L'infirmière Magazine n° 379 du 01/02/2017

 

Maladie rare

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Texte et photos : Fabrice Dimier  

On compte 87 « enfants de la lune »(1) en France. Des personnes qui souffrent de xeroderma pigmentosum, une maladie se manifestant par une hypersensibilité aux rayons ultraviolets. Une pathologie qui condense les difficultés liées aux maladies orphelines : contraintes au quotidien, manque de reconnaissance et absence de traitement curatif.

La baie vitrée de la classe de maternelle de Bellegarde-sur-Valserine (01) fait face aux montagnes. Le soleil frappe aux carreaux, mais il n’est pas aveuglant. Car la commune a fait installer un film anti-UV sur les vitres afin de protéger la petite Noah, 6 ans, enfant de la lune. En effet, le moindre rayon de soleil direct affecte sa peau, pouvant entraîner un développement accéléré de mélanomes ou un cancer de la peau. C’est le dernier jour d’école, et toute la classe attend avec impatience le signal annonçant la récréation. Les enfants lâchent leurs dessins et se précipitent dans la cour. Noah, elle, doit d’abord enfiler ses gants et son masque, aidée par Annie, son AVS, détachée à temps plein auprès d’elle.

Composé d’un casque-bulle semblable à celui des cosmonautes, avec une vitre filtrée anti-UV, le « masque » est encapuché d’un tissu tombant sur les épaules. Un équipement fabriqué par une société de lingerie, et financé – matière première et coût d’assemblage – par l’association Enfants de la lune(2). Une petite batterie alimente un ventilateur. Insuffisant. Noah, qui s’en donne à présent à cœur joie avec ses amies, s’essouffle rapidement. L’heure des mamans fait place à la tristesse passagère des adieux aux copines.

Mais Noah sait que l’arrivée des vacances signifie aussi l’ouverture du camp d’été des enfants de la lune. D’ailleurs, Wafa, sa maman, également présidente de l’association Enfants de la lune, est au téléphone avec d’autres parents afin d’organiser les derniers détails. Fondée en 2000, cette association regroupe, entre autres membres, les parents de la quasi-totalité des 50 enfants atteints de xeroderma pigmentosum (XP) en France. Son rôle est d’apporter toutes les connaissances médicales, de promouvoir la photo protection – auprès des parents, mais aussi auprès du corps médical et paramédical –, de récolter des fonds pour financer les achats de matériel, et de tenter de mobiliser la recherche sur cette maladie.

Rompre l’isolement

Quinze jours plus tard, dans les hauteurs du Jura, 16 enfants XP, âgés de 3 à 16 ans, se retrouvent avec leur fratrie dans un chalet de montagne. Les parents se saluent amicalement ; pour la plupart, ils se connaissent déjà. « Enfin les vraies vacances », se félicite l’un d’eux. Du repos. « Les vacances, c’est souvent compliqué avec cette maladie… », explique Samir, le papa d’Ibrahim, 10 ans. Car les difficultés de la vie courante, maîtrisées par ces familles au quotidien (école, maison, transports) sont démultipliées en vacances, avec son lot d’imprévus. « Pour nous, des vacances en Tunisie, c’est une gestion énorme ! Rien qu’avec le casque, c’est infernal », explique Samir.

Partager des loisirs en famille, à un rythme adapté, tout en maîtrisant les contraintes grâce à des aménagements logistiques, c’est le but avoué de ce camp d’été. L’intérieur de la bâtisse est « filmé », y compris les sources de lumière artificielle, notamment les néons qui peuvent eux aussi diffuser des ultraviolets. Un groupe d’enfants s’arrête brusquement devant l’écriteau de la porte vitrée : « Merci de vérifier qu’aucun enfant XP n’est dans l’entrée avant d’ouvrir … ». Ils attendent sagement que l’un d’eux sorte du sas pour reprendre leur course dans le chalet. Le rythme est également adapté : levers tardifs et activités nocturnes. Pendant la journée, les enfants sont pris en charge par des animateurs bénévoles, ou jouent, protégés, autour du chalet. Pour le reste, les parents sont responsables de leur enfant. « C’est important pour les enfants d’avoir du temps ensemble, mais ça l’est pour nous aussi », confie la maman du jeune Ryan, 11 ans, qui multiplie les acrobaties sur le trampoline, peu gêné par sa combinaison.

