence classiques et les protocoles de décontamination avec le nouveau médecin arrivé en janvier 2015. En cas d’irradiation, on a un bilan de départ à faire avec prise de sang, prélèvement d’urine, de cheveux… Nous avons collaboré pour le finaliser et nous l’avons présenté en réunion de radioprotection. Puis, nous avons organisé des séances pratiques avec l’équipe de radioprotection, dont une bonne partie est aussi secouriste, détaille l’IDE. Nous avons notamment revu les techniques de décontamination dans les sas dédiés. Le médecin m’a accompagnée aux premières séances, puis j’ai continué les formations seule. Et prochainement, nous allons proposer des formations aux techniques de déshabillage sans se contaminer aux agents de sécurité. »

Secourisme et prévention

De même, à l’usine de Saint-Gobain à Pont-à-Mousson (54), « les infirmières ont toutes reçu la formation de monitrice secouriste du travail et s’occupent de la formation des salariés », explique le Dr Elisabeth Louvet, médecin du travail à sur le site. Sur environ 2 000 salariés, l’usine dispose de 450 SST. « Au-delà de la réglementation, le secourisme fait vraiment partie de la culture de l’entreprise. Nous avons des risques liés à la fonte, aux machines en mouvement. C’est une industrie lourde avec des risques professionnels particuliers et nous avons beaucoup de gens qui veulent être formés et recyclés, même sur des postes administratifs. Nous n’avons pas besoin de beaucoup pousser les volontaires », apprécie-t-elle. Là-encore, les formations se passent tous les deux ans. « Les infirmières organisent des sessions sur le site et nous disposons aussi d’un centre dédié avec des formateurs spécialisés », détaille le Dr Louvet.

Outre le secourisme, à la Monnaie de Paris la prévention est aussi au coeur de l’action de l’infirmière du travail. « Nous sommes dans des bâtiments Louis XV, qui ne sont pas prévus à l’origine pour des machines que l’on a maintenant, souligne Jocelyne Warnesson, infirmière. Nous avons des affiches partout dans l’usine pour rappeler l’importance des équipements de protection individuels (EPI). Il peut s’agir du port de protections auditives, de lunettes de protection qu’on fait faire à la vue des gens, de masques… On travaille avec des produits chimiques, donc les combinaisons anti-acide et les gants sont obligatoires. tout comme les chaussures de sécurité, même pour les visiteurs ou les commerciaux ! » L’infirmière du travail organisera aussi prochainement des formations « gestes et postures » afin de prévenir les problèmes de dos qui peuvent engendrer des accidents de travail. « Je vais aussi organiser une formation pour se servir de son siège, car nous avons des sièges ergonomiques, mais les gens ne savent pas les régler donc ils ont mal au dos ! », détaille Jocelyne Warnesson. « Plus on fait attention à la prévention, moins il y a d’accidents », estime-t-elle.

Pour le Dr Michel Baer, ancien directeur du Samu des Hauts-de-Seine, faire entrer la culture du secourisme en entreprise en France n’est pas toujours facile. « Les Anglo-saxons ont une grosse culture de la prévention, mais c’est moins le cas en France », regrette-t-il. Néanmoins, il note que l’arrivée des défibrillateurs en entreprise a fait progresser les choses. « Le défibrillateur est un point d’entrée et, à travers ce nouvel outil, on arrive à former et à sensibiliser les gens à plus que ça. On peut ainsi les entraîner à faire un massage cardiaque, à s’intéresser au secourisme. Tout cela dépend de la volonté des infirmières d’organiser les choses, mais aussi de la volonté de la direction de dépenser de l’argent », conclut-t-il.

  • 1- Le recyclage est une remise à niveau spécifique aux formations de secouristes et nécessaire tous les deux ans. Le recyclage est organisé sur une durée de 7 heures, où les compétences du salarié sont de nouveau évaluées.

À RETENIR

Les bons réflexes face à une urgence

Avant d’appeler les secours

1. Vérifier qu’il n’y a pas de risque collectif et pas de risque de sur-accident (ex : dégagement d’un gaz, risque d’incendie, d’explosion, etc.).

2. L’infirmière doit vérifier s’il y a une détresse immédiate : analyse du contexte et prise de paramètres vitaux.

3. S’il y a un risque vital à court terme : appeler les secours extérieurs et demander le déplacement d’une équipe spécialisée, dans un deuxième temps, agir selon le protocole défini avec le médecin du travail.

4. S’il n’y a pas de risque immédiat : rechercher une détresse potentielle. Derrière une douleur thoracique, il peut y avoir une pathologie coronarienne aiguë ou une pathologie vasculaire nécessitant une prise en charge similaire au point n° 2.

5. Recherche d’éléments d’interrogatoire : nature de l’urgence, âge du patient, circonstances (heure, élément déclenchant), la personne est-elle consciente ? Est-ce qu’elle respire, a un rythme cardiaque ? Est-ce qu’elle se plaint ? Quelles sont ses maladies, ses antécédents ? Exemple : homme de 25 ans, qui a fait une perte de connaissance, a eu des mouvements convulsifs, a une reprise de l’activité de conscience et a besoin d’une évacuation. Ou au contraire il convulse depuis 10 mn et a besoin d’une équipe médicalisée. Une fois ces éléments réunis, l’infirmière peut avoir un contact avec son médecin qui complétera l’examen clinique par un examen physique.

Qui appeler ?

→ En l’absence du médecin, l’infirmière peut recourir aux secours extérieur, notamment au Samu, pour un conseil médical ou une intervention. Un médecin du Samu peut guider l’IDE pour réaliser certains gestes ou administrer certains médicaments. Dans tous les cas, un dialogue va s’instaurer avec le médecin ou le régulateur du Samu, pour la guider en lui posant des questions en vue de compléter le tableau clinique. Le Samu peut décider de déclencher une intervention, du Samu ou des pompiers.

→ Pompiers : ils sont plutôt déclenchés en cas d’incendie ou pour évacuer la victime vers un établissement hospitalier.

Principales informations à donner

→ Éléments administratifs sur la localisation et les moyens d’appeler la personne. Souvent, c’est le numéro du standard qui s’affiche, donc il faut penser à donner le numéro de contre-appel, car le problème peut être aussi bien à l’infirmerie que sur une chaîne de montage.

→ Penser à se présenter comme un professionnel de santé : quand c’est lui qui appelle, c’est généralement plus grave que quand c’est un tiers.

→ Ne pas être trop loin de la victime, au cas où le médecin régulateur demande à lui parler.

→ Transmettre les réponses aux éléments d’interrogatoire.

→ Possibilité de préciser la fréquence circulatoire et respiratoire, la tension.

→ Indiquer les premiers gestes réalisés.

Communiquer avec le patient

→ « Il est toujours important de donner le maximum d’informations au patient, rappelle le Pr Alexis D’Escatha, médecin urgentiste au CHU Poincaré à Garches (92). Très souvent, dans les urgences il y a un contexte d’angoisse. Le fait d’expliquer les choses permet de rassurer le patient ».

… et avec la famille

→ « Il n’y a pas vraiment de règle pour prévenir la famille. C’est fonction de la situation, détaille le Pr D’Escatha. Quand l’infirmière est occupée, on peut s’appuyer sur des secouristes présents ou sur d’autres personnes. S’il y a des victimes multiples, cela passe plutôt par le préfet. Enfin, en vertu du secret médical, dans certaines situations, ce n’est pas l’infirmière qui préviendra la famille. Le patient donnera les éléments qu’il souhaite à son entourage. »