Pollution électromagnétique, qualité de l’air, de l’eau et de l’alimentation ou nuisances sonores, le champ d’intervention de l’éco-infirmier est vaste. Émergeante, cette pratique novatrice s’inscrit comme l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle.
Si les questions environnementales et leur impact sur la santé sont relayés de longue date par les ONG, le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) et les médias, le corps médical s’y intéresse avec davantage de frilosité. Preuve en est, la santé était la grande oubliée de la COP 21 à Paris en 2015, tout comme à la COP 22 en 2016 à Marrakech au Maroc. Pourtant, les études qui mettent en évidence les liens entre environnement et certaines pathologies (allergies, cancers, maladies cardio-vasculaires…) se multiplient. Et apportent sans cesse de nouvelles connaissances même si la recherche demeure insuffisante dans ce domaine. Il est vrai que la santé environnementale recouvre des définitions différentes – selon qu’elles intégrent ou non les risques relevant de pratiques individuelles –, qui revêtent des champs d’intervention plus ou moins larges (lire encadré ci-contre). C’est dans ce contexte que les IDE peuvent s’orienter vers la fonction d’éco-infirmier afin d’apporter des solutions pour limiter les risques environnementaux sur la santé aussi bien auprès des patients, du personnel soignant que du grand public en général. Sans statut officiel, cette nouvelle fonction s’appréhende par le biais de formations suivies au cours de la carrière professionnelle.
« L’éco-infirmier ou infirmier en santé environnementale est un professionnel qui intervient à mon sens dans le champ de la promotion de la santé primaire davantage que dans celui de la prévention primaire, un terme qui souvent fait peur, souligne Philippe Perrin, directeur de l’Institut de formation en santé environnementale (Ifsen). En formant et en accompagnant, il redonne à chacun sa capacité d’agir sur les déterminants de sa santé et ainsi d’améliorer son état général. » Pour ce pionnier
Une démarche qui ne va pas toujours de soi et qui se construit après plusieurs années de pratiques ou lors d’actions menées au sein de l’établissement où le soignant exerce. Pour Céline Coupeau, IDE avec dix ans de pratique hospitalière, le déclic est survenu avec la maternité. « J’étais sensibilisée dans mon travail à l’environnement et participais au groupe déchets de l’établissement. Mais à un moment, cela ne me suffisait plus. J’ai toujours voulu être au plus près des personnes, les accompagner vers un mieux-être, et l’environnement est un facteur qui y contribue, souligne-t-elle. Il existe bien sûr de la prévention primaire dans les établissements, notamment dans le cas des addictions, mais nous avons très rarement une prise en charge globale de la personne. Je me suis alors inscrite en 2015 à la formation de l’Ifsen, un énorme investissement personnel et financier. » Aujourd’hui, la jeune femme a quitté le centre médico-psychologique où elle exerçait afin de s’installer en tant qu’éco-infirmière, la première formée dans le Sud-Ouest.
Toutefois, en 2016, trouver une structure qui permette de travailler sur la thématique environnementale au quotidien, voire à 100 % de son temps de travail relève de l’exception. Autant par manque de moyens ou de projets fédérateurs que faute d’une prise en compte massive de ces questions sur l’ensemble du territoire. C’est donc à chacun de construire son parcours au gré des opportunités, certes très variées mais qui demeurent encore modestes en nombre. Il est par exemple possible d’intervenir dans le cadre de la formation initiale en Ifsi, d’être référent au sein d’un établissement en santé publique, d’être chargé de projet dans la cadre d’une mission commandée par une agence régionale de santé (ARS) ou bien d’exercer en libéral afin de dispenser des conseils à d’autres professionnels de santé ou à des particuliers.
