L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

CARRIÈRE

GUIDE

MAGALI CLAUSENER  

Le syndrome d’épuisement professionnel ou burn out est lié au travail. Pas toujours aisé à diagnostiquer, il est encore plus difficile de le faire reconnaître comme maladie professionnelle.

Communément appelé burn out, le syndrome d’épuisement professionnel « n’est pas, actuellement, classifié dans les maladies psychiatriques : les symptômes et les causes de ce syndrome ne sont pas spécifiques. Une caractéristique cependant : il s’exprime dans la sphère professionnelle. Il y a d’ailleurs beaucoup de confusion dans les entreprises entre burn out, stress ou fatigue », explique d’emblée Anne-Marie Gallet, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

« La différence entre la dépression et le syndrome de l’épuisement au travail, c’est le rapport au travail. Le burn out est une manifestation individuelle liée à des conditions de travail collectives, ajoute Anne Florentin, médecin du travail à l’hôpital Robert-Debré (HP-HP), à Paris. L’épuisement professionnel est la conséquence de stress répétés au travail, j’ajouterai de la souffrance au travail. »

Des symptômes variés

• Aujourd’hui, on s’accorde sur le fait que le burn out comporte trois dimensions. Selon le guide sur le syndrome d’épuisement professionnel réalisé par l’Anact et l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité), il s’agit de l’épuisement émotionnel, du cynisme vis-à-vis du travail et de la diminution de l’accomplissement personnel au travail. Dans l’ouvrage Le burn-out à l’hôpital (voir savoir plus ci-contre), les auteurs caractérisent, eux, le syndrome d’épuisement professionnel des soignants par un épuisement émotionnel et physique, une déshumanisation de la relation avec le patient et une baisse du sentiment d’accomplissement de soi au travail.

• Pour autant, le diagnostic s’avère complexe. Comme le souligne Anne Florentin, « les symptômes sont variés ». De plus, le burn out n’est pas un épisode aigu, mais la conséquence d’un processus qui peut être long. « Au début, les personnes peuvent être en colère, elles remettent en cause le travail, les décisions. Ensuite, elles se sentent submergées et vidées. Tout devient négatif. Elles semblent ne plus aimer leur métier, leurs patients. Elles sont dans la critique, mais sans objectivation. Moins elles sont motivées, moins elles s’investissent et plus elle se replient sur elles-mêmes. Elles somatisent également : maux de tête ou de ventre, mal au dos… », décrit Anne Florentin.

Faire le lien avec le travail

• Le burn out n’est pas une pathologie, c’est là que réside la difficulté pour le salarié qui entreprend une démarche de sa reconnaissance comme maladie professionnelle. Si la loi sur le dialogue social du 17 août 2015 a inscrit la possibilité de reconnaître des affections psychiques comme maladie professionnelle « hors tableaux », « seules trois affections peuvent être reconnues par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) : les dépressions, les troubles anxieux et les états de stress post-traumatique », précise Valérie Langevin, expert à l’INRS sur les risques psychosociaux. En clair, un salarié pourra demander la reconnaissance comme maladie professionnelle d’une dépression consécutive à un burn out, mais il ne peut pas demander la reconnaissance du burn out en tant que tel comme maladie professionnelle.

• De plus, comme il s’agit d’une maladie « hors tableau », le salarié « doit prouver un “lien direct et essentiel” de sa maladie avec le travail et ce lien n’est étudié que si la pathologie peut entraîner une incapacité permanente prévisible d’au moins 25 % », explique Sophie Fantoni-Quinton, professeur de médecine du travail et docteur en droit au CHRU Lille (59). Ce qui n’est pas le cas pour les maladies répertoriées aux tableaux des affections professionnelles dès lors que le salarié remplit tous les critères d’exposition à un risque exigés par le tableau relatif à sa maladie.

La voix de l’employeur prédomine dans le public

• Pour les fonctionnaires du service public hospitalier, les pathologies découlant du burn out font partie des maladies contractées en service, mais celles-ci ne sont pas répertoriées dans un tableau. À l’agent donc de démontrer que sa pathologie a un « lien direct » avec le travail.

• L’agent doit remplir une déclaration auprès de son employeur en alléguant l’imputabilité au service. Il doit aussi produire un certificat médical initial ainsi que tout élément pouvant permettre d’établir la matérialité des faits.

• Suite à la déclaration de l’agent, l’employeur va s’assurer de la matérialité des faits et établir un rapport hiérarchique. S’il ne reconnaît pas l’imputabilité au service de la maladie, il a l’obligation de saisir la commission de réforme qui peut demander à l’agent des observations écrites, des certificats médicaux ou bien l’auditionner. Quel que soit son avis, l’employeur aura la décision finale.

• Si l’employeur reconnaît l’imputabilité, l’agent en congé de maladie conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il reprenne son service ou parte à la retraite. En cas de congé de longue durée, il perçoit l’intégralité de son traitement pendant une période maximum de cinq ans, puis la moitié les trois années suivantes. De plus, les honoraires médicaux et les frais directement entraînés par la maladie lui sont remboursés.

Une déclaration dans les deux ans dans le privé

• Pour entamer une démarche de reconnaissance de maladie professionnelle, le salarié doit faire une déclaration à sa caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) dans les 15 jours qui suivent sa cessation de travail. Elle reste recevable si elle est effectuée dans les 2 ans suivant soit la date de l’arrêt du travail lié à la maladie ou, si elle est postérieure, la date à laquelle le salarié a été informé par certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle, soit la date de cessation du paiement des indemnités pour maladie. La Cpam instruit alors le dossier et saisit pour avis le CRRMP.

