Présidentielles : La santé, c'est pas (encore) un sujet ? - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

PRÉSIDENTIELLE

ACTUALITÉS

À LA UNE

SANDRA MIGNOT  

La santé est entrée dans la campagne. L’élection présidentielle 2017 verra-t-elle enfin la préoccupation pour ce secteur s’implanter dans les programmes et les débats ? De nombreux acteurs tentent en tout cas de s’engager.

Les candidats de tous bords se montrent plutôt silencieux sur les questions de santé, observe Lisa Cann, présidente de la Fédération nationale des étudiant.e.s en soins infirmiers (Fnesi). Nous attendons leurs propositions, afin de savoir à quel point nous allons devoir les convaincre. » Les sondages semblent pourtant révéler l’intérêt des Français pour la question. 81 % estimeraient que la santé n’occupe pas une place suffisamment importante dans le débat pour l’élection présidentielle, selon Ipsos(1). Et 90 % déclarent que les propositions des candidats joueraient un rôle important, voire très important dans leur vote, selon Harris Interactive(2). « Et bien que le sujet de la santé et de la protection sociale soit au cœur des préoccupations des Français, il est rarement traité par les candidats », résume un conseiller à la présidence de la Mutualité française.

Sujet pas assez clivant…

Et pour cause. « Les conseillers en communication politique trouvent qu’aborder la thématique de la santé ne permet pas aux candidats de se différencier les uns des autres », résume Gaël Sliman, président de l’institut de sondage Odoxa. Le Leem (Les Entreprises du médicament) s’est essayé à comparer les déclarations et les programmes des différents candidats déclarés, via sa plate-forme en ligne « La santé candidate »(3). Dans les grandes lignes, les candidats évoquent la nécessité de réduire le déficit de l’assurance maladie, se fixent des objectifs à atteindre en termes de diminution des effectifs de la fonction publique ou dans la lutte contre les inégalités en santé. Mais quant aux moyens précis à employer, ils n’ont pour l’instant que peu communiqué.

… ou trop aride ?

« Il faut rappeler que l’implication de l’État dans la santé en France reste récente, observe Didier Tabuteau, responsable de la chaire Santé à Sciences Po et co-directeur de l’institut Droit et santé. Cela date des années 60 avec la création des CHU. Que l’organisation de notre système de santé est la plus complexe en Europe. Et, qu’aujourd’hui, parler de santé en politique, cela se résume généralement à parler de financement ou de maîtrise des dépenses. » Des sujets pour le moins arides qu’il est difficile d’aborder dans des débats télévisés où la prise de parole doit être courte et percutante. Si l’on ajoute à cela la crainte d’annoncer de grands bouleversements dans l’équilibre – plus si stable – du système, tous les ingrédients sont réunis pour que la santé soit la grande oubliée des programmes électoraux.

Professionnels mobilisés

À l’aube de l’échéance présidentielle, plusieurs organisations ont décidé de s’unir pour lutter contre cette inertie. Les professionnels de santé libéraux ont ainsi préparé une plate-forme de propositions et reçu les représentants des Verts et des Républicains lors de la journée de rentrée du Centre national des professions libérales de santé (CNPS), le 7 octobre. Autre initiative, celle du think tank Imaginons la santé (emmené par l’association des Laboratoires internationaux de recherche – le LIR –, autrement dit, des multinationales du médicament et la plate-forme de services aux complémentaires Carte blanche). Intitulée France Santé 2017(4), celui-ci se présente surtout comme un agrégateur d’idées et de réflexions. Puis, le 19 octobre dernier était annoncée la création du Collectif Santé 2017(5), un rassemblement lui aussi initié par le Leem qui réunit plusieurs syndicats médicaux, des représentants des pharmaciens, des établissements de soins et des usagers. « Il s’agit de sensibiliser le public sur l’importance des choix en santé de chaque candidat et amener ceux-ci à expliciter clairement leurs intentions » explique Danièle Desclerc-Dulac, co-présidente du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), membre de Santé 2017.

Le Collectif Santé 2017 s’est entendu sur un manifeste qu’il demande à chaque candidat de signer : le texte les engage à mettre la santé au cœur de la campagne et des politiques de santé publique, reconnaître la place des acteurs de santé dans les décisions politiques, etc. Des engagements loin d’être clivants, car ses membres conservent leur indépendance d’expression et la possibilité de se mobiliser individuellement sur les thématiques qui leur sont propres. Ainsi le CISS interpellera-t-il en son nom chacun des candidats à partir de janvier, notamment sur le problème des restes à charge et des déserts médicaux. « Nous leur demanderons de se positionner afin d’être prêts à passer à l’action dès le début de leur mandat, et nous communiquerons sur leurs réponses à partir de mars », précise Marc Paris, responsable de la communication du CISS.