Sur le terrain, on constate que bien souvent, ces actions se mettent en place lors d’initiatives locales. En 2010, un travail de diminution des nuisances sonores a ainsi été élaboré dans les pôles pédiatriques du CHU de Bordeaux (33) grâce à un partenariat avec le Groupe d’animation musicale de Pau, emmené par Anne Lacassagne, sa responsable pédagogique et musicienne de formation. Cette dernière est intervenue dans les unités de réanimation pédiatrique et de néonatalogie au sein du Groupe hospitalier Pellegrin, dans le service de cardio-pédiatrie de l’Hôpital Haut-Lévêque, et auprès des agents d’entretien du CHU. Cette formation était destinée à diminuer le stress environnemental qui existe dans ces unités avec la nécessité dans un premier temps de prendre conscience de l’environnement sonore sans culpabiliser les équipes soignantes. Ce type d’initiative est d’autant plus efficace qu’elle répond à un besoin des IDE, repéré par les cadres de santé, ce qui était le cas à Bordeaux. De manière plus large, la prise en compte du développement durable, et donc de l’environnement dans toutes ses composantes (flux, produits, bruit, pollution de l’air intérieur…) devrait, dans les années à venir, pousser les hôpitaux à développer des projets qui intègrent des compétences d’éco-infirmier. Si une fois encore, les moyens financiers sont au rendez-vous…
D’autres opportunités s’offrent aux professionnels grâce à des appels à projet, souvent lancés par les ARS (lire l’interview p. 59). Céline Coupeau a ainsi été sélectionnée fin 2016 dans la cadre d’un appel à projets de l’ARS Nouvelle Aquitaine sur le thème « Priorité : femmes enceintes et petite enfance ». Elle va intervenir seule ou en binôme avec une conseillère info-énergie sous forme de conférence, d’ateliers de sensibilisation et de formations auprès des élus et des professionnels de la petite enfance des communautés de communes. En parallèle, toujours avec la Région, elle planche ardemment sur la rédaction du troisième PRSE (plan régional santé-environnement).
Autre possibilité, celle d’intégrer un poste axé sur la prévention au sein d’une structure locale. C’est le choix suivi par Aurore Chesnay. Diplômée en 2007, elle a également opté à titre personnel pour l’Ifsen en 2013 après six années d’exercice en psychiatrie et en réanimation à l’hôpital. En disponibilité de la fonction publique hospitalière, elle est entrée dans l’une des agences départementales de la solidarité de l’Hérault. Un poste en santé publique où elle est en contact avec des adultes handicapés bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). « Sur ce poste, 5 % de mes missions concernent de la prévention en santé publique, précise Aurore Chesnay. J’ai pu intégrer des ateliers sur la qualité de l’air intérieur, sur l’alimentation et sur les produits de beauté. Les personnes en précarité sont souvent dans l’isolement, il faut leur apporter cette information. Et notre rôle de soignant est aussi d’accompagner les personnes dans leur changement de comportement. »
La santé environnementale passe également par une prise de conscience des impacts des gestes de chacun. Dans les Hauts-de-France, l’ARS s’est ainsi fortement penchée sur la question de l’habitat insalubre, une problématique prégnante dans la région. Ici, l’Association pour la prévention de la pollution atmosphérique (Appa) coordonne la plate-forme des conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI), une sorte de guichet unique mis en place par la Région et qui centralise les demandes médicales. Émilie Hecquet, infirmière diplômée en Belgique en 1995, a suivi en 2010 le diplôme interuniversitaire de Strasbourg « Santé respiratoire et habitat ». Employée depuis par l’Appa, elle est l’une des trois IDE sur les sept professionnels qui travaillent à la plate-forme des CMEI ; elle participe aussi à sa coordination. « Je mène des enquêtes environnementales à la demande des médecins pour savoir si dans les habitats des patients il existe des facteurs aggravants par rapport à des pathologies respiratoires comme l’asthme ou des pneumopathies d’hypersensibilité liées à des bactéries ou des moisissures, détaille-t-elle. Au cours d’un rendez-vous au domicile, j’évalue aussi bien l’état du bâti que les habitudes des patients. » Défaut d’aération, repérage des produits d’hygiène et sanitaire, nombre de brûle-parfums, pratique du tabagisme, état du logement… tout est passé en revue et donne lieu à un rapport de synthèse. En 2015, sur 400 demandes d’intervention, 329 visites ont été réalisées. « Le plus difficile, c’est le contact et l’approche au domicile de la personne, ajoute Émilie Hecquet. Cela demande une bonne capacité d’adaptation dans l’attitude, dans son discours et dans les conseils dispensés. Le cœur de ce métier, c’est bien de parvenir à pousser le patient à changer ses habitudes. Pour cela, il faut prendre en compte la personne dans sa globalité, faire preuve d’empathie, mais c’est le propre du métier d’infirmière quelque part… » Au niveau des qualités requises, le métier d’éco-infirmier nécessite une bonne dose de persuasion. Il faut avant tout être convaincu par les impacts environnementaux sur la santé des patients mais aussi du personnel. Cela implique de savoir argumenter avec des connaissances sérieuses afin d’être capable d’affronter un chef de service ou de convaincre un responsable de collectivités réfractaires au sujet. Bien expliqués, les projets environnementaux sont souvent porteurs et synonymes d’une dynamique de groupe. Il est vraiment nécessaire d’obtenir l’adhésion d’une équipe pour avancer afin que chacun se sente concerné. Un certain leadership permet plus facilement de faire accepter une modification des habitudes professionnelles en cours. Toujours en construction en 2017, la pratique d’éco-infirmier nécessite une veille active tant sur le plan réglementaire que sur celui des actions concrètes en France ou ailleurs dans le monde afin de s’inspirer de solutions éprouvées, voire de les dupliquer.
