Un salarié gravement brûlé sur son lieu de travail - L'Infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 377 du 01/12/2016

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

RICHARD GAUDIN*   BENOÎT KIPPER**   THOMAS LOWENHAUPT***  

Mobilisés suite à un accident ayant entraîné des brûlures graves d’un employé, les sapeurs-pompiers se sont attachés à explorer les fonctions vitales de la victime. Première étape de la prise en charge avant l’arrivée d’un infirmier de sapeurs pompiers.

L’HISTOIRE

→ Dans l’atelier d’une petite entreprise du secteur automobile qui compte une vingtaine de salariés, un mécanicien de 45 ans manipule des solvants de type alcools industriels pour le dégraissage et le nettoyage des pièces avant montage. Comme à l’accoutumée, il est habillé avec des vêtements de type EPI(1) industriels. Sa veste est légèrement ouverte et ses manches retroussées ; il porte son casque, mais pas de lunettes de protection, restées dans son casier(2).

→ Un problème de ventilation dans l’atelier a été signalé quelques heures auparavant ; il est en cours de réparation. Le mécanicien travaille donc dans une atmosphère qui se sature en produits inflammables.

→ Lors de la mise en route d’un appareil électrique, un violent retour de flamme se produit et une détonation est entendue dans tout l’atelier. Le mécanicien se jette au sol, et très vite des collègues accourent pour lui porter secours.

→ Les flammes se tarissent rapidement sous l’action conjuguée de son réflexe de se jeter à terre et de l’aide apportée par ses collègues qui l’entourent dans une couverture antifeu.

→ Le contremaître donne l’alerte en appellant les sapeurs-pompiers. Comme dans beaucoup de petites entreprises, il n’y a pas de présence médicale ou paramédicale sur place, c’est donc un employé ayant reçu la formation de sauveteur secouriste du travail (SST) qui réalise le dégagement d’urgence de la zone de l’accident.

→ Trop loin d’un point d’eau permettant de refroidir la brûlure, la décision est prise par le SST d’appliquer des gels d’eau sur les avant-bras de la victime en attendant l’arrivée des sapeurs-pompiers.

TRAITER L’URGENCE

À l’arrivée du véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV), le bilan secouriste est réalisé par les sapeurs-pompiers. Après avoir recherché les circonstances de l’accident, l’équipe s’attache à explorer les fonctions vitales à la recherche d’une détresse.

Premier bilan, premiers gestes

Le bilan initial fait ainsi état d’un homme de 45 ans conscient sans perte de connaissance, agité, victime de brûlures profondes sur les avant-bras, en circulaire sur le membre supérieur droit et non circulaire sur le membre supérieur gauche, les coudes, de brûlures avec phlyctènes sur le haut du thorax, brûlures avec érythème sur la face en totalité et cils, sourcils et cheveux en partie brûlés.

→ Conformément au référentiel secouriste, l’équipage procède à la mise en position de sécurité – allongé-proclive 30° –, à la mise sous oxygénation normobar à 9 l/min au masque à haute concentration, puis elle complète la pose de gels d’eau sur le thorax antérieur sans couvrir le visage.

→ Un équipier s’enquiert des paramètres vitaux : PA = 135/80  mmHg au stéthoscope ; FC = 115 bpm et SpO2 = 98 % sous oxygénothérapie. Il renseigne que les pupilles sont réactives à la lumière du jour et symétriques.

→ La douleur évaluée par un équipier est chiffrée à 3 sur une échelle EVS(3) de 0 à 4.

Fort de ces premiers éléments, le chef d’agrès du VSAV prend un premier contact auprès du médecin régulateur du CRRA15(4).

Entrée en action de l’ISP

L’infirmier de sapeurs-pompiers (ISP) se présente sur les lieux quelques minutes plus tard.

→ Il prend en compte les éléments secouristes auprès du chef d’agrès, et demande s’il peut observer rapidement les brûlures cachées par les gels d’eau, dans la limite de la douleur du patient. Il évalue ainsi la surface corporelle brûlée (SCB) à 18 % de la surface corporelle totale (SCT) selon la règle de Wallace (voir p. 49). Puis il demande le retrait des bagues de la victime et les fait confier au chef d’agrès du VSAV.

