Ce qu’il faut savoir pour repérer, soigner et prévenir - L'Infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

A. L.  

Qu’elle soit accidentelle, neurologique ou plurifactorielle, l’escarre est une lésion ischémique de la peau difficile à soigner qui dégrade fortement la qualité de vie des patients. Une évaluation initiale est essentielle pour définir la stratégie de soins.

1. DÉFINITION

L’escarre est définie comme une lésion ischémique de la peau par la compression des capillaires entre les saillies osseuses et un plan dur(1, 2).

C’est une plaie de forme conique « de l’intérieur vers l’extérieur » dont la base est profonde. La majorité de la lésion n’est donc pas visible ce qui explique pourquoi ces plaies sont le plus souvent de forme cavitaire et semblent s’aggraver rapidement en atteignant, au stade le plus grave, les plans musculaires, tendineux ou osseux(3). En effet, les tissus musculaires, richement vascularisés, sont plus sensibles à l’hypoxie que l’épiderme et le derme.

La cicatrisation de l’escarre se fera par le fond de la plaie.

2. ÉPIDÉMIOLOGIE

En France, on estime à 300 000 le nombre de personnes porteuses d’au moins une escarre. Selon une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) réalisée en 2011(4), qui classe l’escarre de décubitus dans les événements indésirables associés aux soins (EIAS), au même titre que l’infection liée aux soins ou l’oubli d’un corps étranger pendant une procédure médicale, la prévalence de l’escarre est de 7,8 cas pour 1 000 séjours hospitaliers. Il s’agit de l’évènement indésirable lié aux soins le plus fréquent enregistré dans cette étude. L’allongement moyen de la durée du séjour d’un patient présentant au moins une escarre équivaut à 11 jours.

Le surcoût des dépenses de santé à l’hôpital lié au traitement de ces escarres est supérieur à 4 000 € par séjour, soit environ 125 millions d’euros par an. L’escarre est une affection coûteuse pour la société et qui dégrade grandement la qualité de vie des patients.

3. CAUSES ET MÉCANISMES DE FORMATION

→ Les causes de la formation d’une escarre peuvent être regroupées en trois catégories(1) :

• l’escarre « accidentelle » qui survient lors d’un trouble temporaire de la mobilité et/ou de la conscience comme lors d’une pathologie infectieuse (clinophilie) ou d’une immobilisation orthopédique (plâtre, traction…) ;

• l’escarre « neurologique » est la conséquence d’une maladie chronique motrice et/ou sensitive qui touche principalement les personnes blessées médullaires (souvent jeunes) et atteintes de neuropathie. Ce type d’escarre étant la plupart du temps récidivant, il est nécessaire d’accentuer la prévention et l’éducation des patients et de leur entourage. Le principal traitement est chirurgical (chirurgie de lambeau) ;

• l’escarre « plurifactorielle » est typique du patient polypathologique rencontré en réanimation, en gériatrie et en soins palliatifs. Elle combine plusieurs mécanismes de formation.

→ Les mécanismes conduisant à la formation d’une escarre, quelle que soit sa cause, sont multiples et peuvent se combiner :

• les mécanismes extrinsèques au patient dits mécanismes de pression (immobilisation sur un plan dur), de friction ou de cisaillement (phénomène de glissement dans le lit ou d’affaissement dans le fauteuil) sont ceux sur lesquels il sera le plus facile d’agir. La macération de la peau (liée à l’incontinence urinaire et fécale notamment), et la pullulation microbienne qui en résulte (potentialisée par la présence d’urines ou des selles), irrite et ramollit l’épiderme qui devient moins résistant aux autres facteurs. En atténuant ou en supprimant ce facteur, le risque de former une escarre sera diminué ;

• les mécanismes intrinsèques au patient (ou mécanismes physiologiques) sont à prendre en compte dans les actions de prévention. Il s’agit de l’âge, de l’état nutritionnel, de la mobilité, de l’état initial de la peau, de l’incontinence, de pathologies chroniques comme le diabète, la neuropathie, l’artériopathie des membres inférieurs, d’une maladie aiguë, d’une baisse du débit circulatoire, d’un antécédent d’escarre, des patients en phase terminale…

