Agir plutôt que parler ! - L'Infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

RISQUES PSYCHOSOCIAUX

DOSSIER

Alors que le personnel paramédical est particulièrement exposé aux risques psychosociaux, la mise en œuvre d’actions de prévention n’est pas encore systématique. Ici ou là, quelques DRH prennent le sujet à bras le corps.

Contraintes liées au rythme de travail, exposition à des produits dangereux, tensions avec le public, confrontation à la souffrance des patients… On le sait : les IDE sont des cibles privilégiées pour les risques psychosociaux (RPS). Un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) le rappelait encore(1) : 18 % des soignants se disent « constamment sous pression » et 75 % des infirmières interrogées affirment avoir « trop de choses à penser à la fois ». La série de suicides survenue l’été dernier confirmait cette triste réalité. Pourtant, d’après le baromètre FHF sur les enjeux RH(2), la prévention des RPS constitue une priorité pour seulement 20 % des DRH. Certes, plus de 8 établissements sur 10 ont entamé une démarche d’évaluation des facteurs de RPS (conformément à l’accord-cadre signé en 2013 sur la prévention des RPS dans la fonction publique), mais seuls 24 % des répondants affirment que les RPS constituent « une réalité à laquelle ils doivent faire face ».

Cette réalité, Pascale Limoges, DRH du CH de Saint-Nazaire (44), en a bien conscience. Depuis 2012, son établissement travaille sur la problématique des RPS. « Nous emménagions à l’époque dans un établissement neuf, ce qui engendrait beaucoup de réorganisation et faisait émerger des problèmes de communication dans les équipes et des situations de souffrances au travail », rappelle la DRH. Le centre hospitalier est aussi confronté à une augmentation de l’absentéisme et des accidents du travail. Avec l’appui des cadres, une grille d’identification des RPS est élaborée, suivie d’un vaste plan de formation (plus de 50 cadres en ont bénéficié) avec une série de conférences ouvertes à l’ensemble du personnel. « Les cadres sont allés dans 15 services pour dresser une cartographie des situations à risque. Ce fut une démarche longue et chronophage. » Mais ce travail a permis d’identifier cinq grands thèmes sur lesquels se concentre la politique RH : l’organisation du travail, les relations sociales et les relations de travail, la réalisation et le développement professionnel, la santé et les conditions de travail ainsi que le management et la gestion de projets. Dans chaque thématique, des actions variées ont été mises en place : plan de prévention des situations de violence (en psychiatrie, gériatrie et urgence), grille d’analyse des accidents du travail, recrutement d’un psychologue du travail, analyse des pratiques professionnelles dans des services où l’on identifie des situations de souffrance, travail sur une nouvelle politique de mobilité avec formation en interne pour permettre aux infirmières et aides-soignantes de mieux préparer l’entretien de mobilité, réalisation d’un guide de la gestion des effectifs pour clarifier les règles (notamment pour les temps partiels)… Les effets de la démarche ne sont pas encore spectaculaires : « Notre taux d’absentéisme stagne à 9,5 % depuis plusieurs mois. Je ne m’en réjouis pas, mais nous constatons sur certains secteurs comme la gériatrie un net fléchissement des absences de courte durée. Est-ce en lien avec nos actions ? Je ne pourrai le dire. Le nombre de restrictions d’aptitude reste important. Nous avons déployé beaucoup d’énergie, mais les succès sont minimes », reconnaît Pascale Limoges.

Équipe mobile

Au CH Louis Brunet, à Allauch (13), la direction a fait le choix de créer une équipe mobile médico-psychosociale du travail. Composée du trio psychologue du travail, assistante sociale et médecin du travail, elle devrait se mettre en place en fin d’année et être mutualisée entre six établissements au total (une clinique et des Ehpad en plus du centre hospitalier). Objectifs : accompagner les agents, évaluer et travailler les RSP et adopter une politique des RH plus adaptée. « Le fait que l’équipe intervienne sur six sites différents présente l’avantage de pouvoir conserver l’anonymat pour les agents qui pourront consulter en dehors de leur lieu de travail », précise Robert Sarian, directeur du CH d’Allauch. Financé par l’agence régionale de santé, le dispositif est expérimental et ne pourra être pérennisé qu’à condition que les six établissements consentent à le financer sur leurs propres deniers.

