Des mouvements de protestation gagnent les hôpitaux à travers toute la France. La grogne monte notamment auprès des IDE qui revendiquent des moyens supplémentaires et de meilleures conditions de travail. Et tentent de le faire savoir.
Le mouvement national du 8 novembre semble avoir donné un regain d’énergie à la mobilisation infirmière. « Après le 8, des salariés sont venus frapper aux portes des syndicats. C’est très rare. D’habitude, c’est à nous d’essayer de les mobiliser, se réjouit Jacques Cocheux, élu CGT au CHU de Clermont-Ferrand (63). Depuis, ça veut grogner partout ! » Conditions de travail déplorables, tension dans l’effectif, manque de lit d’hospitalisation… les causes sont nombreuses. Mais encore faut-il pouvoir manifester sa colère. « Sur certains sites, lorsque l’on dépose un préavis de grève, il y a plus de monde assigné pour assurer la permanence des soins que de personnel en grève », regrette ainsi Nathalie Depoire présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). Car être rappelée durant son jour de repos, ses congés ou ne pas voir sa collègue remplacée, cela complique la mobilisation des IDE.
Cependant, les soignantes des CHU grognent bel et bien. Comme à Clermont-Ferrand où le personnel de quatre services, dont celui des urgences, est en grève depuis le 27 octobre. « Porter un brassard noir et continuer le travail, c’est souvent le maximum que l’on puisse faire. On travaille déjà à flux tendu alors faire grève… Certaines mobilisations, comme l’opération cimetière, se déroulent sur les jours de repos des infirmières », regrette une IDE. En décembre dernier, les soignantes se sont étendues sur le sol devant une banderole « L’Hôpital tue ses soignants » pour revendiquer du matériel et plus d’effectifs aux urgences. En 2009, une précédente « opération cimetière » dans un autre établissement du CHU avait contribué à sauver sept emplois.
En Auvergne-Rhône-Alpes, certains envisagent la coordination des luttes à l’échelle régionale, où plusieurs établissements sont en souffrance. Une rencontre « intercoordination syndicale » se prépare à la CGT. Elle prendra la forme d’« Assises de la santé et de la protection sociale » qui se tiendront à Clermont-Ferrand le 10 avril. « Les problématiques sont les mêmes ailleurs, insiste Jacques Cocheux. Alors, en période préélectorale, c’est le moment de nous faire entendre ensemble ! »
Aux urgences du CHU d’Angers (49), l’équipe est « dépitée, mais motivée à ne pas se laisser faire ». Comme dans de nombreux services d’urgence en tension en ce moment, les salariés déplorent une « situation catastrophique qui empire avec l’hiver », indique Christian Lemaire, secrétaire Sud santé sociaux au CHU de la ville. Depuis mai 2016, les salariés s’opposent à un projet de la direction qui souhaite réorganiser le service en supprimant un poste d’aide-soignante pour financer celui d’une infirmière. Las, les salariés ont déclenché un droit d’alerte sur un danger grave et imminent lié à l’insuffisance d’effectifs dans le service et sont repartis en grève début janvier. « Nous voulons des moyens immédiats pour les urgences, mais également pérennes pour améliorer les conditions de travail », réclame Christian Lemaire. Suite à ce droit d’alerte, la direction a mis en place des moyens humains supplémentaires mais temporaires… Les soignantes n’excluent pas de déposer un nouveau droit d’alerte, cette fois pour un manque de lits d’hospitalisation disponibles.
Les salariés des urgences du CHU de Rennes (35) ont entamé un mouvement de grève il y a six mois. « Mais plus personne ne fait grève, faute d’effectifs… », indique, fatiguée, Marie-Claude Rouaux, secrétaire CGT de l’hôpital. Ici, les droits d’alerte se succèdent. « Avant, on n’y recourait même pas une fois par an. Maintenant, nous en sommes parfois à deux par semaine, entre Sud et la CGT. C’est la seule chose qui fasse bouger la direction. » La réponse de celle-ci a été l’ouverture d’une unité provisoire d’accueil des patients (Upap) de 22 lits début janvier. « Ces lits, qui auraient dû être ouverts dès octobre, sont déjà pleins et les urgences toujours saturées, au CHU comme dans les hôpitaux et cliniques périphériques », déplore le syndicat Sud santé sociaux du CHU dans un communiqué. Début janvier, alors que le taux d’occupation des urgences était de 300 %, le syndicat a interpellé l’ARS par une lettre ouverte à son directeur.
