LA COLÈRE DES IDE, ET APRÈS ? - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

#8NOVEMBRE

ACTUALITÉS

FOCUS

CAROLINE COQ-CHODORGE  

Les organisations infirmières, exceptionnellement unies, ont réussi leur mobilisation du 8 novembre. Mais entre « sentiment d’humiliation » et « espoir » après les annonces du ministère, elles se donnent rendez-vous en janvier si les promesses ne sont pas tenues.

Le 8 novembre, la profession a affiché une rare unité. 16 organisations professionnelles se sont mobilisées, représentant les infirmières salariées et les libérales, les étudiants et les cadres, tous « à bout de souffle ». En province comme à Paris, elles sont descendues par milliers dans les rues – 10 000 personnes dans la capitale selon les syndicats, 3 500 selon la préfecture de police. Le ministère de la Santé estime à 14,6 % le nombre d’infirmières grévistes dans les établissements publics. « Ce n’est pas si mal, car beaucoup d’établissements ont procédé à des assignations abusives, parfois au-delà des effectifs habituels dans les services, commente Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) CFE-CGC.

À quand la concrétisation ?

Sous le slogan commun « Soigne et tais toi », le sentiment de mépris envers leur profession était largement partagé. Et c’est encore du mépris qu’ont ressenti beaucoup d’infirmières devant le ministère de la Santé. Leurs représentants ont été reçus par le directeur adjoint de cabinet de Marisol Touraine et la directrice générale de l’offre de soins. Les libéraux ont, eux, refusé la rencontre : « Moitié moins nombreux, les médecins auraient été reçus par la ministre », s’agace Annick Touba, la présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Les organisations d’infirmières salariées ont, elles, accepté l’invitation. On leur a fait « des annonces d’annonces », regrette Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). Fin novembre, la ministre dévoilera une « stratégie nationale qui déclinera des actions concrètes pour améliorer la qualité de vie au travail ». Puis, en décembre, les travaux sur les pratiques avancées seront lancés, ainsi que ceux sur les référentiels de formation des Ibode et des puéricultrices. La reconnaissance de ces deux professions au niveau master a été évoquée. La vaccination par les infirmières doit être élargie, ainsi que la liste des dispositifs médicaux. Les étudiants, très nombreux dans la manifestation, n’ont pas été oubliés : leurs bourses doivent être alignées sur celles des étudiants universitaires. Selon la Fédération nationale des étudiant.e.s en soins infirmiers (Fnesi), ont également été évoquées une augmentation des indemnités de stage et une réforme de la gouvernance des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi). La plupart des organisations infirmières sont désormais dans une position attentiste que résume Thierry Amouroux : « Sur la pénibilité, nous n’avons obtenu aucune réponse. Une stratégie nationale ne peut rien pour nos conditions de travail, dégradées par les plans d’économie successifs. Mais sur les dossiers techniques, il y a des engagements dont on attend la concrétisation. Si rien n’aboutit, nous prévoyons une nouvelle mobilisation en janvier. » Elisa Guises, vice-présidente de l’Association nationale des puéricultrices (teurs) diplômé (e) s d’État (ANPDE), partage la même position. Mais son organisation est « pleine d’espoir » : « Les discussions sur notre formation doivent reprendre en décembre. C’est une énorme surprise, car tout était interrompu depuis des années. Nous demandons notre reconnaissance au niveau master, le droit à la prescription, la possibilité de vacciner les enfants. En tant que profession intermédiaire, nous aurions une vraie place dans le système de santé. »

Kyrielle de revendications

Mais les annonces font aussi des mécontents. « On nous répète exactement la même chose qu’il y a six mois, mais rien n’avance, regrette Brigitte Ludwig, présidente de l’Union nationale des associations d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (Unaibode). Cela fait des années que l’on doit discuter du master et des actes exclusifs. Nous attendons aussi des avancées salariales. » Les Iade, les seuls à avoir obtenu leur reconnaissance au niveau master, sont plus virulents encore : « Nous avions des reven?dications indiciaires et statutaires, la réponse du ministère est une humiliation, fustige Simon Taland, secrétaire général du Syndicat national des infirmier (e) s anesthésistes (Snia). Nous sommes mobilisés depuis le début de l’année, et nous allons continuer, dès le 24 no?vembre. » Le #8novembre pourrait donc déboucher sur une kyrielle de revendications catégorielles.

