L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

FORMATION

EN INSTITUTION

ALAIN GIAMI  

Les personnes âgées n’auraient pas de désirs sexuels ? Elles ne pourraient pas faire l’amour même si elles le voulaient ? Idées reçues et tabous émaillent encore l’imaginaire collectif. Pourtant, certains aînés ont bien une vie sexuelle.

1. CONSTATS

Les personnes âgées constituent une part importante de la patientèle des infirmières, principalement dans des établissements de soins ou de long séjour (Ehpad, maison de retraite). Selon une étude de la Dress, fin 2011, 693 000 personnes âgées vivaient dans un établissement d’hébergement ce qui représente une hausse de 5,5 % par rapport à fin 2007. Sous l’influence de plusieurs facteurs, comme le vieillissement de la population, l’évolution des mœurs, le caractère légitime de la sexualité chez les personnes âgées commence à être reconnu. Le nombre croissant d’aînés en perte d’autonomie incitant lui aussi à s’interroger sur la prise en compte dans leur accompagnement - à domicile comme en institution - de leurs désirs sexuels et relations intimes. En fait, ce qui pose problème aux familles, aux soignants et à la société, ce n’est pas tant l’absence d’activité sexuelle, mais son maintien. Mais cette absence d’activité sexuelle, au même titre que son maintien, ne doit pas être considérée uniquement comme un « problème » à traiter ; les réponses infirmières doivent être alors formulées au cas par cas.

La solitude et l’isolement

La solitude touche davantage les femmes que les hommes. En effet, passé 75 ans, environ deux tiers des hommes vivent avec une partenaire contre seulement un quart des femmes. Or cette solitude - à domicile comme en établissement - constitue le problème majeur des personnes âgées et l’un des principaux obstacles à une vie affective et sexuelle. Cet isolement est probablement ce qui produit le plus de souffrance chez ces personnes. D’autant plus qu’elles n’ont pas toujours la possibilité de retrouver ceux et celles à qui elles portent de l’affection.

Entre inhibition et désinhibition

En plus du vieillissement, le déclin cognitif et la survenue de la maladie d’Alzheimer peuvent avoir deux types de conséquences sur la vie sexuelle des personnes concernées ; des conséquences que les infirmières devront alors gérer en équipe. Dans le premier cas, les personnes manifestent un repli sur soi, un désintérêt et un éloignement général envers les autres qui se traduit aussi par une inhibition totale des expressions érotiques. Dans le second cas, une minorité de personnes expriment des comportements considérés comme inappropriés. Il peut s’agir de la pratique de la masturbation, de l’exhibitionnisme ou du voyeurisme, du harcèlement sexuel. Alors que l’inhibition totale des expressions sexuelles et érotiques semble ne choquer personne - bien au contraire -, les expressions dites inappropriées provoquent, elles, un certain malaise parmi l’entourage.

Les relations de couple

Au delà des conduites qui sont assimilées à des paraphilies ou troubles de la préférence sexuelle, un résident peut également rechercher un partenaire sexuel et/ou affectif afin d’établir une nouvelle relation de couple. Une relation amoureuse peut ainsi se développer sous les regards attendris de certains soignants ou de l’entourage familial, attentifs au bien-être de la personne, mais aussi entraîner la désapprobation voire l’hostilité d’autres. Certaines familles voient ainsi d’un très mauvais œil le développement d’un nouvel attachement qui viendrait détruire l’image parentale que l’on souhaite garder de la grand-mère ou du grand-père. En Ehpad ou en maison de retraite, il est souvent recommandé de tenter de séparer les tourtereaux au nom de la morale ou de la protection des personnes.

2. RÉGLEMENTATION ET ÉTHIQUE

Les différentes règlementations assurent à l’usager des soins, au patient et à son entourage le droit au respect de son intimité, de sa sexualité et de ses choix tant qu’il peut les assumer. Il sera nécessaire de distinguer les patients en fonction de leur âge, de leurs déficiences et des formes de dépendance qu’elles induisent et de leurs capacités de discernement qui peuvent varier en fonction des troubles cognitifs (démences, maladie d’Alzheimer).