Quand la direction reste muette, les soignants tentent de mobiliser le grand public et les médias. Des dizaines de lettres ouvertes sous forme de pétition sont publiées sur les sites Mesopinions.com ou Change.org notamment. Elles émanent de collectifs de soutien aux hôpitaux, d’intersyndicales ou de soignants. Au CHU d’Angers, une lettre ouverte du personnel adressée au directeur général a été transformée en pétition. Plus de 6 000 personnes l’ont signée. Au-delà du public, Internet permet aussi de mobiliser le personnel. « C’est compliqué de faire circuler des tracts dans un service lorsque les infirmières n’ont même plus le temps d’utiliser leur salle de repos. Il faut donc trouver d’autres moyens et les réseaux sociaux peuvent être très utiles », remarque Nathalie Depoire. Blog, site web, page Facebook et hashtags sur Twitter
La solidarité du corps médical et de l’ensemble du personnel à des collègues en difficulté peut également peser pour faire gonfler la mobilisation. À la consultation gynécologique de l’hôpital Purpan, à Toulouse (31), les infirmières et les aides-soignantes ont été soutenues par les médecins et des infirmières d’autres services. Après un mois de mobilisation, un accord de fin de conflit a été signé, scellant l’embauche de deux ETP. Cependant, au CHU Clermont-Ferrand, Delphine François, infirmière, pointe la difficulté de mettre en place cette solidarité : « Si la direction cède et met une personne en plus dans un service, c’est souvent au détriment d’un autre. Tout est fait pour qu’il n’y ait pas de convergence de la lutte entre les services… »
Si la mobilisation enfle à travers tout le pays, les conflits restent souvent à l’échelle locale. « Les infirmières sont tellement mobilisées pour le local et enfermées dans leur problématique du quotidien qu’il est difficile de penser au national », reconnaît Christian Lemaire à Angers qui ne sait pas si ses collègues se mobiliseront, comme le 8 novembre une seconde fois le 24 janvier.
1- Les hashtags #SoigneEtTaisToi ou #8novembre ont fleuri à l’aube de la manifestation infirmière du 8 novembre.
Les salariés de la Polyclinique de l’Ormeau, à Tarbes (65), ont signé, le 10 janvier, un accord de fin de conflit avec le groupe Médipôle partenaires, propriétaire de l’établissement après 65 jours de grève. Ils obtiennent une revalorisation salariale équivalant à un mois de salaire supplémentaire par an avec un rattrapage depuis le 1er janvier 2016, une prime annuelle de 700 € brut pour tous les salariés (sans prorata temporis), le maintien de poste d’ASH mis en péril, la création de deux postes d’AS aux urgences ainsi que d’autres mesures quant à l’organisation du travail. Une infirmière nous confie : « Nous sommes fatigués. Au départ 80 % du personnel, environ 200 personnes, faisait grève sur les deux sites de la polyclinique et nous avons fini à 40 %. Pourtant, nous avons fait beaucoup : occupation de l’ARS à Tarbes et Montpellier, de la mairie de Tarbes, d’une clinique du groupe Médipôle partenaires à Pessac… Nous avons réussi à faire plier le groupe car nous n’avons rien lâché. » Durant les deux mois de grève, une caisse de soutien ayant récolté plus de 13 000 € à permis aux soignantes de se battre malgré des salaires impayés. La population locale s’est également mobilisée lors d’un loto, de concerts de soutien. Durant ces 64 jours, presque aucune réquisition n’a entravé le mouvement, hormis pour les services de maternité et de soins intensifs, où cela était vraiment nécessaire. Soulignons que la mobilisation est essentiellement venue d’infirmières et de personnels non syndiqués, bien que le mouvement a été soutenu par la CGT de l’établissement.