Priorité à l’évaluation - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

RICHARD GAUDIN*   BENOÎT KIPPER**   THOMAS LOWENHAUPT***  

L’intervention en urgence d’un infirmier sapeur-pompier est réalisée en suivant des protocoles de soins dédiés qui lui confèrent une autonomie d’action dans des situations cliniques bien définies.

La prise en charge d’un patient gravement brûlé ne s’entend que par une équipe préhospitalière entraînée et complète, à savoir médecin, IDE/Iade, ambulancier. L’ensemble des matériels, des médicaments et des dispositifs médicaux étant présents et fonctionnels. Le pronostic vital et fonctionnel des victimes dépend directement de la qualité de la prise en charge des premiers instants. Aussi, durant la phase de transit, il est souhaitable que l’équipe commence à se répartir les actions clefs à réaliser. Les prescriptions et transmissions entre les soignants doivent être claires et donner lieu à une confirmation durant toute l’intervention.

Toute intervention dans un contexte préhospitalier, parfois non sécurisé, impose d’adopter un comportement extrêmement prudent et d’éviter tout risque de sur-accident tels qu’une exposition à des fumées toxiques ou à un foyer résiduel. Ainsi, lors de ce type de mission, l’accès au site et au patient ne peut se faire qu’après l’accord des équipes sapeurs-pompiers sur les lieux, avec qui la collaboration et l’organisation doivent être parfaite. Le port de l’ensemble des équipements de protections individuels nécessaires est obligatoire.

Évaluation initiale

Le retrait du patient de la zone de danger et l’extinction la plus rapide possible des foyers thermiques (vêtements enflammés…) est la priorité absolue, effectuée grâce à tous les moyens à disposition : immobilisation, couverture antifeu, extincteur…

→ Comme toute victime d’un traumatisme sévère, le patient gravement brûlé doit faire l’objet d’une évaluation rapide visant à traiter en premier ce qui tue en premier. Il est possible d’utiliser la méthode anglo-saxonne dite « A B C D » (voir tableau ci-contre).

Les premiers soins

Refroidir la brûlure et réchauffer le patient

→ Afin de limiter la profondeur et l’étendue des brûlures, il est recommandé de refroidir les zones de lésions en procédant par ruissèlement d’eau propre ou en utilisant des compresses à base de gel d’eau selon les protocoles locaux. Il est souvent proposé la règle des « 15/5 » (eau à 15 °C, par ruissellement à 15 cm de la brûlure, sans dépasser 5 minutes). En cas de brûlures chimiques, il faut retrouver la substance incriminée et consulter les indications de sécurité figurant sur l’emballage.

→ Toutefois, le refroidissement actif n’est pas indiqué après les 10 premières minutes qui suivent les brûlures : les lésions tissulaires étant constituées, le refroidissement n’aura plus d’action bénéfique. Pour compresses à base de gel d’eau, il faut être très prudent. Passé 10 minutes, ces dernières ne sont plus efficaces et, en plus, elles font courir un risque grave d’hypothermie au patient. Dans tous les cas, il convient de se référer aux protocoles de soins locaux, en lien avec le centre de traitement des brûlés.

→ La zone de soin doit être chauffée, les vêtements non adhérents retirés. Aucune crème ou antiseptique ne doivent être appliqués.

Surveillance et actes infirmiers

→ L’infirmier de sapeurs-pompiers (ISP) veillera à un monitorage complet du patient (PNI, ECG, SpO2), ainsi qu’au contrôle de la température corporelle et de la diurèse. L’ISP s’attache à surveiller avec le plus de rigueur tout changement de paramètre.

→ Un abord vasculaire de bon calibre est nécessaire chez tous les patients présentant une brûlure grave ou nécessitant une analgésie, et ce, afin de sécuriser l’administration des thérapeutiques et du remplissage vasculaire (voir l’hypovolémie ci-après). Il peut se faire par une voie veineuse périphérique, en évitant si possible les zones brûlées, ou si nécessaire par voie intra-osseuse. Le cathéter veineux central par voie fémorale ne sera posé qu’en dernière intention du fait du risque élevé d’infection. Les prélèvements biologiques incluant notamment la lactatémie par microprélèvement capillaire sont utiles durant la phase préhospitalière afin de dépister une éventuelle co-intoxication telle que celle au cyanure dans les contextes d’incendies.

