L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

CRITIQUE

RENDEZ-VOUS

L’espace pro

VINCENT KAUFFMAN  

→ À l’heure où, aux États-Unis, le président élu construit de nouvelles barrières, refoule des populations du seul fait de leur origine et où, sur le Vieux Continent, les populismes ne cessent de progresser, ce livre est une véritable respiration… Calais, Grande-Synthe, Dunkerque et bien d’autres villes en France et en Europe sont des lieux où depuis quinze ans se manifestent, pour le meilleur, et se confrontent, pour le pire, solidarité et répression, espoir d’un monde meilleur et bidonvilles boueux, action humanitaire et hypocrisie politique… Cet ouvrage, joliment structuré autour d’une maquette étonnante (tous les droits sont reversés à la plate-forme de service aux migrants, réseau d’association intervenant auprès des réfugiés du Nord de la France), mêle textes, poésies, dessins, musique, cartographies et photos, et donne la parole aux acteurs impliqués, dont ces fameux « migrants », nouvel objet des peurs supposées de la population française. Pourtant, cette crise n’est pas tant celle des migrants que celle de l’incapacité de l’Europe (hormis l’Allemagne) à répondre humainement à une situation d’urgence du fait de conflits où les populations civiles sont ciblées au mépris des règles de droit. Mais faut-il parler de migrants ou de réfugiés ? Car « si nous sommes en deuil après les attentats du 13 novembre, nous devons aussi partager le deuil de ces réfugiés qui fuient précisément la même violence qui s’abat sur leur pays et les a contraints à l’exil », expliquent les auteurs. Et ils sont près d’une cinquantaine : réfugiés, bénévoles, médecins, philosophes, représentants d’organisations humanitaires, personnalités politiques, écrivains, dessinateurs, photographes et journalistes… Une compilation qui réunit aussi une vingtaine d’artistes, dont le trompettiste Ibrahim Maalouf, l’auteure-compositrice Emily Loizeau, ou encore la chanteuse Susheela Raman. Décamper est une invitation bienvenue à faire un pas de côté et écouter, regarder et lire la violence du monde, ses inégalités et ses égoïsmes toujours aussi criants et au final, notre incroyable acharnement à construire partout des murs plutôt que des ponts.

Décamper, De Lampedusa à Calais, un livre de textes et d'images & un disque pour parler d’une terre sans accueil, Samuel Lequette et Delphine Le Vergos, éd. La Découverte, 24 €