• La reconnaissance de maladie professionnelle permet au salarié d’obtenir des indemnités journalières plus favorables qu’en cas de maladie non professionnelle, ainsi qu’une indemnisation spécifique liée à son incapacité permanente.

Amélioration en vue ?

• e décret du 7 juin 2016 relatif à l’amélioration de la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles prévoit que, dans les CRRMP, on puisse faire appel à « un professeur des universités-praticien hospitalier ou un praticien hospitalier spécialisé en psychiatrie ». « Comme il ne peut pas y avoir de reconnaissance de maladie professionnelle si le taux d’incapacité permanente partielle est inférieur à 25 %. C’est là tout l’intérêt d’un psychiatre au CRRMP pour évaluer la pathologie et sa sévérité », explique Valérie Langevin.

• Cette disposition facilitera-t-elle la reconnaissance des affections psychiques consécutives à un syndrome d’épuisement professionnel ? Il est encore trop tôt pour le dire. Il n’en demeure pas moins que le nombre d’affections psychologiques reconnues comme maladies professionnelles (dépressions, troubles anxieux et états de stress post-traumatique) progresse chaque année selon l’Assurance maladie : de 223 en 2013, il est passé à 418 en 2015.

• Mais la reconnaissance comme maladie professionnelle peut ne pas suffire. « Après un burn out, il est indispensable de se reconstruire. Cela nécessite souvent un accompagnement par un spécialiste qui sera capable de faire le lien avec le travail », conclut Valérie Langevin.

Conseils

Comment prévenir le burn out

→ « Les infirmières qui sentent qu’elles perdent pied, doivent aller voir le médecin du travail. Nous pouvons en effet poser le diagnostic et orienter, mais aussi discuter avec l’agent, entendre ce qu’il dit de ses maux, de son ressenti à l’égard du travail afin de lui redonner un peu de sens », préconise Anne Florentin, médecin du travail à l’hôpital Robert-Debré, à Paris (AP-HP).

→ « Des outils sont à la disposition des entreprises, notamment des questionnaires comme le Copenhagen Burnout Inventory - CBI - le Burnout Measure et l’Oldenburg Burnout Inventory, afin de détecter et de mesurer de façon collective les risques sociaux-psychologiques, explique Anne-Marie Gallet, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Dans le repérage individuel, l’encadrement a un rôle décisif : repérer un manque d’énergie, une irritabilité, un dénigrement… »

→ Les facteurs de risque sont connus : règles non équitables dans le service, désorganisation, horaires non respectés ou modifiés au dernier moment, responsabilités qui ne sont pas clairement définies au sein de l’équipe, surcharge de travail, conflits éthiques, manque de marges de manœuvre.

SAVOIR PLUS

→ « Le syndrome d’épuisement professionnel », guide d’aide à la prévention réalisé par l’Anact, l’INRS et le ministère du Travail (bit.ly/1Kz6SNw).

→ Le burn-out à l’hôpital - Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants, Pierre Canouï et Aline Mauranges, 5e éd., 2015, Éd. Elsevier-Masson.

→ Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

→ Décret n° 2016-756 du 7 juin 2016 relatif à l'amélioration de la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles et du fonctionnement des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles.

INTERVIEW

SOPHIE FANTONI-QUINTON PROFESSEUR DE MÉDECINE DU TRAVAIL ET DOCTEUR EN DROIT AU CHRU LILLE (59)

Le décret du 7 juin 2016 va-t-il faciliter les démarches pour la reconnaissance d’affections psychiques comme maladies professionnelles ?

• En réalité, la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle est possible depuis 1993 dans le secteur privé. Ce décret ne concerne que les assurés du régime général. Un psychiatre peut diagnostiquer l’affection, mais le plus difficile pour le salarié reste de démontrer la causalité entre le travail et la pathologie, puisqu’il n’y a pas de présomption pour le syndrome d’épuisement professionnel. C’est donc au seul salarié de faire la preuve que sa maladie est liée au travail. Par conséquent, c’est à lui d’apporter un certain nombre d’éléments factuels et tangibles pour étayer sa demande. Dans le secteur privé, le lien ne doit pas être seulement « direct », mais aussi « essentiel ».

Quels peuvent être ces éléments factuels ?

• Le rapport du médecin du travail est important dans la constitution du dossier. Le salarié ou l’agent doit préparer en amont sa démarche de reconnaissance et pourra la compléter si nécessaire avec d’autres documents, comme des témoignages. Il devra apporter la preuve que, par exemple, l’organisation du service, la charge de travail, voire des violences, sont à l’origine de sa pathologie. C’est là que réside toute la difficulté d’une telle démarche.

Face à ces difficultés, quel est l’intérêtde faire reconnaître son burn out comme maladie professionnelle ?

• Une personne en arrive à entamer ce type de démarche, parce que la question de pouvoir continuer à occuper son poste antérieur se pose. Au-delà de l’intérêt financier - prise en charge à 100 %, indemnités -, cette demande de reconnaissance fait partie du processus de réparation, de restauration de soi-même. Les personnes qui souffrent d’un burn out étaient souvent surinvesties et se sentent disqualifiées par cette situation. Au-delà de la réparation, elles ont besoin que l’on reconnaisse que le travail a joué un rôle dans leur syndrome d’épuisement professionnel.

PROPOS RECUEILLIS PAR M.C.