La fixation de l’ensemble des dispositifs vasculaires doit être très rigoureuse afin d’éviter tout arrachement durant les phases de brancardage et de transport… qui obligerait a perfuser de nouveau un patient dont les sites de perfusion sont déjà délicats, et dont l’accès veineux est rendu compliqué par la perte liquidienne au niveau plasmatique.

→ L’évaluation de la surface et de la caractéristique des brûlures doit être minutieuse (voir article p. 48) afin de permettre un traitement et une orientation adaptés. Il est important de rechercher systématiquement toute autre pathologie associée à l’accident : brûlure pulmonaire, intoxication au CO ou au cyanure, traumatisme ou polytraumatisme. L’âge et les antécédents médicaux du patient font partie des critères de propositions en centre des grands brûlés : moins de 3 ans, plus de 65 ans, comorbidités, etc.

Lutte contre l’hypovolémie

→ La fuite capillaire très importante, entraînée par la chute rapide de la pression oncotique, expose rapidement le patient brûlé grave à un état de choc hypovolémique (fuite vers le secteur interstitiel et déficit en oxygène). Afin de conserver une fonction hémodynamique, et donc le maintien de la pression artérielle, la perfusion rapide de soluté cristalloïde (Ringer lactate pauvre en chlore et en sodium) sera débutée le plus rapidement possible. Le délai de mise en place de la réanimation hydro-électrolytique est un facteur déterminant dans l’incidence du développement des sepsis et sur la mortalité globale. Les solutions perfusées sont idéalement réchauffées à 37° C.

→ Il convient d’utiliser les protocoles ou recommandations locales. De nombreux services utilisent la règle de calcul de Parkland Hospital valable durant les 8 premières heures suivant la brûlure : 2 ml/Kg/% de la surface corporelle brûlée de Ringer lactate (RL), dont 20 ml/kg de RL dans la première heure.

Lutte contre la douleur

La lutte contre la douleur, généralement très intense, doit inclure l’administration d’antalgiques de pallier 1 à 3. L’administration de Meopa(1) est contre-indiquée en cas de défaillance vitale : choc, intoxication au C0, inconscience, détresse respiratoire…

→ La morphine titrée est indiqué dès lors que l’échelle visuelle analogique (EVA) est supérieure ou égale à 4 sur 10, mais là encore, il peut exister des ajustements en fonction des protocoles de chaque service.

→ L’administration de faible dose de kétamine est intéressante pour ses effets antalgiques de surface et permet une épargne importante des doses de morphine (effet antihyperalgésique).

Anesthésie générale et gestion des voies aériennes

Bien qu’indiquée lors des brûlures du cou, de la face ou des voies aériennes par l’apparition rapide d’un œdème, il n’est pas nécessaire de procéder systématiquement à une intubation orotrachéale si l’état hémodynamique et l’analgésie sont suffisants. Par contre, l’oxygénothérapie par inhalation doit être systématique, même en l’absence d’atteinte pulmonaire, en prévention du risque de choc hypovolémique, cardiogénique et hyperkinétique (ou réponse aiguë hyper-inflammatoire « SIRS »).

Sondage urinaire

En raison du caractère hautement septique du sondage urinaire par l’équipe préhospitalière, ce geste est à discuter uniquement en cas de brûlures du périné ou en cas de transport de longue durée, permettant ainsi l’évaluation du remplissage par le monitorage de la diurèse (objectif de diurèse à 1 ml/kg/h).

Conditionnement et transport

Toutes les zones brûlées doivent être protégées par un champ stérile non adhérent. L’application de désinfectant, antiseptique ou pommade est à proscrire. Le patient est emballé dans une couverture isothermique stérile afin de prévenir le risque d’hypothermie. Le monitorage et la surveillance clinique du patient sont constants durant tout le transport. Il n’y a pas de contre-indication au transport héliporté si l’équipe est aguerrie à ses contraintes.

1 - Mélange équimolaire oxygène protoxyde d’azote.

2 - Syndrome inflammatoire aigu.