PEUT-ON TOUT DIRE AU NOM DE LA SANTE PUBLIQUE ? - L'Infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 378 du 01/01/2017

 

PRÉVENTION DU VIH

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Hélène Colau  

Honteuse, choquante, immorale… La dernière campagne de prévention du VIH de Santé publique France a suscité la polémique, entraînant le retrait des affiches dans certaines communes. Des réactions qui remettent en question l’efficacité des campagnes grand public.

Jean-Luc Romero-Michel

« Des campagnes moralistes, ça ne sert à rien »

La dernière campagne gouvernementale de prévention du VIH a entraîné des réactions très vives. Pourquoi viser spécifiquement les homosexuels ?

En France, les personnes vulnérables au VIH, ce sont d’abord les HSH [hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes] et les migrants. C’est pourquoi il est important de faire campagne dans leur direction ! Les maires qui se sont opposés à ces affiches ont une vraie méconnaissance de la pandémie. Pour moi, ils sont coupables de non-assistance à personne en danger. Je les renvoie à leurs responsabilités.

Nombreux ont été choqués par des mentions telles un « Coup d’un soir » ou « Avec un inconnu »…

Mais les jeunes ont des expériences sexuelles de ce type ! Et quand une campagne met en scène des hétérosexuels dans des situations similaires, bizarrement, ça choque beaucoup moins. Personne ne s’en offusque, ni ne met en avant la préservation des enfants ! Pour moi, c’est donc de l’homophobie pure et simple. Car en réalité, si des enfants demandent pourquoi il y a deux messieurs sur l’affiche, il suffit de le leur expliquer. C’est l’occasion d’amorcer une conversation sur l’homosexualité…

Cette polémique marque-t-elle, selon vous, une évolution inquiétante de la société ?

Il y a quelques années, il y avait un consensus à gauche comme à droite pour ne pas faire intervenir la morale lorsqu’il s’agissait de prévention. Des campagnes « moralistes » qui n’interpellent personne, ça ne sert à rien ! L’intervention de ces quelques maires me paraît dans la même ligne que la polémique provoquée par la mise en place des salles de consommation à moindre risque [salles de shoot, NDLR]. Alors que le décret du 13 mai 1987 sur la vente libre de seringues avait fait l’unanimité, on assiste, plus de vingt ans plus tard, à une régression… Ce qui m’inquiète le plus – car finalement ceux qui ont protesté étaient minoritaires –, c’est que, parmi ces maires, certains sont proches de François Fillon et seront peut-être amenés à jouer un rôle politique plus important à l’avenir…

Pensez-vous que l’on puisse tout autoriser au nom de la santé publique ?

Sans aller jusque-là, je pense que les associations ont raison de réaliser des campagnes marquantes. Personnellement, je n’ai jamais vu de campagne trop scandaleuse pour être affichée. Si l’on s’en offusque, je crains qu’on aille plus loin et qu’on arrête carrément de financer la Prep(1), actuellement remboursée par la Sécu. Ça, ce serait vraiment grave. Mais finalement, cette polémique aura eu le mérite de faire parler du VIH. Dans un sens, elle a atteint son objectif ! Car aujourd’hui en France, 30 000 personnes ignorent leur séropositivité. C’est ça qui est grave, car les personnes sous traitement n’en contaminent plus d’autres. Or on sait qu’en se mobilisant, on pourrait faire disparaître le sida de la planète d’ici à 2030…

Anne Simon

« On veille à s’adresser au public en des termes qui peuvent faire mouche »

Comment sont définis les publics cibles des campagnes de prévention ?

Les médecins ont étudié les données épidémiologiques de 2015. Les chiffres montrent bien que l’épidémie est en hausse chez les homosexuels et concerne encore beaucoup les migrants, bien qu’il y ait une légère diminution de ce côté. Chez les homosexuels, l’augmentation des contaminations est importante depuis quatre ou cinq ans. À Paris, on pourrait même comparer l’épidémie à ce qui se passe dans certains pays en développement ! C’est très grave et cela justifie d’orienter fortement la prévention vers ces populations.

Comment ces campagnes sont-elles élaborées ? Prend-t-on des précautions ou, au contraire, faut-il choquer pour mieux marquer les esprits ?