Au CH Sainte-Anne, à Paris, une vaste enquête sur la qualité de vie au travail vient d’être réalisée à laquelle 800 agents ont participé. « Avec une présentation des résultats par pôle, nous avons pu constater qu’à activité et lieu de travail quasi-identiques, les équipes ne vivent pas les mêmes réalités », indique la DRH, Marie-Cécile Mocellin. Ce qui fait la différence ? « Les temps d’échanges réguliers, même courts, constituent l’une des explications, et plus globalement les organisations internes mises en place dans les unités », avance la DRH qui travaille aujourd’hui avec les managers pour s’approprier les résultats et insuffler les bonnes pratiques. Les initiatives de ces DRH trouveront-elles un appui dans le plan national d’action sur les RPS pour les professionnels de santé que Marisol Touraine a annoncé début décembre ? Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI, n’y croit pas : « On demande aux hôpitaux de faire 3,5 milliards d’euros d’économies, on va supprimer 16 000 lits et 22 000 postes, et à côté de ça, notre ministre nous annonce un plan à 100 000 €. Cela revient à dire : je vois que vous n’allez pas bien, on va vous amputer un membre, mais rassurez-vous c’est moi qui paie le pansement ! »

1- Drees, « Portrait des professionnels de santé », février 2016.

2- Baromètre FHF – Obea des enjeux RH 2016, réalisé auprès de 274 DRH, directeurs des affaires médicales et directeurs d’établissements de santé et médico-sociaux.

TÉMOIGNAGES

FABIENNE

IDE RECLASSÉE SUITE À UN ACTE DE VIOLENCE

« En 15 jours, la DRH m’a trouvé un nouveau poste »

« Cela faisait 15 ans que je travaillais en psychiatrie. Un jour une patiente m’a violemment agressée. Bien qu’habituée aux actes de violence, cet épisode m’a traumatisée. Je ne m’en suis pas rendue compte sur l’instant, mais j’ai tout de même demandé à passer de nuit. Un poste que j’ai occupé pendant une année. En parallèle, la cadre m’a recommandé d’aller consulter le médecin du travail. Elle m’a aussi conseillée d’aller voir un psychologue. Je lui disais que j’allais voir… Puis, un jour, la patiente en question est revenue, je me suis pris une bouffée d’angoisse terrible. J’étais paniquée. J’ai dit à mes collègues que je n’y arriverais pas… C’est là que je suis allée consulter un psy. Je ne me suis pas arrêtée, mais j’ai aussitôt demandé à changer de service. Sachant que l’hôpital allait supprimer treize postes en psychiatrie, j’ai contacté la DRH pour dire que j’étais volontaire pour un reclassement. La DRH m’a reçue, écoutée et, en l’espace de 15 jours, m’a proposé un poste. Je travaille depuis un an au laboratoire. C’est le seul poste que l’on m’ait proposé, mais il me convient. Même si c’est un travail très routinier, je m’y retrouve avec le contact avec les patients. À un an de la retraite, je travaille uniquement du lundi au vendredi et de 8 h à 16 h… On entend beaucoup de bruits de couloirs sur la DRH, on dit que ce sont des gens intouchables. Mais là, dans mon cas, pas du tout. Il y a eu une très bonne écoute et réactivité. Au détour d’un couloir, j’ai été la remercier. »

STÉPHANIE

IDE DEVENUE SECRÉTAIRE MÉDICALE AU CH DE SAINT-NAZAIRE

« Je suis arrivée à me projeter dans ce nouveau métier »

« Infirmière en dialyse, je rencontrais des problèmes de santé. La déformation de mes mains et de mes doigts posait de plus en plus de difficultés, notamment pour mettre des gants. Je savais que j’allais devoir demander une adaptation ou un changement de poste. Mais je me demandais quel allait être mon avenir, les postes d’IDE compatibles avec un tel problème étant très rares. Après avoir rencontré le médecin du travail suite à un arrêt longue durée consécutif à un accident de voiture, je suis allée voir une chargée de mission de la DRH pour parler de mes difficultés et de mes souhaits. J’ai également pris contact avec les cadres de santé et de pôle avant de passer un entretien avec la DRH. Fin août, on m’a proposé un poste de secrétaire médicale à la médecine du travail. J’ai accepté, car je suis arrivée à me projeter dans ce nouveau métier. En même temps, c’était la seule possibilité que l’on me proposait et j’arrivais en fin de droits. Mais avec le recul, je ne le regrette pas, mon nouveau poste me permettant de continuer à travailler en équipe. Et pour être à l’aise avec les outils informatiques, j’ai été formée trois jours. »