L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

REMÉDIATION COGNITIVE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Bérangère Rigaut*   Brigitte Malangin**  

Favoriser une approche neuropsychologique et éducationnelle afin d’améliorer l’insertion et la réhabilitation. Une prise en charge proposée par le centre ressource Île de France de remédiation et de réhabilitation psychosociale (C3RP) de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris.

Les troubles cognitifs ont une répercussion importante sur la vie quotidienne et professionnelle, car ils touchent aux capacités du cerveau qui permettent de communiquer, de percevoir l’environnement, de se concentrer, de se souvenir d’un événement ou d’accumuler des connaissances. Une large proportion des patients atteints de troubles schizophréniques ou de troubles associés connaissent des difficultés cognitives qui se manifestent le plus souvent avant les symptômes de la maladie et restent présentes malgré la stabilisation.

Depuis 2014, le centre ressource Île de France de remédiation et de réhabilitation psychosociale (C3RP) de l’hôpital Sainte-Anne propose le programme Near(1) pour faire de la remédiation cognitive et travailler sur les capacités cognitives qui peuvent être altérées par une pathologie psychiatrique. Dans le modèle de prise en charge du C3RP, le programme est particulièrement destiné aux patients pouvant s’orienter vers des projets d’insertion à court ou moyen terme. Créé en 2002 à New York, Near s’inspire de techniques de type Montessori, et allie exercices informatisés et échanges autour de thématiques en lien avec les fonctions cognitives… Le Pr Alice Medalia, créatrice du programme, a assuré la formation des soignants au CH Sainte-Anne, et a autorisé le C3RP à en diffuser l’enseignement en France et à l’étranger.

Pré-sélection

La demande d’intégration dans un programme de remédiation cognitive émane du patient, de son psychiatre ou de son médecin traitant, qui doit en expliquer les motivations. Le patient est reçu par le Dr Isabelle Amado, psychiatre responsable du C3RP, qui vérifie, entre autres, s’il est cliniquement stabilisé. Il est ensuite référé à un neuropsychologue qui évalue en deux séances de deux heures, l’attention sélective, les différentes mémoires (court terme, de travail, épisodique, etc.), les fonctions exécutives (planification, inhibition, flexibilité), la vitesse de traitement (exécution motrice et traitement cognitif), les fonctions visuo-spatiales (appréhension de l’environnement, définition d’un itinéraire)… L’infirmière évalue ensuite le lien entre les difficultés cognitives et le retentissement sur la vie quotidienne… Présentés ensuite en équipe pluriprofessionnelle, ces éléments déterminent si le patient a besoin d’une prise en charge individuelle ou s’il peut intégrer le programme en groupe Near.

Nous rencontrons M. B. lors d’une séance d’évaluation des troubles cognitifs au quotidien. Pour cela, nous utilisons une fiche créée au sein du C3RP, qui mesure trois degrés de gêne (faible, moyenne, importante) à travers six points :

→ L’attention : pouvez-vous écouter la radio tout en faisant une tâche ménagère ? Êtes-vous attentif à ce qui se passe autour de vous ?

→ La mémoire à court terme : vous arrive-t-il d’oublier immédiatement ce que vous lisez ? Décrochez-vous rapidement d’une conversation ?

→ La mémoire à long terme : avez-vous du mal à raconter un film après l’avoir vu intégralement ?

→ Les fonctions exécutives : avez-vous parfois du mal à organiser vos tâches ménagères ? À initier certaines actions ?

→ La vitesse de traitement : devez-vous chercher vos mots ? Pensez-vous comprendre une conversation moins vite que les autres ?

→ Les fonctions visuo-spatiales : Vous est-il difficile d’estimer la distance vous séparant d’un obstacle ? Les évaluations neuropsychologique et fonctionnelle de M. B. montrent qu’il a de bonnes ressources cognitives (vocabulaire, raisonnement verbal et non verbal, vitesse de traitement, attention focalisée, mémoire épisodique) sur lesquelles il pourra s’appuyer lors de la remédiation. Néanmoins, il a du mal à planifier, décroche facilement pendant une conversation, et a une mémoire de travail verbale altérée. Des difficultés qui peuvent avoir des répercussions sur son autonomie et son insertion socio-professionnelle. Nous lui préconisons donc de participer au programme Near.