MARSEILLE

« On n’a plus ni tensiomètre ni thermomètre »

« Totalement en grève, mais totalement réquisitionné », Cyril(1), aide-soignant depuis six ans en chirurgie gastrique à la Timone, arbore sa blouse blanche barrée d’un « En grève » bien visible, histoire qu’on ne se méprenne pas sur sa présence aujourd’hui. « S’en prendre à l’hôpital public, c’est s’en prendre aux patients. Et ça, c’est inacceptable. » Dans son service, un soignant sur deux serait en grève ce 8 novembre « mais avec le système des assignations, c’est transparent pour les patients », déclare-t-il. « On ne peut plus continuer comme ça », lance Patricia, IDE dans le même service que Cyril. D’ici une heure, elle rejoindra avec d’autres collègues le rassemblement au Vieux Port à l’appel de la CGT et de Sud santé. « Notre cadre nous soutient. Elle n’a d’ailleurs pas réquisitionné les titulaires pour qu’on puisse aller manifester », explique-t-elle. Depuis quatre ans, Patricia mesure la lente dégradation des conditions de travail et la surcharge qui va avec, sans traduction concrète sur son bulletin de salaire. « Nous sommes régulièrement en sous-effectif. Et nous faisons aussi le brancardage, car il n’y a plus de personnel pour cette fonction. » Côté matériel, ce n’est pas mieux. « On n’a plus ni tensiomètre, ni thermomètre. Si on en veut, il faut les acheter. Ce que j’ai fait. Plus grave encore, depuis des mois, il n’y a plus qu’un seul chariot d’urgence pour deux unités ! » Et d’ajouter : « On a peur pour nous, car avec le manque de personnel, on travaille six jours sur sept, mais on a peur aussi pour les patients. Quand les services tournent avec de jeunes diplômés et des intérimaires, où sont la sécurité et la qualité des soins tant vantées ? », interroge-t-elle. Malgré ce sombre tableau, la prise en charge des patients a été, comme chaque jour, assumée par les équipes dans le service. Mais pour combien de temps encore et à quel prix pour les soignants ?

FRANÇOISE VLÆMŸNCK

1- Les prénoms ont été modifiés.

TOULOUSE

« Combien de patients aujourd’hui ? »

À Toulouse, la mobilisation a été plutôt bien suivie – avec 2 300 manifestants selon la préfecture, 5 000 selon les syndicats. De nombreux pompiers du département sont venus grossir les rangs du cortège. Comme partout, la dégradation des conditions d’exercice y a été unanimement dénoncée. « La rentabilité est omniprésente sur le CHU de Toulouse. Les cadres nous mettent la pression et nous demandent “Combien de patients aujourd’hui ?”, sauf que la charge en soins n’est pas la même selon les patients. Le refus de l’intérim sur le CHU oblige à la polyvalence des agents et cela n’est pas sans risque », témoignent deux IDE de l’hôpital Larrey. Le sentiment de ne plus exercer la profession de façon satisfaisante prédomine ainsi que le manque de reconnaissance et de soutien de la hiérarchie, la violence managériale… Une violence qui fait particulièrement écho dans le chef-lieu de l’Occitanie où le CHU toulousain fait face depuis début 2016 à une vague de suicides sans précédent(1). Sans compter le malaise prégnant dans le service de la consultation gynécologique du pôle femme-mère-couple de l’hôpital Paule de Viguier où les trois quarts de l’effectif sont en arrêt pour épuisement professionnel et où parallèlement, ceux restants, en grève illimitée depuis le 13 octobre face à la dégradation de leurs conditions de travail (collègues en arrêt non remplacés en sus de deux suppressions de postes en 2015), ont été assignés par huissiers le 26 octobre dernier alors que le service n’est pas soumis au service minimum. DANIELLE JULIÉ

1- Six depuis le début de l’année dont quatre en juin ; l’un d’eux – survenu dans l’enceinte même de l’établissement – a été reconnu en accident du travail par présomption d’imputabilité. Le compte rendu de l’expertise diligentée sera rendu public mi-novembre.

NANCY

« On craque ! »

À Nancy, des centaines d’infirmières ont manifesté devant l’Agence régionale de santé avant de défiler jusqu’à la préfecture. Qu’elles soient libérales, hospitalières ou exerçant dans le secteur médico-social, la dégradation des conditions de travail est là aussi le dénominateur commun. « Dans notre Ehpad, nous sommes 8,5 IDE à faire le travail de 11. La baisse de personnel est continue, les absences pas remplacées. Il faut être polyvalente, travailler 6 jours/7, on est sans cesse rappelé sur nos jours de repos… », dénoncent Audrey et Véronique. « Nous devons toujours faire plus en un temps record. Les tâches administratives se multiplient… Le tout au détriment du patient », déplore Pauline, IDE en maison d’accueil spécialisée. « Cela devient dangereux pour eux, confirme Laurent, IDE en réanimation au CHU. Et, nous les soignants, on craque ! On connaît tous des collègues arrêtés pour burn-out, en dépression, voire qui ont fait des tentatives de suicide. Nous sommes des soignants, mais personne ne prend soin de nous. »

AURÉLIE VION