L'infirmière Magazine n° 379 du 01/02/2017

 

CARRIÈRE

GUIDE

Annabelle Alix  

Le reclassement permet à une infirmière devenue inapte à son poste de travail, d’accéder à un emploi adapté. En cas d’échec, elle est licenciée avec indemnités. Le point sur ce droit et sur les cartes à jouer.

Vingt-six juillet 2012. L’hôpital Saint-Joseph est lourdement condamné par le conseil de prud’hommes de Paris pour avoir licencié une infirmière déclarée « inapte à tout poste » par le médecin du travail. Motif ? Aucune recherche sérieuse en vue d’un reclassement n’avait été effectuée(1).

Si rien n’interdit à l’employeur de licencier une infirmière pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement, la procédure doit néanmoins respecter certaines règles.

Un remède à l’inaptitude médicale

• Accident, maladie… Les aléas de la vie peuvent altérer la santé de l’infirmière au point de la rendre inapte à son poste de travail habituel. L’inaptitude est constatée par le médecin du travail. Elle est temporaire ou définitive ; d’origine professionnelle ou non ; physique ou psychologique ; totale, ou seulement partielle.

• L’employeur a pour obligation d’envisager les possibilités de reclassement du salarié inapte dans l’entreprise au travers d’un aménagement du poste ou du temps de travail, d’une affectation à un autre service, d’une mutation… Mais pas avant d’avoir consulté l’avis des délégués du personnel ! Si l’employeur ne respecte pas cette obligation, « le salarié pourrait lui réclamer jusqu’à 12 mois de salaire en l’attaquant aux prud’hommes », précise Xavier Berjot, avocat en droit du travail. Jusqu’au 31 décembre 2016, la consultation des délégués n’avait lieu qu’en cas d’inaptitude pour maladie professionnelle ou des suites d’un accident du travail. La loi El Khomri du 8 août 2016 « a étendu cette obligation à tous les cas d’inaptitudes médicales, indique Julie L’Hotel Delhoume, avocate à la cour et spécialisée en droit du travail. Elle permet aux délégués d’accompagner l’employeur dans la recherche de reclassement : s’assurer qu’il respecte bien son obligation, proposer des idées auxquelles il n’aurait pas pensé… »

• Selon le code du travail, l’emploi proposé doit être approprié aux capacités du salarié et « aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé ». Le contrat de travail peut être suspendu pour permettre au salarié inapte de suivre un stage de reclassement professionnel. « Ce dernier ne peut, en revanche, exiger la création d’un poste adapté, ni réclamer un emploi qui l’obligerait à suivre l’équivalent d’une formation initiale », met en garde Pierre Robillard, avocat en droit du travail.

Le médecin du travail, cet allié

• L’emploi proposé tient compte des conclusions écrites du médecin du travail, de ses indications sur l’aptitude du salarié à exercer telle ou telle tâche dans l’entreprise… ou à bénéficier de telle ou telle formation pour accéder à un poste adapté (dans les entreprises d’au moins 50 salariés).

• Le médecin du travail exerce donc une influence de taille sur la nature du reclassement du salarié. « En pratique, il se livre à une véritable étude de poste, explique Pierre Robillard. Son objectif est d’apprécier la compatibilité de ce poste avec l’état du salarié. »

• L’infirmière ne doit pas se priver de l’aider. « Elle connaît mieux son poste et le fonctionnement de la structure que le médecin du travail », poursuit l’avocat. En cas d’inaptitude totale, « elle peut aussi mentionner des postes existants qu’elle serait en mesure d’occuper ».

• Julie L’Hotel-Delhoume invite l’infirmière inapte à se constituer un véritable dossier en amont. « Le médecin du travail est souvent réticent à trop s’avancer, note-t-elle. Il ne faut pas hésiter à lui mâcher le travail ! Ordonnances antérieures de son médecin traitant, arrêts de travail, explications écrites du psychologue le cas échéant… Tous les éléments relatifs à l’état de santé doivent être fournis. »

• À partir du 1er janvier 2017, il sera possible de contester l’avis du médecin du travail en saisissant le conseil de prud’hommes et non plus l’inspecteur du travail.

Reclassement limité

• Nouveauté 2016, le médecin du travail peut désormais mentionner expressément sur son avis que « tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ». L’employeur est alors dispensé de recherche de reclassement. « Créée par la loi du 17 août 2015, cette option a été généralisée à tous les cas d’inaptitude médicale par la loi El Khomri », précise Julie L’Hotel-Delhoume, qui y voit une atteinte au droit au reclassement.

• D’autant, qu’en parallèle, l’employeur voit peu à peu son obligation se restreindre au gré des décisions de jurisprudence. « Ses recherches peuvent désormais se limiter au territoire national alors qu’à l’origine, elles s’étendaient à tous les postes de l’entreprise, voire du groupe, y compris à l’étranger », observe Julie L’Hotel-Delhoume. Deux arrêts du 23 novembre 2016(2) ont même réduit l’obligation au cercle des offres correspondant aux souhaits exprimés par le salarié. « En pratique, l’employeur transmet au salarié un questionnaire indicatif afin qu’il mentionne le type de poste et le niveau de salaire souhaités, sa mobilité, etc. », développe Pierre Robillard.