Le camp remplit également la fonction de rassemblement annuel durant lequel ces familles, venant de toute la France, peuvent partager les espoirs, les difficultés et les déboires liés à la maladie. « On se dit tous “Pourquoi nous ?”, explique Samir, dont le fils a été diagnostiqué à l’âge de 3 ans. Sur le moment, j’avais même perdu la foi. Du fait de l’isolement et de la rareté de cette pathologie, on a l’impression d’être seuls face aux difficultés. Alors être avec d’autres parents, ça redonne du courage. » Pour lui, l’inquiétude est grande. Ibrahim est l’un des rares enfants du camp à souffrir d’une variante du XP, le XPA (groupe A), une forme très sévère accompagnée d’anomalies neurologiques importantes. Sachant que la plupart des enfants du camp souffrent de XPC, qui est la forme la plus fréquente avec absence de problèmes neurologiques. Le XPA rend Ibrahim un peu moins photosensible que les autres enfants mais « je sais qu’il va bientôt avoir des soucis moteurs aux jambes. C’est dur », reconnaît Samir en observant la démarche de son enfant, pour l’heure jovial, à la sortie d’une visite de grotte.

Un sentiment de culpabilité

Ce « pourquoi nous ? » qui ronge beaucoup de parents répond autant à un isolement, qu’à un sentiment de culpabilité. C’est le lot des pathologies génétiquement transmissibles, certes. Mais pour certains parents d’enfants atteints de XP, celui-ci est accentué, car la consanguinité joue un rôle important dans la transmission de la maladie – entre 30 % et 50 % des malades sont concernés. À cela s’ajoute la culpabilité d’un diagnostic tardif, même si cela est essentiellement dû à un manque de connaissance du corps médical devant cette pathologie rare. Dans un premier temps, beaucoup de familles courent de généralistes en dermatologues, en passant par les ophtalmologues, alertées par des brûlures et des taches de rousseur (à un âge où les enfants ne devraient pas en avoir), et se retrouvent parfois engagées momentanément sur de fausses pistes allergiques. Pour corser le diagnostic, certaines personnes atteintes ne présentent pas ces brûlures, mais de simples rougeurs. Ce fut le cas de Noah. « Il faut plus de 5 ans pour rejeter les doses d’UV et une protection tardive est donc très handicapante pour la suite », explique Zied, son papa. À 6 ans, sa fille n’a eu à subir qu’une seule opération de la lèvre, grâce à un diagnostic à l’âge de 2 ans et demi.

Les reproches sont nombreux concernant les modalités d’annonce de la maladie. « Le médecin m’a dit qu’il avait trois ans de vie et que ce n’était peut être pas la peine de lui gâcher ce temps en le protégeant », s’offusque Hinda, maman de Ryan, diagnostiqué à l’âge de 3 ans. Et c’est là qu’intervient l’association : rassurer, informer, guider, rassurer encore… « Après cela, j’ai regardé des photos d’enfants XP très abîmés sur Internet. J’ai appelé la présidente de l’association. On a parlé de 22 heures à 4 heures du matin. Elle m’a expliqué calmement la nécessité de protéger mon fils. “Sa vie est entre vos mains et elle continuera si vous appliquez le principe de protection totale”, m’a-t-elle dit. Et c’est vrai. Aujourd’hui, Ryan va bien. Regardez-le ! », sourit Hinda en désignant fièrement son enfant qui chevauche un poney sourire aux lèvres. Au-dessus de l’écurie, la pleine lune rend hommage à cette activité nocturne et aux enfants, heureux de vivre cette expérience comme les autres. Ici, tous appliquent la protection totale. Une mesure qui nécessite une vigilance de tous les instants. Parce que la lumière filtre toujours un peu, qu’une porte s’ouvre sans prévenir. L’angoisse coupable n’est jamais loin.

