Halte à la dénutrition - L'Infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

A. L.  

La dénutrition est à la fois un facteur de risque de l’escarre et un facteur de retard de cicatrisation. La prévention de l'escarre inclut donc une prévention de la dénutrition.

Selon la Haute Autorité de santé (HAS), « la dénutrition protéino-énergétique résulte d’un déséquilibre entre les apports et les besoins protéino-énergétiques de l’organisme »(1). Il s’agit d’un phénomène involontaire qui engendre une fonte des tissus, notamment musculaires, ayant pour conséquence l’apparition de comorbidités et/ou l’aggravation de pathologies sous-jacentes.

La dénutrition est fréquente chez les personnes âgées : en France, on estime qu’elle touche entre 4 et 10 % des sujets âgés au domicile, 50 % des patients âgés hospitalisés en court et moyen séjours et entre 15 et 38 % des personnes âgées en institution.

Différentes causes

La dénutrition peut être liée à une insuffisance d’apport nutritionnel, à un hypercatabolisme protidique non compensé, ou aux deux phénomènes. Fréquemment, un épisode aigu (infection ou fracture le plus souvent) aggrave brutalement un état nutritionnel précaire par une augmentation de la consommation protéino-énergétique afin de lutter contre cet épisode.

→ Une insuffisance d’apport nutritionnel peut être en lien directe avec le vieillissement (démence, vieillissement physiologique entraînant une altération du goût, une perte de la sensation de faim, altération de l’état bucco-dentaire…). Mais la dénutrition peut aussi être causée par des phénomènes touchant toutes les catégories d’âge comme un syndrome de malabsorption, un état dépressif, une perte d’autonomie suite à un état de handicap, les effets secondaires anorexigènes de certains médicaments (nausées, vomissements, somnolence…), des régimes thérapeutiques trop sélectifs (sans sucre, sans gras, sans sel…), la précarité socio-économique (baisse du pouvoir d’achat, précarité…)… Souvent, ces différentes causes se cumulent, voire se potentialisent.

→ Les causes d’hypercatabolisme protidique sont souvent indépendantes de l’âge du patient et peuvent être multiples : infection, brûlures sévères, cancer, fracture, maladies inflammatoires chroniques, hyperthyroïdie, défaillance organique (cardiaque, respiratoire, hépatique).

→ Les plaies chroniques constituent une situation d’hypercatabolisme et provoquent une dénutrition ou l’aggravent. En effet, le phénomène de cicatrisation est consommateur de protéines et d’acides aminés. Les carences protéino-énergétiques et en micronutriments réduisent les capacités de synthèse de collagène, de prolifération de fibroblaste, et d’angiogénèse. Les défenses immunitaires sont également diminuées par altération de la phagocytose, d’où une augmentation du risque infectieux.

Diagnostic et évaluation

La nutrition est essentiellement évaluée par :

→ des critères anthropométriques : le poids et ses variations dans le temps, le calcul de l’indice de masse corporelle. Le poids de référence est le poids habituel hors pathologie aiguë. Il faut également tenir compte de la présence éventuelle d’œdèmes ou d’une déshydratation qui pourrait faire varier le poids ;

→ des marqueurs biologiques : les taux d’albuminémie et de pré-albuminémie sont les plus couramment utilisés. Le taux d’albumine reflète l’état nutritionnel des trois derniers mois, mais il est soumis à des variations importantes lors d’épisodes d’inflammation ou de déshydratation. La pré-albumine reflète quant à elle les 72 dernières heures et permet de suivre avec précision la renutrition ;

→ le MNA (mini nutritional assessment), une échelle d’évaluation du risque de malnutrition chez la personne âgée.

Besoins protéino-énergétiques

Les besoins protéino-énergétiques quotidiens dépendent de l’âge, du sexe, de l’activité physique, mais aussi de la présence d’une pathologie chronique non décompensée (diabète équilibré par exemple) : entre 20 et 35 kcal/kg/j en moyenne et de 1 g/kg/j de protéines. En cas d’hypercatabolisme, ces besoins augmentent : ils sont multipliés par 1,2 à 1,6(2) en cas d’infection et par 1,1 chez le patient en post-opération sans complication par exemple. La présence d’escarre multiplie par 1,5 minimum les besoins en protéines.

Traitements de la dénutrition et surveillances des risques

En cas de dénutrition, les apports énergétiques doivent être de 30 à 40 kcal/kg/j avec un apport protidique multiplié par 1,2 à 1,5.