Quand on lance une campagne de prévention contre le VIH en direction de la population générale, on rate la cible ! En effet, une affiche mettant en scène une femme blanche ne va pas parler à un jeune homosexuel migrant. Il n’y a aucune volonté de choquer, mais l’on veille à s’adresser au public en des termes qui peuvent faire mouche. Cette campagne, en l’occurrence, n’était pas « choc » : les affiches auraient représenté un homme et une femme, on n’en aurait même pas parlé. Il existe des campagnes beaucoup plus « gore », pilotées par des associations, mais visibles uniquement dans les lieux de drague et les backrooms(2).

Y a-t-il une évolution de la perception du VIH ? Est-il plus simple ou, au contraire, plus compliqué de communiquer sur le sujet ?

Sur la vision de la maladie, je ne vois pas d’évolution : le grand public reste sur une vieille image de maladie dont on meurt forcément, de dizaines de comprimés à prendre… On ne sait toujours pas que le traitement constitue un moyen de prévention. Selon la jolie formule de Charlotte Valandrey?(3), les personnes traitées sont « séroinoffensives » : elles ne contaminent plus. Le sida n’est sûrement pas devenu moins « honteux ». Je dirais même qu’il y a une régression des connaissances à son sujet. Selon une étude récente, en Île-de-France, 20 % des jeunes pensent que le VIH peut se transmettre par des piqûres de moustique. C’est beaucoup plus qu’il y a dix ans. À mon avis, c’est en partie parce qu’on considère que le problème est réglé qu’on parle moins du sida aujourd’hui. Par ailleurs, certaines communautés, notamment religieuses, disent que « ca n’existe pas chez nous ». Cette façon de se voiler la face en disant « c’est pas nous, c’est les autres » constitue aussi un retour en arrière.

Faudrait-il agir plus sévèrement contre ceux qui, comme certains maires, font obstacle à une mesure de santé publique ?

Il y a déjà tout un arsenal juridique pour lutter contre les discriminations. À mon sens, c’est suffisant. Il suffit d’appliquer la loi.

1- La prophylaxie pré-exposition est un traitement de prévention du sida où la combinaison de deux médicaments protège du virus autant que le préservatif.

2- Arrière salle présente dans certains bars gays, où les consommateurs peuvent se rencontrer dans la pénombre ou l’obscurité pour des relations sexuelles.

3- Actrice française qui a découvert sa séropositivité à l’âge de 18 ans.

JEAN-LUC ROMERO-MICHEL

MILITANT ASSOCIATIF

→ 1987 : découvre sa séropositivité à l’âge de 28 ans

→ 1989 : premier mandat électif. Il est aujourd’hui conseiller régional d’Île-de-France et adjoint au maire du 12e arrondissement de Paris

→ 1995 : création d’Élus locaux contre le sida

→ Novembre 2016 : publie « SurVivant ! Mes 30 ans avec le sida », aux Éd. Michalon

ANNE SIMON

PRÉSIDENTE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE LUTTE CONTRE LE SIDA

→ 1985 : médecin infectiologue, spécialiste du VIH, elle entre au centre de dépistage des infections sexuellement transmissibles de la Pitié Salpêtrière

→ 2010 : membre du comité de rédaction du rapport Yéni sur la prise en charge médicale des séropositifs

→ 2013 : dirige le chapitre « Organisation des soins » dans le rapport d’experts Morlat

→ 2013 : prend la présidence de la Société française de lutte contre le sida

POINTS CLÉS

→ En 2015, 6 000 nouvelles personnes ont été contaminées par le VIH en France. 43 % sont des hommes homosexuels (HSH).

→ Parce que les HSH sont une des communautés les plus touchées par le sida, Santé publique France, établissement sous tutelle du ministère de la Santé, a lancé, mi-novembre, une campagne de prévention en leur direction. Elle met en scène des couples d’hommes, accompagné des textes « Avec un amant, avec un ami, avec un inconnu… », « Coup de foudre, coup d’essai, coup d’un soir… », « S’aimer, s’éclater, s’oublier… ».

→ 8 000 affiches ont été placardées dans 130 villes en France. C’est la première fois qu’une campagne à destination des homosexuels est aussi largement diffusée.

→ Tandis que les commentaires indignés fleurissent sur les réseaux sociaux, plusieurs maires Les Républicains, dont ceux d’Angers et d’Aulnay-sous-Bois, demandent le retrait des affiches dans leur commune, prétextant qu’elles pourraient heurter les enfants.

→ La ministre de la Santé saisit la justice administrative, dénonçant une « censure ». Dans la foulée, l’association de lutte contre le sida Aides diffuse des affiches mettant en scène des hommes et des femmes dénudés, dans des positions très évocatrices.