→ La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale vise à rendre l’usager acteur de son projet de vie en favorisant le respect de ses droits, en référence « aux droits de la personnalité » du code civil. Rappelons qu’en application de ce dernier, la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ou à l’intimité ouvre droit à réparation.

Dans la mesure où une partie des personnes âgées sont confrontées à une diminution importante de leurs capacités sexuelles, du fait du vieillissement lui-même, de la solitude conjugale, ou de la diminution des capacités mentales, la présence d’une activité sexuelle peut souvent être considérée et vécue par les personnels et l’entourages familial comme inappropriée, et ce, d’autant plus qu’une personne n’a pas la possibilité de donner un réel consentement à participer à une activité sexuelle.

→ À cet effet, la charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante(1) stipule bien, dans son article 4 « qu’une personne âgée doit être protégée des actions visant à la séparer d’un tiers avec qui de façon mutuellement consentie, elle entretient ou a souhaité avoir une relation intime… ».

À l’infirmière de poser les limites lors de manifestations sexuelles déplacées du patient - masturbation en public, exhibition, propos déplacés, attouchements et agressions sexuels - envers des personnes non consentantes (soignées ou soignantes). La compassion n’est pas de mise pour les personnes conscientes en capacité de choisir et d’obtenir un consentement d’un ou d’une partenaire. En revanche, un accompagnement éducatif adapté sera indispensable pour une personne ayant moins de discernement. Pour l’une, il s’agit d’une agression même si la personne est en cours de soin ou de traitement ; pour l’autre il y a obligation de se former ou de s’informer à cet accompagnement spécifique que sont les personnes désorientées et/ou désinhibées.

Des droits reconnus au niveau européen

La Charte européenne des droits et responsabilités des personnes âgées nécessitant des soins et une assistance de longue durée(2) stipule, pour sa part, que « toute personne vieillissante conserve ses droits à la vie privée et à l’intimité ainsi qu’à leur protection avec un espace réservé à eux seuls ou avec la personne de leur choix ». Un droit également énoncé dans l’article 4 de la charte des droits et libertés des personnes âgées en situation de handicap et de dépendance qui spécifie que « respecter la personne dans sa sphère privée, sa vie relationnelle, affective et sexuelle s’impose à tous ».

3. QUE FAIRE AVEC LES PERSONNES ÂGÉES ?

Face aux présupposés

Le premier obstacle à surmonter est d’ordre psycho-social : reconnaître que les personnes âgées peuvent (encore) avoir une vie sexuelle et ne pas se sentir scandalisé lorsque l’on est témoin d’expressions érotiques, amoureuses ou sexuelles que l’on peut qualifier de communes à l’ensemble des adultes. Mais inversement, il ne s’agit aucunement d’une obligation et comme pour toutes les personnes vulnérables, il faut protéger les personnes âgées et/ou dépendantes contre d’éventuels abus sexuels.

→ La première chose à faire est de prendre conscience de nos représentations, de nos préjugés et de nos émotions envers les personnes âgées. Les adultes (en âge de procréer et en âge de travailler) se représentant subjectivement les personnes âgées, ont souvent l’habitude de penser que les personnes ayant vingt à vingt-cinq ans de plus qu’elles auraient abandonné toute vie sexuelle active - seules ou avec un partenaire. Les femmes sont - encore plus que les hommes - supposées avoir abandonné toute vie sexuelle suite à la ménopause. Ce préjugé qui est tenace amène souvent à considérer toute manifestation sexuelle d’une personne âgée comme déplacée. On parle alors de « vieille dame indigne » ou de « vieux dégueulasse ». Toute expression sexuelle et amoureuse apparaît ainsi comme une forme de déviance, une perversion. Et de nombreuses infirmières se disent choquées, voire même dégoutées par ces expressions.

→ Il faut distinguer les difficultés liées au vieillissement lui-même qui entraîne généralement une diminution de la libido et de l’intérêt pour la sexualité, de celles liées à la prégnance des images sociales qui donnent une valeur érotique majeure aux corps juvéniles et dévalorisent les corps vieillissants.

Il convient également de faire le distinguo avec les personnes âgées encore actives et insérées dans la société, entourées de leur conjoint et de leur famille, engagées dans des associations, et qui fréquentent des clubs de loisirs chez lesquelles la continuation d’une vie affective et sexuelle est de plus en plus considérée comme normale, voire même dorénavant encouragée.

