L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

GRIPPE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

FRANÇOISE VLAEMÜNCK  

La sévérité de la grippe saisonnière et les nombreux décès qu’elle a provoqués relance le débat de l’obligation vaccinale pour les professionnels de santé. Entre libre choix et responsabilité professionnelle, la question reste délicate à trancher.

Pr Bruno Lina

« Si on veut protéger les personnes fragiles, l’entourage doit être vacciné »

Les personnes âgées ont été les premières victimes de l’épidémie de grippe. Or, en tant que groupe à risque, elles sont au cœur de la promotion vaccinale. Comment peut-on l’expliquer ?

La souche virale qui a circulé cet hiver est l’une des plus épidémiques et vacciner les personnes âgées est insuffisant. En effet, plus on vieillit, moins la réponse post-vaccinale est efficace. C’est particulièrement vrai pour la grippe dont l’immunité doit être réinstallée chaque année, mais cela l’est aussi pour les autres vaccins. Si on veut protéger les personnes fragiles et les personnes âgées contre ce virus, il est nécessaire que l’entourage le soit aussi. À partir de là, on va pouvoir obtenir une protection en cascade et bloquer la chaîne de transmission. En milieu ouvert, c’est sans doute plus difficile à organiser, mais dans les établissements de santé comme les Ehpad, c’est beaucoup plus simple à mettre en place. De facto, l’obligation de vaccination des professionnels de santé qui exercent dans ces structures, mais aussi celle du personnel et des proches, doit être posée. Aujourd’hui, on lutte pour maintenir le plus possible les personnes âgées en autonomie, mais on oublie que la grippe est l’une des causes de leur entrée en dépendance, loin devant les fractures de la hanche.

Pensez-vous qu’on ait perdu de vue l’objectif même de la vaccination : se protéger et protéger les autres ?

Je le pense. La vaccination est une arme à deux coups puisqu’elle est à la fois individuelle et collective. Par conséquent, ne pas se vacciner est une forme d’incivilité. Et s’agissant des professionnels de santé, on peut même parler d’un manquement à leur obligation de moyens. En effet, on peut considérer qu’un soignant qui prend en charge une personne fragile sans être vacciné ne s’est pas donné les moyens mis à sa disposition pour ne pas transmettre le virus dont il est potentiellement le vecteur. Aujourd’hui, une infirmière qui verrait une collègue passer d’un patient à l’autre sans utiliser les mesures d’hygiène trouverait cette attitude irresponsable. Pourtant, elle n’aura pas le même jugement pour une collègue non vaccinée… D’ailleurs, on pourrait imaginer que le taux de vaccination contre la grippe fasse partie des critères de qualité et de sécurité des établissements de santé.

Le renouvellement annuel de la vaccination contre la grippe n’est-il pas une condition nuisible à l’adhésion ?

Oui, c’est une contrainte qui n’existe pour aucun autre vaccin. Et cette répétitivité nourrit aussi l’idée que le vaccin est inefficace. Imaginons qu’on ait un vaccin avec une efficacité de 80 à 90 % et qu’on ne le renouvellerait que tous les cinq ans, l’adhésion à la vaccination serait sans doute remportée facilement. Cela dit, devoir se laver les mains 20 ou 30 fois par jour n’est pas une moindre contrainte…

Des pistes de recherche sont-elles enclenchées ?

Actuellement, une demi-douzaine de vaccins, qui allient efficacité vaccinale et protection plus longue, sont en cours de développement. Mais il faudra sans doute attendre une dizaine d’années pour les voir sur le marché.

Sandrine Hurel

« Il faut jouer davantage la transparence sur la composition des vaccins »

Que vous inspire le débat sur l’obligation vaccinale des soignants contre la grippe ?

Je pense qu’il faut d’abord privilégier la pédagogie plutôt que d’opter pour la contrainte. Les professionnels de santé doivent davantage prendre conscience qu’en se vaccinant, ils se protègent eux-même et protègent aussi leurs patients. Dans ce contexte, il me semble que les ordres professionnels pourraient d’ailleurs avoir un rôle à jouer en matière d’information et de recommandations. On pourrait aussi imaginer que les employeurs proposent des actions de vaccination dans leur établissement comme cela se pratique dans nombre de collectivités locales et territoriales. En revanche, pour les soignants qui prennent en charge des personnes vulnérables, je pense notamment aux résidents des maisons de retraite et d’Ehpad, il pourrait être bénéfique de réfléchir à une obligation sur quelques années et d’évaluer ensuite l’efficacité de la mesure.

