L'infirmière Magazine n° 379 du 01/02/2017

 

INITIATIVES

DOSSIER

Face à l’augmentation des passages aux urgences, les services se réorganisent en permanence. Certains hôpitaux ont élaboré leurs propres solutions.

Il y a du monde, il y en aura de plus en plus. Mais que faisons-nous pour répondre aux besoins ? », s’interroge Cyrille Bertin, cadre de santé aux urgences de l’hôpital Paris-Saint-Joseph. Telle est la réflexion qui pousse les services d’accueil des urgences à se remettre en question perpétuellement, même si une partie de la réponse réside également dans la réforme du système de santé, en amont comme en aval des urgences. « Il faut accepter l’idée que nous sommes une permanence d’accès aux soins, avec 135 passages par jour avec des degrés d’urgence variable », poursuit le cadre.

Comme beaucoup de services d’accueil des urgences (SAU) avec une activité importante, l’hôpital privé à but non lucratif Paris-Saint-Joseph a mis en place une filière rapide, en plus des accès personnes valides et personnes couchées, dont l’objectif est d’atteindre un temps global de passage de 1 h 30 pour les situations les plus simples. « Auparavant, la double filière nous avait permis de réduire le délai de prise en charge d’une heure, se souvient Cyrille Bertin. Mais les patients ni graves, ni urgents attendaient énormément, au point que les infirmières trichaient avec l’échelle de tri pour accélérer leur passage. » Désormais, la troisième filière permet de s’occuper directement de ces patients. « L’exemple type, c’est une petite entorse, vue par l’infirmière organisatrice de l’accueil, puis le médecin, envoyée en imagerie et qui ressort avec son diagnostic et sa prescription. » Pour l’heure, ce circuit permet d’être pris en charge en moyenne en 2 heures (quand la médiane aux urgences était, en novembre 2016, de 209 minutes, soit près de 3 h 30). « L’objectif n’est pas encore atteint, mais nous y travaillons », précise Cyrille Bertin. Le service peut également proposer aux patients de se réorienter vers un centre de soins sans rendez-vous qui jouxte le site. 10 à 15 patients chaque jour acceptent le basculement.

Au centre hospitalier du Mans (72), une étude avait montré que les patients les plus graves affectaient sérieusement le temps de passage de l’ensemble des patients. « De 50 à 90 minutes, précise Angèle Dali-Youcef, cadre supérieure de pôle urgences médecine, réanimation, anesthésie au CH du Mans (72). Nous avons donc cessé de travailler avec les deux filières chirurgicale/médicale et nous avons créé, en juin dernier, une filière de prise en charge immédiate pour les cas les plus sévères, une autre pour les valides – qui requièrent moins de personnel –, et une dernière pour les patients couchés où nous avons positionné un binôme IDE /aide-soignante, car les patients ont besoin d’une aide pour se mobiliser. » Les 50 minutes ont immédiatement été récupérées, même si l’afflux de nouveaux patients tend à nouveau à faire baisser ce gain de temps.

Du coordinateur au bed manager

Bien sûr, en fonction de l’afflux de patients, les moyens en personnel peuvent être reventilés sur le service d’urgence. « Car le tout est supervisé par un coordinateur de flux (cadre infirmier) qui a une vision sur l’état de la totalité du service et de l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) », résume Angèle Dali-Youcef. La fonction est occupée à tour de rôle par les cadres du service qui deviennent alors l’interlocuteur pour tout ce qui bloque le flux optimal du service : embouteillage à l’imagerie, problème matériel, blocage aux transports, situations conflictuelles avec les familles, relations avec la police ou la justice si nécessaire… « La mission à ce poste est également de superviser les sorties de l’UHCD, qui doit être “vidée” tous les jours, ainsi que les retours à domicile. Nous passons commande de lits auprès de la cellule d’ordonnancement de gestion de lits, créée il y a un an. »

Au sein du SAU de l’hôpital Bichat, où un projet d’amélioration continue de la qualité(1) a été étudié durant six ans, la fonction de coordinateur médical (ou médecin accélérateur d’accueil, d’encadrement et de coordination) a prouvé son efficacité sur la diminution de la durée de séjour. La durée moyenne de séjour est ainsi passée de 343 à 304 minutes.

Les cellules de gestion des lits (ou bed managers) ont vu le jour un peu partout en France dans les hôpitaux. Elles permettent de libérer du temps médical, dans la mesure où le médecin ne passe plus de temps à rechercher un lit d’hospitalisation. Bien sûr, ces cellules ne concernent pas spécifiquement les urgences. Cependant, à Rouen, un tel dispositif avait permis d’augmenter le taux d’hospitalisation en provenance des urgences de 3,8 % entre 2010 et 2011. À Metz, il aurait permis de réduire de près d’une heure le temps de passage moyen aux urgences lors de sa mise en place en 2014.