• Licencier un employé pour pouvoir reclasser une infirmière inapte n’est pas permis. L’employeur peut, en revanche, intervertir les postes entre deux infirmières. « Si l’une est inapte au port de charges supérieures à 30 kg, elle pourra prendre la place de l’autre au sein d’un service sans manutention de patient, et vice-versa, détaille Pierre Robillard. Le contrat de travail de l’infirmière déplacée ne doit pas s’en trouver affecté : horaires similaires, tâches correspondant à celles éventuellement listées au contrat, etc. Il s’agira alors d’un simple glissement de poste, que l’infirmière ne pourra refuser. »

Réaffectation ou licenciement

• L’employeur dispose d’un mois pour chercher un poste de reclassement au salarié sans avoir à le rémunérer. Durant cette période, l’infirmière peut toucher des indemnités. En cas d’inaptitude pour accident du travail ou maladie professionnelle, elle peut bénéficier d’une indemnité temporaire d’inaptitude. « Un fascicule lui est remis à cet effet par le médecin du travail, indique Julie L’Hotel Delhoume. À défaut, elle peut le réclamer à la Sécurité sociale. »

• Quand l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle, « l’IDE doit absolument bénéficier d’un arrêt de travail classique, sans quoi elle se retrouverait sans aucune rémunération durant un mois », prévient l’avocate.

• Si l’employeur parvient à reclasser le salarié sur un autre poste, il lui fait une proposition de salaire, négociable. La loi prévoit toutefois des garde-fous. « La proposition de reclassement doit être la plus équivalente possible au poste précédent, insiste Julie L’Hotel-Delhoume. Une baisse drastique du salaire équivaudrait à un déclassement. Il s’agirait d’une sanction pécuniaire, ce qui est illégal. »

• Malheureusement, « dans huit cas sur dix, la tentative de reclassement se conclut par un échec », relève Pierre Robillard. Le contrat de travail se solde alors par un licenciement. À défaut, l’employeur devrait, de nouveau, verser, chaque mois, son ancien salaire à l’employé inapte !

• Le licenciement est assorti des indemnités légales. En cas d’inaptitude pour accident du travail ou maladie professionnelle, celles-ci sont multipliées par deux, et accompagnées d’une indemnité compensatrice de congés payés.

1- « Licenciement pour inaptitude : l’infirmière déclarée inapte et privée de soin obtient 24 mois de salaire à titre d’indemnisation », Renaud Rialland (bit.ly/2iWhlaR).

2- Arrêt n° 2098 du 23 novembre 2016 (15-18.092) et n° 2103 (14-26.398).

MODÈLE DE COURRIER

Lettre de contestation de l’avis du médecin du travail

(À envoyer à l’inspection du travail dans les deux mois suivant l’avis du médecin du travail)

Madame, Monsieur,

Salarié depuis le [date] au sein de l’entreprise [nom], sis [adresse], en qualité de [emploi], j’ai été déclaré inapte à tout poste par le médecin du travail le [date].

Étant à même d’exécuter mon travail, je conteste cette décision et sollicite un deuxième avis médical, en application des articles L. 4624-1 et R. 4624-35 du code du travail.

Restant à votre disposition, je vous remercie par avance de l’intérêt que vous porterez à ma requête et vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, mes salutations les plus respectueuses.

Signature

SAVOIR PLUS

→ Art. L. 1226-10 à L. 1226-12 du code du travail pour le reclassement en cas d’inaptitudes liées à une maladie professionnelle ou à un accident du travail et L. 1226-2 à L. 1226-4-3 pour le reclassement en cas d’inaptitudes médicalesnon professionnelles.

→ Loi travail n° 2016-1088 du 8 août 2016 dite « loi El Khomri ».

→ Décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 relatif à la modernisation de la médecine du travail.

INTERVIEW

JULIE L’HOTEL-DELHOUME, AVOCATE AU BARREAU DES HAUTS-DE-SEINE, SPÉCIALISÉE EN DROIT DU TRAVAIL, ASSOCIÉE DU CABINET 54

Quelles sont la nature et l’évolution du contentieux sur le reclassement ?

• Le contentieux qui touche au reclassement est abondant. Il représente la plupart des affaires sur l’inaptitude médicale au travail. Il est aussi en légère augmentation. De mon côté, je suis majoritairement confrontée à des cas d’inaptitudes psychologiques, découlant d’un harcèlement moral ou d’un burn-out. D’ailleurs, à mon sens, l’augmentation du contentieux va notamment de pair avec la reconnaissance du concept de souffrance au travail. En parallèle, la procédure se démocratise… Mais je pense que la tendance va s’inverser, que le contentieux va finalement diminuer du fait des nouvelles lois et des jurisprudences qui réduisent l’obligation de reclassement par l’employeur.

Le harcèlement moral est-il facile à prouver ?

• En règle générale, non. Mais dans le cas de l’inaptitude, l’intervention du médecin du travail facilite les choses. Le salarié n’est plus seul à se plaindre du harcèlement moral qu’il subit. Le médecin a pris des notes, le dossier médical témoigne avec précision d’une situation observée. On gagne ainsi plus facilement les procès pour harcèlement moral.

Quelles sont les conséquences de la procédure pour inaptitude en cas de harcèlement moral ?

• Si le salarié a été licencié pour inaptitude médicale, mais que son inaptitude est la conséquence directe d’un harcèlement moral, le licenciement est considéré comme nul. Théoriquement, le salarié peut être réintégré. Mais surtout, son licenciement est automatiquement assorti d’une indemnité de 6 mois de salaire. Celle-ci est habituellement réservée aux salariés des entreprises de plus de 11 salariés comptabilisant deux ans d’ancienneté, ou à ceux qui remplissent une seule de ces deux conditions mais qui prouvent avoir subi un préjudice. Cette procédure permet aussi d’être licencié quand l’employeur a poussé un salarié à la démission, ou qu’il lui a refusé une rupture conventionnelle. En étant licencié, il touche des indemnités et peut immédiatement prétendre aux allocations de retour à l’emploi.

PROPOS RECUEILLIS PAR A. A.