On l’aura compris, se former pour devenir éco-infirmier est indispensable, mais ce n’est pas simple. Les formations sont rares et celle de l’Ifsen, si elle n’est pas prise en charge par l’employeur, nécessite un engagement personnel indéniable. Ouverte à tous sous réserve de certains prérequis, la formation de l’Ifsen mélange différents profils professionnels. Elle mise sur un brassage collectif des connaissances avec au départ des compétences propres à chacun qui favorisent l’interactivité des points de vue. « Ce qui était vraiment appréciable, c’était de ne pas être considérée comme l’écolo de service », s’exclame Aurore Chesnay, formée lors de la première promotion. Peu de personnes ont été formées (46 sur trois promotions depuis 2013). « Notre objectif en 2017 est de faire certifier notre formation, explique Philippe Perrin. Le but est aussi de créer un réseau d’éco-infirmiers à partir des personnes formées à l’Institut afin de faire progresser la connaissance de cette activité. Et de concevoir une charte éthique sur laquelle le réseau pourra, à terme, s’appuyer. Aujourd’hui, le métier d’éco-infirmier n’a pas d’existence officielle, il n’existe pas de titre déposé. En général, les IDE sont reconnues en tant que tel avec une spécialité en santé environnementale, bien que je n’aime pas trop le terme de spécialité, car la santé environnementale implique une vision globale, transversale, d’échange entre les disciplines et les professionnels. Mais à mon sens, toutes les personnes formées dans ce domaine vont pouvoir, quel que soit leur lieu d’exercice – service de protection maternelle et infantile, consultation à l’hôpital ou encore milieu scolaire –, diffuser des informations, dispenser des conseils, établir des recommandations et apporter des solutions grâce à un œil aguerri sur les sujets qui lient santé et environnement. » Et Céline Coupeau d’ajouter : « Il faut intégrer la demande de prise en compte des effets de l’environnement sur la santé dans tous les actes sans se référer à la notion de spécialisation. C’est une approche transversale qui nous montre à quel point la pratique de soins est en transition. » Avec, à l’horizon, un champ de possibilités immense.
1- En 1989, Philippe Perrin a réalisé un mémoire de fin d’études intitulé « Éco-infirmier, une autre voie ».
→ La notion de santé environnementale est née en 1994, lors de la conférence d’Helsinki où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en a proposé la définition suivante : « La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement […]. » Ici, l’OMS intègre ce qui relève chez l’individu de choix ou de pratiques individuelles comme le tabagisme, l’activité physique, les comportements alimentaires…
→ La France, elle, a opté pour une définition plus serrée établie en 2004 dans le rapport de la commission
→ L’Ifsen (Institut de formation en santé environnementale), créé en 2013, propose une formation continue intitulée « Santé environnementale et pratique de soin ». Elle comprend 189 heures réparties en neuf modules de trois jours (écologie et développement durable, alimentation et OGM, eau et cosmétiques, air et habitat, bruit, nanotechnologies et déchets, rayonnements non ionisants et ionisants…). Il s’agit d’une formation certifiante, où chaque module est évalué en contrôle continu, ouverte notamment aux professionnels de santé, médicaux et paramédicaux.
→ DIU (diplôme interuniversitaire) « Santé respiratoire et habitat », université de Strasbourg avec Brest, Montpellier, Necker Enfants malades et Toulouse.
→ WECF France, fondé en 1994, est un réseau de 150 organisations féminines et environnementales. Dans le cadre du programme Ma santé, Ma maison, il propose, entre autres, des ateliers Nesting ouverts aussi bien aux femmes enceintes qu’aux sages-femmes et professionnels de la petite enfance…