L'infirmière Magazine n° 379 du 01/02/2017

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

Maris Fuks  

Après l’hospitalisation, la consultation infirmière assure un accompagnement personnalisé aux patients. Un travail au long court où les soins riment avec l’écoute. Exemple en diabétologie au Centre hospitalier sud francilien.

Les cinq infirmières d’éducation thérapeutique du patient (ETP), qui assurent à tour de rôle la consultation infirmière dans le service de diabétologie du Centre hospitalier sud francilien (CHSF), à Corbeil-Essonnes (91), reçoivent des patients qui ont été hospitalisés, ou admis en hôpital de jour (HDJ), cinq à six semaines plus tôt. « En général, explique Marie Bouly, IDE d’ETP attachée à cette consultation, le rendez-vous est pris à leur sortie suite à la mise en place ou à la modification de leur traitement. Nous recevons les patients durant 45 mn après avoir préalablement pris connaissance de leur dossier et des remarques qui ont été mentionnées par l’infirmière du service à l’issue de leur hospitalisation. Cela peut concerner des engagements pris par ces derniers – faire au moins une glycémie par jour ou pratiquer une activité physique –, ou encore, un point sur lequel il convient de s’assurer que le message est bien compris comme le fait que les injections d’analogues du glucagon-like peptide-1 (GLP-1) ne provoquent pas d’hypoglycémie (HG). » Cela dit, la consultation dérive parfois par rapport aux sujets que l’infirmière pensait aborder au vu du dossier. Et ce, parce que la préoccupation du patient est ailleurs et que l’IDE se doit d’être avant tout à son écoute afin d’établir un contact profitable sur le chemin de l’appropriation de sa prise en charge thérapeutique.

Renforcer la confiance

Fondée sur l’ETP, la consultation infirmière n’a pas pour objectif de contrôler ce que fait le patient, mais plutôt de voir avec lui comment il arrive à gérer sa maladie et son traitement au quotidien. « Notre travail se fait dans une logique d’accompagnement en confiance, pas de contrôle, poursuit Marie Bouly. Concernant l’observance par exemple, nous savons d’expérience, que ce n’est pas en regardant son ordonnance, mais en discutant avec le patient que l’on connaît son traitement. » Si la metformine provoque dix diarrhées par jour ou l’analogue du GLP-1 des nausées voire des vomissements fréquents, il n’y a rien de surprenant à ce que le patient n’observe pas la prescription. De même, comment blâmer le patient qui, se retrouvant régulièrement en HG, arrête arbitrairement l’insuline rapide parce qu’il n’a pas compris qu’il ne doit pas faire ses injections de rapide lorsqu’il saute des repas ? Autant de réalités vécues que la consultation doit faire émerger afin de proposer au patient la réponse adaptée susceptible de concilier l’effet thérapeutique recherché et sa qualité de vie. « Après en avoir discuté avec le patient, nous pouvons ainsi être amenées à adapter les doses d’insuline ou à proposer au diabétologue une modification de prescription comme arrêter un médicament, en introduire un nouveau ou changer les doses », précise l’IDE. Une démarche en responsabilité partagée qui permet d’installer et de renforcer au fil du temps la relation de confiance qui va aider le patient à franchir les étapes vers l’autonomie.

Consolider l’autonomie

Les patients qui expriment le besoin d’être encadrés durablement sont vus en consultation autant de fois que nécessaire. « Nous nous adaptons au cas par cas et cela peut aller de quelques rendez-vous à une consultation mensuelle pendant un an, ajoute Marie Bouly. Il m’est aussi arrivé d’assurer un suivi téléphonique hebdomadaire pour un patient DT2 qui avait perdu beaucoup de poids à la suite d’une chirurgie bariatrique et qui était très inquiet à l’idée de ne pas savoir adapter correctement ses doses d’insuline. Il me communiquait ses résultats glycémiques, me donnait son avis sur l’adaptation des doses à faire et, après l’avoir aidé à préciser son raisonnement, nous validions ensemble le protocole à suivre jusqu’à la semaine suivante. Nous avons pratiqué ainsi jusqu’à l’arrêt complet de l’insuline rapide et l’ajustement de l’insuline lente et il a progressivement pris confiance en lui et en ses capacités à gérer son traitement en totale autonomie. » L’adaptation du traitement et la surveillance glycémique sont parmi les difficultés et les sujets les plus fréquemment abordés en consultation infirmière. Et pour cause, ce sont les piliers de l’équilibre du diabète que les patients doivent maîtriser pour devenir totalement acteurs de leur prise en charge. Pour autant, beaucoup ne comprennent pas d’emblée pourquoi et comment adapter leur traitement et dans quelle mesure la surveillance glycémique est utile et peut les y aider. D’où l’intérêt de pouvoir consacrer aux patients un temps d’échange, d’explication et de reformulation.