→ La connaissance des causes et des mécanismes de formation de l’escarre permet aux soignants d’agir en amont pour éviter la constitution de celle-ci car la majorité peut être évitée. Malheureusement dans quelques cas très spécifiques et malgré les mesures de prévention, la survenue de l’escarre semble inévitable(5) :

• chez les patients en collapsus cardiovasculaire, instables hémodynamiquement, qui nécessitent certains traitements médicamenteux (vasoconstricteurs) pour maintenir une tension artérielle suffisante pour perfuser les « organes nobles » au détriment des extrémités (développement d’escarre talonnière) ;

• chez les patients en phase terminale d’une pathologie chronique dont l’organisme est épuisé qui seront sujets aux escarres multiples ;

• chez les patients nécessitant une immobilisation stricte : phase aiguë d’une blessure médullaire chez un polytraumatisé par exemple ;

• chez les patients dont l’état nutritionnel et l’état d’hydratation ne peuvent être corrigés ou maintenus à un niveau satisfaisant.

Il s’agira alors de limiter leur gravité et leur nombre en agissant sur les mécanismes extrinsèques.

4. LOCALISATION

Même si les escarres se concentrent à 80 % sur le sacrum et les talons(6), toutes les surfaces de peau susceptibles d’être exposées aux mécanismes de formation de l’escarre peuvent être concernées. D’autres localisations sont moins communes, mais doivent néanmoins être envisagées par les soignants : ce sont les plaies liées aux dispositifs médicaux tels que les sondes urinaires, notamment chez l’homme au niveau du gland, les sondes naso-gastriques sur les ailes du nez, les lunettes à oxygène sur les oreilles… Ainsi le trajet de tous les fils ou tubes qui peuvent être positionnés sous ou dans le corps du patient peut devenir un risque potentiel d’escarre.

5. STADES ET ÉVALUATION DE L’ESCARRE

Une évaluation initiale est essentielle pour définir la stratégie de soins et envisager un pronostic. Elle indique le nombre d’escarres et comprend pour chacune leur localisation, leur stade de gravité, leurs dimensions et l’aspect de la peau péri-lésionnelle.

Quatre stades

Dans la conférence de consensus sur la prévention et le traitement de l’escarre de l’adulte et du sujet âgé de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé de 2001(1), la gravité de l’escarre est décrite en quatre stades(7). Si pour les stades 1 et 2, le processus de formation de l’escarre est rapidement réversible si le traitement local et la suppression du mécanisme de formation (suppression de l’appui par exemple) sont rapidement mis en place, le traitement de l’escarre aux stades 3 et 4 est plus long (plusieurs mois) et plus complexe avec des risques importants de complications, notamment infectieuses, et la cicatrisation complète n’est pas toujours obtenue.

Évaluation et suivi

L’évaluation de l’escarre permet le suivi de l’évolution en mesurant sa surface et sa profondeur, son niveau de cicatrisation grâce à l’évaluation colorielle, en quantifiant les exsudats, en qualifiant les odeurs et en notant la présence ou l’absence de signes de gravité comme l’infection, les décollements, les fistules, le contact osseux ou la dégradation de la plaie. Cette évaluation doit être faite à chaque pansement et être inscrite dans le dossier du patient afin de pouvoir apprécier l’évolution favorable ou défavorable de l’escarre et contribuer à la continuité des soins.

→ Les dimensions de l’escarre comprennent la longueur et la largeur les plus élevées de la plaie à l’aide d’un calque conservé dans le dossier patient, d’une règle graduée ou de la pince de soins, à condition de connaître ses mesures. La profondeur s’apprécie à l’aide d’un écouvillon, d’une pince ou d’une règle graduée. Les décollements doivent être recherchés et mesurés à l’aide d’un écouvillon ou d’une pince en explorant les berges ; leur orientation doit être notée.

→ L’évaluation colorielle consiste à noter les pourcentages de chaque couleur observée dans le lit de la plaie après son nettoyage et sa détersion : le noir correspondant à la nécrose, le jaune à la fibrine, le rouge au bourgeonnement, le tout est égal à 100 %. C’est principalement sur cette évaluation que va se baser le choix du pansement.