Très cher dosimètre…

Le lendemain, le pique-nique du soir est un temps de repos pour tous. Après l’installation de lumières filtrées dans le parc, les enfants, équipés de lampes frontales, enchaînent les activités : tir à l’arc, chasse au trésor, etc. Un vent de liberté souffle sur la communauté. De rares moments durant lesquels parents et enfants ne doivent plus jongler entre le masque et le dosimètre, l’instrument de mesure d’UV. « C’est notre meilleur ami », lance une maman. Mais un ami coûteux… Jusqu’à l’année dernière, l’association se fournissait en dosimètre au prix de 3 000 € l’unité. Et il nécessite d’être recalibré régulièrement pour un coût avoisinant les 500 €. Mais cette prise en charge est loin d’être couverte. Les patients atteints d’XP souffrent d’un manque de reconnaissance statutaire de cette maladie. Leurs remboursements, via le décret de 2009, atteignent 1 300 € annuels, une somme bien insuffisante. Cela est censé couvrir les crèmes très haute protection à appliquer deux fois par jour afin de lutter contre l’assèchement cutané, l’équipement de protection. Et les contraintes sont diverses : difficultés de remboursement, de reconnaissance du handicap, de non-attribution de places de stationnement devant les écoles… L’association et les parents luttent en permanence pour récolter des fonds et mobiliser de bonnes volontés afin de financer des solutions.

Dans l’attente des avancées médicales

Le lendemain, après un petit-déjeuner tardif, les parents retrouvent des ingénieurs du Cern – l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire – venus présenter un dosimètre développé bénévolement. Plus petit, plus léger, et beaucoup moins cher. Lorsque le scientifique soulève la question de la « valeur seuil minimum à partir de laquelle fixer l’affichage du zéro sur le compteur », le débat est passionné. « Cela veut dire que quand c’est écrit zéro, il y avait tout de même des UV ? », s’alarme un parent. « Moi, je veux voir s’afficher zéro, ça me soulage… » reprend une maman. Il sera finalement décidé d’afficher une couleur verte pour marquer un affichage proche du zéro. Mais le débat aura révélé l’angoisse permanente à laquelle sont soumis parents et enfants, condamnés à une vigilance de tous les instants. Ce besoin d’être rassuré est indissociable d’un contexte de maladie avec peu d’avancées médicales concernant un traitement potentiel à venir. L’intervention du Pr Alain Sarasin, généticien à l’institut Gustave Roussy de Villejuif (92), venu présenter un questionnaire d’enquête européenne sur la maladie, va dans ce sens. Ce spécialiste français de la maladie effectue les diagnostics pour toute la France. « Je vois les cellules de tous les malades, les trois-quarts sont là. Les cellules des enfants XP servent à comprendre la réparation des cellules cancéreuses, explique le scientifique. Dans ce type de recherche, il faut se débrouiller, être connu. C’est compliqué. Mais je ne vois pas d’option avant 10 ans. »

L’intervention suivante soulève pourtant un espoir. Depuis deux jours, des bruits courent sur cette annonce prometteuse à venir de la société ProGeLife. La crème réparatrice sur laquelle la société travaille pourrait être une révolution. C’est ce que se répètent les parents dans les couloirs du chalet. Mais la présentation refroidit les attentes. Il s’agit d’une avancée, certes, un produit apte à réparer au mieux la peau desséchée. « Mais ce produit en phase de test clinique avant une “sortie” prévue au mieux en 2020, ne solutionnera jamais le port du masque », tient bien vite à préciser le responsable. Il est en effet impossible de protéger la peau des rayons ultra-violets sans la laisser respirer. « Oh, je commençais à rêver d’une petite récréation de 30 minutes sans masque, ce serait si bien… », regrette tout haut la maman de Ryan.