Nutrition entérale

→ Le traitement de la dénutrition doit se faire en priorité par voie orale pour conserver les fonctions digestives. Des actions parfois minimes peuvent suffirent comme :

– une aide technique (couverts ergonomiques par exemple) ou humaine au repas ;

– la réévaluation de la nécessité des régimes restrictifs ou de certains médicaments ;

– des soins bucco-dentaire, de la rééducation orthophonique pour les troubles de déglutition ;

– l’adaptation des textures, de la présentation des plats pour les patients déments ;

– le fractionnement des repas ;

– l’alimentation peut être enrichie sans pour autant en augmenter le volume en ajoutant du lait entier en poudre, de la crème fraiche, du fromage râpé, des œufs ou des poudres de protéines au goût neutre ;

– l’ajout de compléments nutritionnels oraux.

→ Si la voie orale s’avère insuffisante ou impossible, l’alimentation pourra se faire (en complément de la nutrition par voie orale ou en la substituant) par voie entérale à l’aide d’une sonde naso-gastrique (SNG) si la durée prévisionnelle est inférieure à un mois ou par une sonde de gastrostomie si elle doit être prolongée au-delà.

→ Les risques de la nutrition entérale par SNG ou par sonde de gastrostomie sont principalement :

- la pneumopathie d’inhalation causée par le déplacement de la sonde ou par un mauvais positionnement du patient. Une stase gastrique peut également être la cause de régurgitation du contenu stomacal lors des mobilisations du patient ;

- la sonde d’alimentation bouchée par un rinçage insuffisant après utilisation, une solution d’alimentation trop épaisse ou l’administration de médicaments non solubles ;

– la diarrhée, en dehors de toute pathologie liée au patient ou de tout effet secondaire des traitements, provient souvent d’un débit de l’alimentation trop rapide ou d’un mauvais positionnement de la SNG (trop « loin » dans l’estomac) ;

– les nausées ou vomissements sont liés à un débit trop élevé, à une mauvaise vidange gastrique ou à un mauvais positionnement de la SNG.

Nutrition parentérale

Si la voie entérale est impossible, notamment en cas de pathologie du tube digestif, la voie parentérale (intraveineuse) doit alors être envisagée. Quelle que soit la voie les risques infectieux et thromboemboliques liés au cathéter sont élevés et nécessitent une surveillance accrue. Le volume de la nutrition parentérale doit également être pris en compte chez les patients dont les apports veineux sont contrôlés.

→ La voie veineuse périphérique (VVP) est possible pour une nutrition parentérale complémentaire de la nutrition entérale. Elle doit être inférieure à 10 jours et le capital veineux de patient doit être suffisant.

→ La voie veineuse centrale (VVC, chambre implantable ou Piccline) est la seule voie d’abord pour une nutrition parentérale exclusive. Elle est réservée aux besoins énergétiques élevés sur une durée prévisible supérieure à 10 jours.

Syndrome de renutrition inappropriée(3)

Il s’agit d’un ensemble de complications métaboliques (hypophosphorémie, hypomagnésémie, hypokaliémie, hyperglycémie, hypovitaminose B1, K…) pouvant conduire à de graves défaillances, notamment cardiaques, respiratoires et neurologiques. Le SRI apparaît fréquemment dans les premiers jours de renutrition en cas de nutrition parentérale, mais également en cas de nutrition entérale dès lors que les apports protéino-énergétiques sont trop importants et qu’il n’y a pas d’administration concomitante de vitamines et d’oligoéléments chez des patients en dénutrition sévère ou après un jeune prolongé (jeûne strict depuis 5 jours ou apport alimentaire faible depuis 10 jours). La renutrition doit donc être progressive et comporter un apport de vitamines et d’oligoéléments. Un bilan biologique doit être réalisé avant et pendant la renutrition.

1 - HAS. Évaluation diagnostique de la dénutrition protéino-énergétique des adultes hospitalisés. Septembre 2003 (bit.ly/2gRL87D).

2 - CHU de Montpellier. Guide de prise en charge nutritionnelle de l’adulte. Juillet 2010, www.chu-montpellier.fr/fr/utn/.

3 - Guex E, Coti Bertrand P. Syndrome de renutrition inappropriée (SRI). Nutrition clinique et métabolisme. 2011;25:42-44 (bit.ly/2gRXpcc).