Focus sur une séance

Le programme se fait en trente séances, à raison de deux séances d’une heure et demie par semaine, avec deux IDE. Chaque séance se déroule en deux parties. Durant la première, d’une demi-heure, chaque participant travaille seul devant l’un des ordinateurs. Il pratique en s’appuyant sur la liste des quatre exercices demandés par les infirmières selon son profil cognitif. Nous lui remettons les fiches de la session précédente et les nouveaux objectifs de la présente session. En début de séance, un maître du temps est désigné. François(2) se porte volontaire, ravi. Chacun travaille sur un ou deux exercices pendant que nous naviguons entre eux, observant les erreurs et les stratégies adoptées tout au long des modules du logiciel Presco, sur lequel figurent les exercices du programme Near (voir encadré). Dans cette phase, les IDE coachent les patients. À la fin de la demi-heure, chacun indique son appréciation des exercices réalisés : dans quelle situation cet exercice peut servir ? quand peut-on faire appel à telle ou telle stratégie ? Simon(2) devait retenir une liste de mots et a choisi de les combiner pour construire une histoire. Une stratégie qui lui permet de mieux les mémoriser. Pour M.B., la catégorisation fonctionne mieux et lui permet de structurer sa pensée. Pour un autre, dire les mots à haute voix lui permet de mieux les retenir. Comme ils sont tous étudiants, nous en profitons pour rappeler que le style d’apprentissage est propre à chacun : certains préfèrent travailler le matin, le soir ou dans l’après-midi, plutôt seul ou en groupe, avec de la musique ou en silence…

La bonne procédure

La seconde partie de la séance donne vie à une situation du quotidien. Cette fois, ce sont les IDE qui encadrent et animent la réunion. Cette semaine, nous abordons des questions d’organisation : vêtements sales et frigo vide alors qu’une amie vient dîner. Nous les amenons à analyser la situation en relevant les obstacles et à définir les actions. L’apprentissage consiste à répertorier cinq étapes nécessaires à la réalisation d’une tâche : description de la tâche, que dois-je faire ?, stratégies, réalisation, autoévaluation. À la fin de la séance, certains notent une meilleure confiance en soi, une prise de conscience de leurs ressources cognitives, le goût retrouvé de la lecture et la diminution du stress. Le bilan de M.B. montre de nettes améliorations de l’attention, avec moins de fatigabilité et de décrochage, ainsi qu’une diminution de l’impulsivité concernant la planification grâce à l’utilisation de différentes stratégies.

1- Programme neuropsychologique et éducationnelle pour la réhabilitation (Neuropsychological and Educational Approach to Remediation)

2- Les prénoms ont été modifiés.

CAS DE DÉPART

M. B., 26 ans, souffre de troubles schizophréniques. Stabilisé cliniquement, il bénéficie d’un suivi (psychiatre référent et activités thérapeutiques) et vit de façon autonome. Il se plaint toutefois de ne pas pouvoir se concentrer sur ses lectures. Il a tendance à planifier les tâches quotidiennes de façon impulsive et partielle. Et évoque aussi un stress face à des situations nouvelles. Il souhaite acquérir des outils concrets afin de pallier ces gênes fonctionnelles, d’améliorer sa concentration, de cerner ses difficultés et ressources, et savoir mieux planifier son quotidien.

EN INDIVIDUEL OU EN GROUPE

→ Un programme individuel peut être proposé lorsque les évaluations montrent une désorganisation de la pensée, des difficultés importantes d’attention, des difficultés cognitives multiples, un manque d’autonomie.

→ Au moyen d’exercices sur papier et/ou informatisés, le participant va utiliser des stratégies.

→ Des tâches à domicile centrées sur les difficultés au quotidien aident au transfert des acquis à la vie de tous les jours (mémorisation d’articles, liste de courses catégorisée…)

→ L’alliance thérapeutique l’amène rapidement à s’approprier le sentimentde compétence.

EXERCICES INFORMATISÉS

Les douze travaux

Douze modules sont proposés sous la forme de jeux avec plusieurs niveaux de difficulté.

→ Langage et vocabulaire : travailler le lexique.

→ Langage et raisonnement : stimuler la logique, la fluence verbale.

→ Capacités visuo-spatiales : stimuler l’imagerie mentale.

→ Attention : stimuler l’attention soutenue.

→ Vitesse de traitement : traiter rapidement une info.

→ Calcul : stimuler le calcul mental.

→ Fonctions exécutives : stimuler le raisonnement, la flexibilité, l’inhibition et la planification.

→ Mémoire spatiale : retenir l’emplacement d’objets/d’éléments.

→ Mémoire auditive : stimuler l’attention soutenue, la mémoire de travail.

→ Mémoire verbale : retenir une liste de mots.

→ Mémoire visuelle : mémoriser diverses formes et différentes couleurs.

→ Mémoire verbale et visuelle : entraîner simultanément les deux mémoires.