Délégation de tâches aux IOA

Enfin, le recours aux infirmières organisatrices de l’accueil (IOA)(2), désormais généralisé, permet également la délégation de tâches. La plupart ont la possibilité de prescrire des antalgiques dès l’accueil. À l’hôpital Paris- Saint-Joseph, « nous avons également travaillé la possibilité de faire prescrire l’imagerie médicale pour une fracture ou une entorse dès l’IOA, afin que le patient puisse passer à la consultation médicale avec ses clichés. On réfléchit également à la possibilité – un jour – d’autoriser le scanner cérébral en cas de trauma crânien léger », évoque Cyrille Bertin. Au CH du Mans, un médecin d’accueil et d’orientation a également été mis en place. Sa consultation – après évaluation par l’IAO – permet de réorienter, lorsque c’est possible, des patients vers leur médecin traitant ou de rédiger une ordonnance à ceux qui doivent prendre rendez-vous chez un spécialiste.

Parmi les autres dispositifs imaginés ici et là, on compte également ceux permettant d’éviter le passage par les urgences avant une hospitalisation. À l’exemple des maisons médicales de garde au sein des urgences ou à l’entrée du dispositif. Elles sont ouvertes en soirée, les week-ends et les jours fériés, lorsque les patients ne peuvent consulter leur médecin traitant. Celle de Dijon, par exemple, accueille chaque année environ 1 800 patients orientés par les urgences sur les quelque 80 000 passages annuels au SAU. « Une grille a été élaborée avec le service qui permet à l’infirmière d’accueil de proposer une réorientation chez nous », explique Sébastien Bucquet, médecin généraliste de ville participant à l’activité de cette structure.

Des hotlines en gériatrie

En gériatrie, la mise en place de hotlines permet également d’organiser l’hospitalisation de patients avant le déclenchement de l’urgence. Aux Hospices civils de Lyon (HCL), ce service permet à quelque 900 personnes âgées d’éviter un passage par le SAU… Les hotlines sont destinées aux médecins traitants. « Au Mans, celles mises en place en rhumatologie et en infectiologie fonctionnent bien, observe Angèle Dali Youcef. Si le médecin répondant l’estime nécessaire, il peut organiser directement l’admission avec la cellule d’ordonnancement de gestion des lits. Dans d’autres secteurs, nous manquons malheureusement de ressources médicales pour répondre. »

Et à l’avenir, des services d’urgence dédiés aux personnes âgées pourraient voir le jour, comme à Genève depuis octobre dernier. Objectif : améliorer la prise en charge et réduire de 5 % le nombre d’entrée aux urgences générale. Y sont désormais directement admis les patients âgés de 75 ans et plus dont le pronostic vital n’est pas engagé et qui ne nécessitent ni chirurgie ni soins intensifs, soit 64 % des urgences senior.

Mais les urgentistes souhaitent surtout le redéploiement de la médecine générale, via la régulation des installations en zones surdotées et la création de centres de santé associant plateaux techniques légers et compétences médicales spécialisées. « C’est une réforme profonde du système et de son organisation qui est nécessaire », conclut Christophe Prudhomme, urgentiste et porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf).

1- Le projet inclut la mise en place d’un médecin coordinateur des soins, la création d’un objectif zéro patient en attente dans les couloirs, le déménagement d’un service sur deux étages à un service sur un unique niveau, la création d’un poste médical pour les patients présentant des tableaux cliniques simples, le triage des patients par une infirmière d’accueil (IOA) en deux secteurs (outre le fast track).

2- Plus de 76 % des services d’urgences disposent d’IOA. Selon la Drees, ceux qui n’ont pas mis ce type de poste en place sont les plus petites structures, moins exposées à la surcharge de travail.

SAVOIR PLUS

→ CNUH. Comment améliorer les flux au sein des services des urgences. Analyse et propositions d’un groupe de travail du CNUH – Coord. Pr Jeannot Schmidt – Janvier 2013 (bit.ly/2iHbD0d).

→ Anap, MEAH. Réduire les temps d’attente et de passage aux urgences. Retours d’expériences. 2008 (www.anap.fr).

→ Les sites de l’Amuf (www.amuf.fr), de Samu Urgences de France (www.samu-de-france.fr), de l’Insufl (http://perika71.wixsite.com/insufl)

→ Casalino E, Choquet C, Wargon M, Hellmann R, Ranaivoson M, Colosi L, Juillien G, Bernard J. Continuous Quality Improvement Program, Based on Lean Concepts, Allows Emptying of Emergency Department Corridors. The American Journal of Accountable Care. Décembre 2015.