→ Notons aussi que parfois le placement dans un établissement de séjour (maison de retraite) permet à certaines personnes de sortir de leur isolement et de retrouver une vie sociale et relationnelle dont elles ont la capacité. Les problèmes se posent différemment avec l’avancée en âge qui confine ces personnes à l’isolement et dans la dépendance des personnes aidantes - entourages familiaux ou des personnels plus ou moins qualifiés.

Intervenir au cas par cas

Dans tous ces cas, il est important de rappeler qu’il n’existe pas de recette générale, ni d’outil validé permettant de répondre à l’ensemble des situations rencontrées. Appliquer des recettes impersonnelles peut aussi s’apparenter à de la maltraitance et il convient de ne pas confondre le maintien de l’ordre - ordre moral ou ordre sanitaire (en établissement ou à domicile) - avec le service rendu à la personne tout en n’accédant pas nécessairement à ses demandes. Il importe ainsi de considérer que la personne âgée doit être écoutée et aidée pour elle-même dans son intérêt au-delà des intérêts de son entourage lorsque ceux-ci apparaissent contradictoires. Enfin, il importe de sortir du fantasme selon lequel les personnes âgées sont nos parents ou nos enfants. Le respect de la personne passe par la reconnaissance de son statut de personne et ce jusqu’à la mort.

Aussi, en institution, les initiatives - comme l’aménagement d’un espace réservé aux rencontres - pour donner une place à la sexualité et plus largement à la vie intime ne doivent pas rester isolées. Cela peut passer par l’élaboration d’un projet de vie sexuelle que les soignants et les aînés pourront construire ensemble, en concordance avec les orientations définies par l’établissement en la matière. Ce projet sera élaboré en tenant compte des particularités de l’individu, de ses possibilités, de ses aspirations, en essayant de concilier libertés, limites et contraintes de la vie en Ehpad. Un outil sur lequel s’appuient les soignants, qui est aussi un bon moyen d’inscrire les actions dans la durée.

1 - Charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante, 2007 (bit.ly/2kmsOSj).

2 - Projet coordonné par AGE-plateform Europe et EDE, 20 juin 2010 (bit.ly/2lqwjYO).

SITUATION CLINIQUE

Soignant harcelé ou pulsions mal gérées ?

Vous êtes mal à l’aise, car comme tous les jours, vous surprenez Mme L. qui ne cesse de regarder avec insistance les fesses des soignantes et de tenir des propos salaces lors de leur passage. Vous assimilez cet état de fait à du harcèlement, d’autant plus qu’elle n’a de cesse de vous dire qu’elle aimerait vous voir toute nue dans son lit : « Aller viens, je fais une petite place pour la sieste », dit-elle. D’un autre coté vous pensez que ce n’est pas si grave car Mme L. est un peu désorientée et n’a pas conscience de ses propos la plupart du temps. Vous l’avez cette fois-ci recadrée fermement et vous avez enchaîné vos soins en plaisantant comme à votre habitude. Vous appréhendez votre prochaine visite dans cette chambre, car vous savez que cela va recommencer.

Que faire ?

Ce qui a été fait sera à refaire, c’est-à-dire recadrer et poser les limites. Mme L. n’étant pas en pleine conscience, les faits de harcèlement sont difficiles à retenir. Elle est plutôt en perte de repère. Il s’agira dans ce cas d’être au fait de sa pathologie et des comportements induits pour mieux intervenir. Toute infirmière peut se lasser de ce type de situation, mais c’est aux soignants de mettre à plat cette problématique et de déterminer ensemble l’attitude que tous adopteront avec cette patiente pour la recadrer de façon assertive et bienveillante, leur cohérence faisant repère pour celle-ci. Plaisanter sur cet état de fait signe une mise à distance et une mise en défense du soignant, ce qui peut se comprendre, mais cette attitude ne règlera rien. Dire est nécessaire, nommer les actes perçus comme irrecevables et poser les limites de l’acceptable est indispensable pour soigner l’autre en toute liberté et responsabilité. (cf. code de déontologie-2016)