Faciliter la mise en pratique

« En matière d’autosurveillance glycémique (ASG), il est important que chaque patient comprenne que celle-ci doit être individualisée, insiste Marie Bouly. Faire des glycémies dans le but de présenter un carnet d’ASG bien rempli au médecin n’a pas de sens si ces glycémies ne lui servent à rien. » Il faut donc que les patients comprennent en quoi l’ASG peut être utile et comment elle doit être réalisée. Chez les patients sous traitement per os, l’ASG permet de détecter les HG et doit comporter jusqu’à deux contrôles par jour à différents moments de la journée pendant au moins deux jours par semaine. Si le patient est bien équilibré, des contrôles par cycle (un jour tous les quinze jours, voire tous les mois) à raison de six contrôles par jour avant et après chaque repas permettent d’apprécier les variations de la glycémie au cours de la journée et de voir s’il convient d’ajuster la répartition quotidienne du traitement pour lisser les éventuels pics de glycémie. Lorsque l’hémoglobine glyquée (HbA1c) est élevée et les glycémies à jeun normales, l’ASG post-prandiale permet de vérifier que le médicament est efficace après le repas et d’agir en conséquence. Les patients sous insuline basale (insuline lente injectée le soir) font parfois l’erreur d’adapter leur dose d’insuline en fonction de leur glycémie du soir au lieu de prendre en compte celle du matin. Une erreur face à laquelle l’IDE pourra remettre et commenter le protocole d’adaptation spécifique à l’insuline basale (voir encadré ci-dessous) dans le but de limiter l’hyperglycémie au réveil. En cas de schéma basal-bolus, l’idéal consiste à réaliser au moins trois dosages de glycémie par jour. « De la théorie à la pratique, il y a parfois un gap et une multitude de bonnes raisons pour le justifier que nous devons entendre…, commente l’IDE. La discussion nous permet alors d’expliquer au patient à quoi sert l’ASG dans son cas, l’intérêt qu’il aurait à en optimiser l’usage sachant qu’on ne lui impose rien, qu’on ne décide pas à sa place et que c’est à lui de fixer ses propres objectifs si l’on veut qu’il les respecte. Autrement dit, nous l’aidons à prendre des décisions pour lui en toute connaissance de cause. »

Trouver le juste équilibre

Cela vaut pour l’ASG et l’adaptation du traitement comme pour la prise en charge non médicamenteuse (changement d’alimentation, activité physique…), la réalisation des examens biologiques et la surveillance des paramètres d’alerte des complications rénales, ophtalmologiques et podologiques. À ce titre, les IDE de la consultation infirmière peuvent être amenées à demander au patient quelles mesures il a prises pour réduire les grignotages ou faire de l’exercice, mais aussi quand il a vu ou prévu de prendre rendez-vous avec son ophtalmologue et, si nécessaire, à quelle fréquence il surveille ses pieds. « Mais attention, la prévention podologique ne s’adresse pas à tous les patients, précise Marie Bouly. Il peut être ainsi contre-productif “d’assommer” des patients DT2 qui ne présentent pas de risque podologique avec toutes les recommandations propres au pied diabétique – ne jamais marcher pieds nus, rechercher après la douche la moindre lésion, rougeur, ampoule, déformation… Celles-ci n’ont de sens que chez les patients présentant une neuropathie périphérique, voire une artériopathie, une déformation du pied, des antécédents d’ulcère du pied ou d’amputation au niveau des membres inférieurs. » L’IDE doit donc bien connaître le dossier des patients, et pour ceux que cela concerne (risque de lésion du pied de grade 1 à 3), préférer des questions ouvertes de type « Vos pieds, vous en êtes où ? » au « Y’a qu’à faut qu’on ».