→ La quantification et la qualification des exsudats et des odeurs permettent de détecter une éventuelle infection, mais également d’orienter sur le choix du pansement selon leur capacité d’absorption ou de filtration des odeurs.

→ Enfin, l’évaluation photographique est un bon outil de suivi. La prise de vue doit respecter les couleurs réelles et doit être faite avec un élément de mesure afin de donner une échelle à la photo. Elle comprend une cliché avec un vue d’ensemble pour situer la localisation de l’escarre et un plan rapproché pour apprécier les détails.

Évaluation de la peau péri-lésionnelle

L’évaluation de la peau péri-lésionnelle est aussi importante que celle de la plaie en elle-même. En effet, celle-ci est largement sollicitée, car c’est sur elle que vont venir se coller les pansements. Si son état ou sa sensibilité ne sont pas pris en compte dans le choix du pansement, celui-ci risque de ne pas rester en place et d’autres plaies peuvent ainsi se créer, notamment des désépidermisations. Un eczéma de contact ou une allergie sont également des complications fréquentes. L’utilisation de certains produits peut provoquer une macération.

6. PRÉVENTION

La notion de prévention(1) d’escarre s’applique à tous les patients dont l’état cutané est intact, mais également à tous les patients déjà porteurs d’escarres pour éviter qu’ils n’en développent de nouvelles. Les mesures de prévention doivent être mises en place dès l’identification des facteurs de risque.

Identifier les risques

Pour être efficace, les mesures de prévention doivent être adaptées à chaque patient en fonction du degré de risque auquel il est exposé. Il ne s’agit pas de faire la même prévention d’escarre à tous les patients, mais bien d’identifier ceux pour lesquels la surveillance et les soins de prévention vont être plus rapprochés. Ainsi, différentes échelles ont été créées afin de mesurer ces risques(1). Elles ciblent plusieurs facteurs de risques dominants, chacun étant divisé en différents critères qui sont pondérés en fonction de l’état du patient. Le score obtenu donne le niveau de risque de constituer des escarres. Trois échelles sont plus couramment utilisées :

• l’échelle de Norton, créée en 1962 en Grande-Bretagne, est la plus ancienne. Elle est relativement rapide à compléter. Elle compte cinq critères (condition physique, état mental, activité, mobilité et incontinence) notés de 4 à 1 selon leur gravité. Cependant les risques liés à l’état nutritionnel sont absents. Le score le plus élevé montre le risque le plus haut ;

• l’échelle de Braden a été créée aux États-Unis en 1985. Elle est claire et facile d’utilisation. Elle compte aussi cinq critères (perception sensorielle, mobilité, degré d’activité physique, nutrition, degré d’humidité de la peau, friction et cisaillement), mais ceux-ci diffèrent de l’échelle de Norton. Elle prend notamment en compte les facteurs mécaniques de friction et de cisaillement, mais aussi la nutrition. Sur cette échelle, le score le plus bas montre le risque le plus haut ;

• l’échelle de Waterlow, d’origine anglaise, a également été créée en 1985. L’âge et le sexe sont intégrés comme critère de risque. Elle est un peu plus longue à compléter (11 critères), mais également plus précise sur les mécanismes intrinsèques comme les déficits neurologiques ou les insuffisances de perfusion des tissus. Ainsi, elle est particulièrement adaptée à la réanimation. Le risque le plus haut obtient la note la plus élevée.

Ces échelles sont une aide précieuse, mais ne doivent pas remplacer l’observation du patient et ses signes cliniques du patient : état de la peau, faculté de mobilisation, nutrition, pathologies pré-existantes…

Décharger les zones de pression

La pression est le principal facteur de formation des escarres. Soulager les zones de pression est donc un moyen de prévention efficace.

→ Pour les patients nécessitant un alitement prolongé, les changements de position doivent être opérés toutes les 2 à 3 heures en alternant le décubitus dorsal et les décubitus obliques (à 30°) droite et gauche. L’objectif est de soulager les zones à risque élevé (talons, sacrum, épines dorsales, occiput) en évitant de créer d’autres appuis. Ainsi, le décubitus à 90° est à éviter, car il crée des zones de pressions au niveau des trochanters et des épaules. En position semi-assise, le dossier du lit doit être relevé à 30° pour décharger la zone ischiatique et un plicature de 30° au niveau des genoux permet de prévenir le phénomène de cisaillement au niveau du sacrum.