IDE en manque de moyens

Enfin, le 1er décembre prochain, la Mutualité française lancera « Place de la santé », un site Internet qui permettra lui aussi de « décrypter les programmes, les comparer et d’interpeller les candidats sur des thématiques santé préalablement identifiées ». « Nous nous positionnons comme le porte-voix de la société française, explique-t-on à la Mutualité, et voulons nous réinscrire comme un mouvement social plutôt que comme une institution. Mais nous souhaitons également accueillir les propositions qui pourraient émaner d’autres collectifs ou organi?sations. Si les infirmières ont des revendications à faire valoir, pourquoi pas ? »

Car, pour l’heure, la profession est absente de toutes ces initiatives. Ce qui a d’ailleurs choqué l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil), au point de claquer la porte du CNPS (qu’elle considère comme l’initiateur du Collectif Santé 2017), le 27 octobre. Mais surtout, pour les structures les plus modestes, le manque de moyens est un vrai handicap, à ce stade de la course. « Nous n’avons pas les mêmes moyens que les lobbyistes qui nous permettraient d’interpeller tous les candidats aux primaires », remarque Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI-CFE-CGC. Malgré cela, son syndicat, comme la Coordination nationale infirmière (lire l’interview ci-contre), a déjà reçu les représentants de certains candidats. Et avant son départ du CNPS, l’Onsil avait envoyé un courrier à tous les candidats déclarés les enjoignant à « définir et indiquer les mesures […] envisagées […] pour sauver la [fonction d’infirmier libéral] qui se trouve aujourd’hui en danger, lui redonner sa dignité et les moyens d’assurer ses missions ». Aucune réponse n’a été reçue à l’heure où nous bouclons ce numéro.

« Pourtant ne pas s’engager sur la thématique santé incite les électeurs à la résignation et au déclinisme, avertit Gaël Sliman. Dans un précédent sondage, nous avons observé que c’est au sein des hôpitaux que le vote extrême augmente le plus. Ce sentiment que notre système de protection sociale est en train de s’effondrer est un moteur fort pour le vote anti-système. » 80 % des Français interrogés par Odoxa(6) considèrent qu’à l’avenir, le système de santé sera « plutôt moins bon » alors que 77 % le trouvent actuellement plutôt meilleur que ceux de leurs voisins européens. « Un jour, la thématique de la santé explosera dans le débat politique, car il y a de vrais enjeux et l’opinion publique est prête, résume Didier Tabuteau. Mais tant que le sujet n’est pas repris comme l’un des trois ou quatre thèmes principaux de campagne de l’un des candidats, il ne s’imposera pas… »

1- Enquête réalisée en ligne par Ipsos pour le LIR auprès d’un échantillon de 2 000 personnes, du 27 au 31 mai 2016.

2- Enquête réalisée par Harris Interactive pour le CNPS auprès d’un échantillon de 1 001 personnes, du 13 au 15 septembre 2016.

3- www.lasantecandidate.fr

4- www.francesante2017.fr

5- www.collectifsante2017.fr.

6- Baromètre santé 360, « La place de la santé dans le débat public et électoral », novembre 2016.

3 QUESTIONS À
Nathalie Depoire

présidente de la Coordination nationale infirmière

La présidentielle est-elle un bon moment pour se faire entendre ?

C’est un moment important. En 2007, nous avons eu une démarche unitaire, avec une plate-forme de revendications. Et en 2009, nous avons obtenu notre premier programme de licence. Bien sûr, les choses étaient déjà en marche. Et tout n’est pas aujourd’hui totalement finalisé au niveau de l’universitarisation. En 2012, notre discours sur la T2A et la nécessité de réviser ce mode de financement semblait avoir été entendu. Mais à ce jour, il faut bien constater que rien n’a été modifié. Néanmoins, il n’est jamais inutile de se rassembler pour peser au moment d’une grande échéance.

Quels contacts avez-vous avec les candidats ?

Nous avons déjà répondu aux sollicitations de trois d’entre eux. Depuis la manifestation du 14 septembre, nous avons en effet reçu des appels et nous leur avons proposé les mêmes revendications que celles formulées pour la manifestation du 8 novembre et qui portent sur les conditions de travail – c’est une priorité –, et d’exercice, la formation, la rémunération, etc. Quand les candidats définitifs seront connus dans chaque parti, nous les recontacterons.

Le manque de politisation de la profession représente-t-il une difficulté ?

Il n’est que de voir le taux de participation aux élections professionnelles pour le comprendre. Malheureusement, ce n’est pas dans la culture de l’infirmière que de revendiquer. Cependant, nous tentons de faire entendre aux candidats que nous représentons un vivier de votes important, pour peu que les candidats élaborent des programmes qui intéressent la profession. Entre les 600 000 IDE, les étudiants, voire les aides-soignantes, cela fait des voix ! Celles d’une profession qui se sent totalement ignorée de ses tutelles jusqu’ici.

PROPOS RECUEILLIS PAR S. M.