Des bénéfices partagés

Si cette approche responsabilise le patient et le rend beaucoup plus enclin à accepter et assumer les contraintes que réclame la gestion de son diabète, elle est aussi pour l’infirmière beaucoup plus satisfaisante et enrichissante. « Au sein de la consultation, nous ne sommes plus des exécutantes de prescription, mais des IDE pleinement investies dans la relation éducative et dans ce qui fait l’humanité de notre fonction », conclut Marie Bouly. Un travail passionnant qui réclame au-delà des compétences (lire le témoignage ci-dessus), de troquer le prestige de la blouse blanche pour un colloque singulier d’égal à égal avec le patient.

REPÈRES

ASG et insuline basale

Les patients qui utilisent des injections d’insuline lente le soir doivent vérifier leur glycémie à jeun le lendemain matin afin de contrôler qu’ils sont dans l’objectif au réveil. Ce contrôle doit être réalisé selon un protocole sur trois jours.

→ Si la glycémie à jeun est supérieure à l’objectif, le patient doit augmenter son traitement du soir de deux unités.

→ Si la glycémie du lendemain matin reste élevée, le traitement est à nouveau augmenté de deux unités et ainsi de suite jusqu’à l’obtention d’une glycémie à jeun dans l’objectif (entre 0,80 g/l et 1,20 g/l en général et entre 1 g/l et 1,50 g/l pour les sujets âgés).

INTERVIEW : JEAN-MARIE REVILLOT RESPONSABLE DE DOMAINE CLINIQUE AU GRIEPS*

« RENONCER À “L’IDÉAL SOIGNANT“ »

Comment organiser et faire vivre une consultation infirmière pour informer et éduquer des patients atteints de pathologies chroniques ? Tout un art pour les IDE !

« Prendre en charge une consultation infirmière, qu’il s’agisse du diabète ou de tout autre discipline, réclame en première instance d’avoir une bonne expérience professionnelle permettant de maîtriser les aspects médico-techniques de la pathologie concernée, mais aussi une formation en ETP validée (40 h) afin de pouvoir rapidement maîtriser les arcanes de la relation éducative autour de laquelle tourne tout le travail réalisé dans le cadre d’une consultation infirmière. Un point sur lequel nous insistons beaucoup, dans nos formations, à partir de cas cliniques, de jeux de rôle et de l’analyse des pratiques. Les infirmières doivent faire émerger et identifier les besoins du patient, ce qui suppose de savoir différencier la relation éducative de la relation d’aide : la première va bien au-delà de la seconde puisqu’elle est ancrée sur la rencontre avec la personne, l’alliance thérapeutique, la confiance et la capacité à analyser ce que le patient attend, ce qu’il est en mesure de faire, quelles sont ses limites et où se situent les points de blocage susceptibles de le décourager ou d’entraver la progression de l’ETP. L’IDE doit également être en mesure de repérer les potentiels et les ressources du patient sur lesquels elle va pouvoir s’appuyer afin d’apporter des réponses éducatives singulières et adaptées au rôle que le patient souhaite ou est en capacité de jouer dans sa prise en charge à l’instant T. Elle ne peut donc pas se contenter de communiquer des informations généralistes, de relever et corriger des pratiques erronées. Par sa capacitéà faire abstraction des problèmes parasites, à se rendre totalement disponible à l’autre et à accepter la personne comme elle est, elle sait lâcher prise et renoncer à “l’idéal soignant” pour privilégier la progression pas à pas, au rythme du patient, en valorisant les progrès réalisés aussi minimes soient-ils. Enfin, l’IDE de consultation doit être en mesure d’identifier et proposer les actions à engager à l’issue de la visite (revoir la prescription, prévoir une autre consultation, orienter le patient vers un autre interlocuteur, lui proposer un programme particulier) dans l’intérêt et avec le plein consentement de ce dernier. Autrement dit, elle n’impose ni ne décide jamais pour le patient, mais l’aide à reprendre possession de sa santé et de son projet de vie. »

PROPOS RECUEILLIS PAR M.F.

* Au sein du Groupe de recherche et d’intervention pour l’éducation permanente des professions sanitaires et sociales (Grieps), organisme de formation continue et de conseil pour professionnels de santé et médico-sociaux, Jean-Marie Revillot anime le module de formation consacré à la consultation infirmière et la relation éducative.