Se projeter dans l’avenir

Seuls dans l’Aquapark ouvert tout spécialement pour l’association, parents et enfants profitent de ces moments rares de détente et de défoulement. Lenny, 13 ans, court de bassin en bassin. « Au début, je me disais que sa vie serait limitée, et finalement, pas tant que ça, se réjouit sa maman. Bien sûr, on aimerait enlever ces protections, ne plus sentir ce regard des autres. Mais regardez-le, il est totalement autonome. Il n’a connu que le masque et ne le subit pas. » Le danger, c’est parfois une période de rejet des protections à l’adolescence lorsque le regard des autres se fait plus embarrassant, lorsque l’enfant arrive au collège et élargit son cercle. « Regardez Thomas. C’est le meilleur gage d’espoir », poursuit-elle en désignant le doyen des enfants de la lune du camp, occupé à lire un livre au bord de la piscine. Lui et son frère jumeau sont les fils des fondateurs de l’association, le couple Seris. Ils sont un peu les ambassadeurs des enfants de la lune. À 23 ans Thomas a fait des dizaines de camps d’été. Bien plus âgé que les enfants présents, sa présence est toutefois utile pour montrer l’exemple de la réussite de la protection totale. Il offre aux parents une possibilité de se projeter dans l’avenir. Étudiant à Bordeaux, en colocation avec son frère également atteint d’XP, Thomas mène une vie presque normale, sans problème de santé depuis des années. « Bien sûr, les contraintes sont plus nombreuses à l’âge adulte. Mais on vit avec. Il y a les problèmes avec les transports en commun. Je me suis parfois fait encercler par la sécurité. Mais j’ai appris très vite à expliquer la maladie. Après, il y a la nécessité de se déplacer avec ses ampoules quand on veut passer une bonne soirée chez les copains. Mais tout ça, ça ne changera pas, c’est acquis », résume le jeune homme.

« A contrario, nous avons invité une fois deux adolescents tunisiens dans le camp. Dans les pays du Maghreb, la protection est moins appliquée, le soleil beaucoup plus fort, et les enfants sont infiniment plus atteints. Ceux-ci étaient physiquement très abîmés. Cela a servi d’exemple. Montrer l’effet d’une mauvaise protection », reconnaît le Pr Sarasin. Dans un contexte où le recul sur la durée de vie des enfants protégé est court, la mission de l’association est réussie. Renforcer la volonté d’appliquer le seul soin possible et efficace. La protection totale.

* La part sombre du soleil.

1- Selon les chiffres de novembre 2016, 37 adultes et 50 enfants souffrent de xeroderma pigmentosum en France ; tous sont appelés « enfants de la lune ».

2- www.enfants delalune.org

PATHOLOGIE

Un enfant sur un million

Touchant un enfant sur un million, le xeroderma pigmentosum est dû à un mauvais fonctionnement du matériel génétique. Les fragments d’ADN détériorés par le soleil ne sont pas rétablis correctement par les enzymes de réparation. L’enfant en hérite si les deux parents transmettent le même gène muté. Elle provoque, avant l’âge de deux ans, l’apparition de cellules tumorales pouvant entraîner un cancer de la peau. La peau présente alors des lésions photosensibles : dépigmentation, hyperpigmentation, et atrophie.

Le coefficient multiplicateur concernant le risque de cancer de la peau est estimé à 10 000, 2 000 pour le mélanome, avant l’âge de vingt ans. En fonction de sa forme et de l’âge auquel elle se déclare, la maladie réduit l’espérance de vie du malade. Il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement. On ne peut que limiter les symptômes en appliquant des mesures préventives et traiter tout problème dermatologique rapidement.