→ L’utilisation de matelas anti-escarres est une aide précieuse, mais elle ne remplace pas les changements de positions et les autres mesures de prévention. Qu’ils soient statique à air, en mousse visco-élastique, gaufrier, à mémoire de forme, ou à air dynamique, ces supports ont le même objectif : diminuer la pression exercée en augmentant la surface de contact du matelas avec le corps pour les matelas statiques ou en créant des zones de décharges lors de l’alternance des phases de gonflage et de dégonflages des cellules d’air pour les matelas dynamiques. Dès que l’alitement n’est plus indispensable, une verticalisation ou une mise au fauteuil sont recommandés.

→ Au fauteuil, l’installation du patient doit éviter les phénomènes de cisaillement en prévenant le glissement du patient. L’utilisation d’un coussin de siège permet de modifier la répartition du poids

Observer et protéger la peau

L’observation régulière de l’état cutané du patient permet de détecter tout signe précoce d’altération de la peau. Ainsi, tout changement de position ou soin d’hygiène peut être l’occasion d’inspecter minutieusement toutes les zones à risque (talons, sacrum, ischions, épines dorsales…).

Dans les services de soins, les aides-soignants ont un rôle fondamental dans la prévention de l’escarre : ce sont des « sentinelles » pour les infirmières. Ce sont elles qui, la plupart du temps, assurent les soins d’hygiène et de confort (toilette, soins de nursing, changes), qui surveillent l’état cutané, qui veillent à l’alimentation et à l’hydratation des patients… Elles peuvent ainsi donner l’alerte dès qu’elles détectent un facteur de risque ou l’apparition d’une rougeur. Il est donc indispensable qu’elles soient pleinement intégrées dans les mesures de prévention de l’escarre.

Une hygiène rigoureuse de la peau limite la macération qui peut fragiliser la peau. L’application de crème ou d’huile hydratante par effleurage est préconisée. L’incontinence urinaire et fécale étant considérée comme un facteur de risque d’altération cutanée par macération et par la présence de bactéries, la toilette intime et les changes doivent être renouvelés, aussi souvent que nécessaire, avec notamment l’application d’une crème avec effet « barrière hydrolipidique » pour isoler la peau des urines et des selles.

Les massages, pétrissages et frictions sont à proscrire(1), tout comme l’application de glaçons et d’air chaud, de produit alcoolisé pouvant dessécher la peau ou d’éosine qui, en plus de sécher la peau, masque les premiers signes de l’escarre. Ces pratiques sont très délétères pour la peau des patients et ne contribuent en aucun cas à la prévention des escarres.

1 - Anaes, Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé. Conférence de consensus, novembre 2001 (bit.ly/2gFjnfJ).

2 - Le site escarre.fr (www.escarre.fr).

3 - Wikipédia (https://fr. wikipedia.org/wiki/Escarre).

4 - Nestrigue C, Or Z. Surcoût des événements indésirables associés aux soins à l’hôpital. Premières estimations à partir de neuf indicateurs de sécurité des patients. Irdes. Questions d'économie de la santé. N° 171, décembre 2011 (bit.ly/2fylapx).

5 - Black JM et al. Pressure ulcers: avoidable or unaidable? Results of the national pressure ulcer advisory panel consensus conference. Ostomy Wound Management. 2011;57 (2):24-37 (bit.ly/2gEQ3Vo).

6 - Le site escarre.fr, onglet « La plaie », rubrique « Différentes escarres » (bit.ly/2fygQH7)

7 - National Pressure Ulcer Advisory Panel, European Pressure Ulcer Advisory Panel and Pan Pacific Pressure Injury Alliance. Prevention and Treatment of Pressure Ulcers: Quick Reference Guide. Emily Haesler (Ed.). Cambridge Media: Osborne Park, Western Australia; 2014 (bit.ly/17A4p4b).