→ L’ISP fait appliquer le capteur SpO2 sur un doigt du membre concerné par la brûlure circulaire afin d’apprécier la perfusion vasculaire périphérique en aval de la compression. Il scope le patient en veillant à mettre le brassard de PNI au membre inférieur et réévalue la douleur à 7 sur 10 à l’aide de l’échelle visuelle analogique (EVA).

→ Il s’enquiert des antécédents de la victime : surpoids, diabéte non insulinorecquérant, traité par Glucophage.

Mise en œuvre de protocoles

→ Devant la gravité, l’étendue des lésions et l’hyperalgésie, il met en œuvre le protocole infirmier de soins d’urgence (Pisu) « douleur aiguë de l’adulte », intéressant la pose de voie veineuse périphérique (VVP) prioritairement en zone saine, l’administration en intraveineuse lente (IVL) de paracétamol 1 g et l’injection en intraveineuse directe (IVD) de 3 mg de morphine après renseignement de l’absence de contre-indications ou d’allergies (lire aussi p. 51). Dans le même temps, l’ISP fait passer le message au CRRA15 par le chef d’agrès du VSAV qui a pour tâche d’informer sur la réalisation des Pisu « douleur aiguë de l’adulte » et « brûlure adulte »(5). Le chef d’agrès précise au médecin régulateur que l’ISP transmettra un bilan complémentaire dès que possible.

→ Afin de prévenir la perte liquidienne induite par la fuite plasmatique, l’ISP réalise également le Pisu « remplissage du brûlé adulte », idéalement sur une seconde VVP permettant de conserver une lumière dédiée au remplissage et l’autre au reste de la prise en charge. Il s’agit d’administrer 20 ml/kg la première heure d’une solution isotonique, ici le NaCl 0,9 %.

Surveillance et examen clinique

→ Afin de prévenir le risque d’hypothermie induite, que l’on sait être délétère, l’ISP s’assure que la surface corporelle couverte par les gels d’eau ne dépasse pas 30 % de la SCT. Il veille au maintien d’une température corporelle normotherme en couvrant notamment le patient avec une couverture isothermique.

→ Il procède à la réalisation d’une glycémie capillaire, évalue le niveau de conscience du patient, réévalue la douleur, collige les antécédents et les traitements de la victime.

→ Il demande une surveillance de la fréquence ventilatoire et affine son examen clinique afin d’exclure la possibilité de brûlures des voies aériennes supérieures, en recherchant notamment les signes suivants : présence des suies au niveau des orifices bouche/nez, une raucité de la voix signant un œdème laryngé provoqué par des gaz ou des fumées chaudes. Il recherche également la présence de blast par un dépistage d’acouphènes, mais surtout enquête sur les circonstances de l’accident.

L’ISP transmet alors un bilan paramédical plus complet au médecin régulateur du Samu et évalue la pertinence d’un renfort médicalisé par le Smur.

Décision est prise que l’ISP poursuit sa prise en charge sans renfort, mais conditionne et transporte le patient vers un centre spécialisé dans la prise en charge de brûlés. Le Samu prévient le service receveur et conseille à l’ISP de le rappeler devant toute évolution défavorable : aggravation de la fonction ventilatoire sur une brûlure pulmonaire non décelée ou altération de l’état de conscience par exemple.

L’ISP poursuit sa prise en charge en déroulant ses Pisu. Il réévalue l’EVA, toujours à 7 sur 10 et administre ainsi une seconde injection IVD de 3 mg de morphine après avis du médecin régulateur tout en veillant à la surveillance étroite des paramètres vitaux, et ce jusqu’à l’arrivé à l’établissement de soins.

1 - Équipement de protection individuelle

2 - On notera que le salarié n’est pas en conformité avec la réglementation, qui impose en plus des manches baissées et de la veste fermée, un masque, des lunettes et des gants adaptés, gants qu’il ne porte jamais, car il dit ne pas sentir ce qu’il touche avec. Lire aussi l’article p. 46.

3 - Échelle visuelle simple.

4 - Centre de réception et de régulation des alertes.

5 - Cf la note d’information N° DGOS/R2/2016/244 du 22 juillet 2016 relative aux protocoles Infirmiers de soins d’urgence (PISU).