La vaccination contre la grippe ne pâtirait-elle pas d’une certaine méfiance des Français à l’égard de la vaccination en générale ?

Il est difficile de faire un rapprochement entre l’une et l’autre, d’autant que le vaccin contre la grippe est, contrairement à d’autres, très bien toléré. Par contre, je pense qu’on laisse trop le champ libre à ceux qui combattent la vaccination, d’autant que les réseaux sociaux et Internet facilitent la désinformation qui n’a d’autre fondement que la rumeur et la pure invention, voire s’appuie sur la théorie du complot. Tout ça est totalement irrationnel. D’ailleurs, une des recommandations de mon rapport(1) préconise de reprendre la main sur la communication pour que soit délivrée dans les médias et sur les réseaux sociaux une information rigoureuse basée sur des faits scientifiques. Sans doute, faut-il revoir aussi les messages de promotion de la vaccination contre la grippe, la campagne de l’Assurance maladie de cette année était particulièrement mauvaise. Cela dit, il est également nécessaire que les producteurs de vaccins jouent davantage la transparence sur la composition des vaccins.

Ne faudrait pas se pencher sur les freins à la vaccination pour déconstruire les idées fausses qui parfois s’y attachent ?

Il y assurément un travail à faire dans ce domaine. D’ailleurs, au cours des travaux que j’ai menés, j’ai noté que ce sont les familles les plus modestes qui vaccinent le plus leur enfant, souvent suivi en PMI. Plus on grimpe dans l’échelle sociale, moins cela est vrai. Et parfois, avec des stratégies de contournement qui laissent sans voix comme la production de faux certificats de vaccination ! Pour ce qui est de la grippe, il faut marteler que la vaccination protège. En France, elle a permis de préserver des millions de vie. J’ai l’impression que les gens ne prennent pas la mesure du danger de la grippe et on du mal à imaginer qu’on peut en mourir. Souvenons-nous pourtant, qu’en 2015, la grippe a tué plus de 18 000 personnes, majoritairement âgées mais aussi des jeunes et des enfants. Et les chiffres de la surmortalité ne sont pas bons cette année encore (voir encadré). Sans parler du coût économique et social que cette maladie engendre : arrêts maladie, hospitalisations, dépendance… Un bilan qui doit conduire les pouvoirs publics et les citoyens à s’interroger.

1- Rapport sur la politique vaccinale, janvier 2016 (bit.ly/1JHAuJI).

PR BRUNO LINA

DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE VIROLOGIE PATHOLOGIE HUMAINE, UNIVERSITÉ DE LYON, ET DIRECTEUR DU CENTRE NATIONAL DE RÉFÉRENCE DES VIRUS INFLUENZA, RÉGION SUD

→ 2000 à 2002 : membre du Comité de la lutte contre la grippe

→ 2008 : nommé par l’OMS pour gérer la préparation et la capacité de réaction face à la pandémie de la grippe.

SANDRINE HUREL

RAPPORTEUR EN 2016 DE LA MISSION PARLEMENTAIRE SUR LA POLITIQUE VACCINALE

→ 2004 à 2007 : sénatrice PS de la Seine-Maritime

→ 2007 à 2015 : députée PS de la Seine-Maritime

POINTS CLÉS

→ Rendu public en novembre 2016, le rapport de la concertation citoyenne, présidé par le Pr Alain Fischer, préconise notamment d’étendre l’obligation vaccinale à des maladies dont la protection n’était jusqu’alors que recommandée: coqueluche, virus de l’hépatite B, bactérie haemophilus influenzae, pneumocoque, méningocoque C et les virus de la rougeole, des oreillons et de la rubéole. Actuellement, seuls trois vaccins sont obligatoires : la diphtérie, la poliomyélite et le tétanos.

→ 11 400. C’est le chiffre de la surmortalité, toutes causes confondues, enregistré par Santé publique France entre mi-décembre et mi-janvier. Cette hausse concerne quasi-exclusivement les plus de 65 ans. Cependant, l’agence précise que la part due à la grippe ne peut être déterminée à ce stade. Durant cette période, 1 603 000 personnes auraient consulté pour des symptômes grippaux, selon le réseau Sentinelles-Inserm.