L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

ASSOCIATIONS DE PATIENTS

DOSSIER

VÉRONIQUE HUNSINGER*   CAROLINE COQ-CHODORGE**  

En l’espace de quinze ans, les associations de patients ont fait leur nid à l’hôpital. Confortées par la loi Touraine et ayant su nouer de véritables alliances thérapeutiques avec les soignants, elles sont devenues incontournables.

Entre la loi Kouchner de mars 2002, qui signa la première reconnaissance de leur place à l’hôpital comme dans l’ensemble du système de santé, et la loi Touraine de janvier 2016, les associations de patients ont gagné une légitimité qui leur est désormais incontestable. Leur militantisme pour se faire une place aux côtés des soignants prend aujourd’hui de nouvelles formes, dont l’un des derniers avatars est l’émergence du « patient-expert ».

Historiquement, les plus anciennes associations de patients et les premières à avoir pris pied à l’hôpital sont les organisations de diabétiques. « Dans les années 80, époque où sont arrivés les premiers lecteurs de glucose, ce sont des diabétologues hospitaliers qui, pour des raisons d’innovation et d’organisation, ont créé des structures associatives de patients, rappelle Gérard Raymond, président de la Fédération française des diabétiques. Heureusement, celles-ci ont ensuite su prendre leur indépendance. Mais nous continuons à être très présents dans les hôpitaux, via notamment l’accompagnement des patients et surtout notre participation à l’éducation thérapeutique avec des patients-experts formés aujourd’hui comme le sont les soignants. » Un soutien aux malades qui passe également par des groupes de paroles, comme ceux mis en place par La Ligue contre le cancer dès les années 90. Le mouvement d’émancipation des associations de patients doit également beaucoup aux combats des malades du VIH : « C’est essentiellement au cours des deux dernières décennies du XXe siècle que les patients ont commencé à prendre véritablement la parole, à parler en leur nom propre, souligne le sociologie Jacques Ion. D’emblée, les deux revendications sont allées de pair : contester la toute puissance des médecins et affirmer la détention d’un savoir spécifique, né de l’expérience de la maladie. »

Du militantisme à la professionnalisation

Rien d’étonnant, trente ans plus tard, que les « universités des patients », apparues au tournant des années 2010, portent la formation à la fois des patients-experts et de la représentation des usagers. « Il y a un continuum entre nos trois diplômes, confirme le Pr Catherine Tourette-Turgis, fondatrice de l’Université des patients, créée au sein de l’université Pierre et Marie Curie à Paris. En 2009, grâce à la loi Bachelot, l’éducation thérapeutique a été la porte d’entrée pour former et diplômer des patients. J’ai mis en place une validation des acquis de l’expérience pour que les patients puissent avoir accès au diplôme universitaire en éducation thérapeutique. » À la dernière rentrée, deux nouveaux DU ont été créés, l’un sur l’accompagnement des malades du cancer, l’autre sur la démocratie en santé. Ce dernier répond « aux évaluations qui montraient que les formations existantes dans ce domaine étaient trop courtes, car certains patients voulaient aller plus loin et avaient besoin d’outils pour mener des combats coriaces », ajoute le Pr Tourette-Turgis. Ce DU, qui compte cette année 18 étudiants, se déroule sur 200 heures de cours. « Les associations forment déjà les patients à l’exercice de leur mandat, note Éric Salat, codirecteur de ce diplôme. Mais nous voulons leur permettre d’aller encore plus loin en faisant émerger une nouvelle génération de représentants des usagers capables de défendre l’accès aux soins pour tous, y compris les populations les plus vulnérables comme les détenus ou les migrants. »

Un retour aux sources du militantisme en quelque sorte mais aussi une professionnalisation nécessaire face à la multiplication des instances où les patients sont représentés. À l’hôpital d’abord. « À l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), il y a 170 représentants des usagers, relate Sophie Bentegeat, à la tête de sa direction “patients, usagers et associations”. Un représentant n’est pas là pour s’exprimer au nom de l’association dont il est issu, mais au nom de tous les usagers. Les représentants sont présents dans toutes les instances au niveau du siège, notamment à la commission centrale de concertation avec les usagers, mais aussi au conseil de surveillance de l’AP-HP. Dans les établissements, ils sont aussi présents dans tous les comités comme le Clin(1), le Clan(2), le Clud(3)… Partout, ils sont force de proposition et participent à de nombreux groupes de travail, comme sur les parcours de soins, la bientraitance ou la fin de vie. » Par leur collecte d’informations sur la qualité de vie des patients, les associations ont montré leur capacité de faire évoluer les prises en charge hospitalières en prenant davantage en considération des questions comme la douleur ou les effets secondaires.

Compétences nouvelles

Aujourd’hui, le représentant des usagers voit son rôle encore renforcé par la loi Touraine. En effet, les anciennes CRUQPC (commission de relation avec les usagers et de la qualité des soins) deviennent des CDU (commissions des usagers). En revanche, ses membres restent désignés par l’Agence régionale de santé (ARS) parmi des représentants d’associations agrées par le ministère. « Les CRUQPC avaient un rôle assez fonctionnel, centré surtout sur les réclamations et la mise en œuvre de médiations, note David Gruson, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF). La CDU aura un regard beaucoup plus large sur la politique de qualité de l’établissement et la gestion des risques. » Elle sera notamment informée des événements indésirables graves. « Les liens sont resserrés avec la commission médicale d’établissement, un projet “usagers” sera à l’avenir joint au projet d’établissement », se félicite Sylvain Fernandez-Curiel, chargé de mission du CISS. Enfin, la CDU sera directement impliquée dans la procédure de certification des établissements, procédure qui implique d’ores et déjà les associations de patients en amont au niveau de la Haute Autorité de santé (HAS). « Les représentants des patients ont été associés à la définition des objectifs pour la certification des établissements de santé, souligne Catherine Grenier, directrice de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins à la HAS. Nous les avons d’ailleurs interrogés récemment sur les dimensions qui sont les plus importantes à leurs yeux dans la qualité de la prise en charge. Ils insistent particulièrement sur deux choses : la qualité de l’information donnée par les professionnels et la prise en charge de la douleur. Et c’est notamment grâce à eux que l’on a beaucoup progressé sur ces sujets ces dernières années. »

Les représentants des patients sont également membres à part entière de la commission d’évaluation des dossiers de certification. À cet égard, la HAS a largement participé à la légitimation des associations de patients. « Nous les faisons contribuer à toutes les commissions, indique Alexandre Biosse-Dupla, responsable de la mission relations avec les associations de patients et d’usagers à la HAS. Ils sont complètement assimilés aux autres experts, c’est-à-dire soumis à déclaration d’intérêts et rémunérés comme les autres. En effet, nous considérons que c’est le minimum pour instaurer un dialogue et les associations sont arrivées à un niveau de maturité évident. » Un signe très fort, car partout ailleurs, le représentant d’association de patient est encore un bénévole et… de fait souvent un retraité.

Pour autant, plus personne n’ignore aujourd’hui la place des associations des patients. Pour l’industrie pharmaceutique, « les patients sont devenus des experts de leur santé, souligne Philippe Lamoureux, directeur général des Entreprises du médicament (LEEM). Une expertise indispensable dans l’amélioration de la qualité des soins et le développement de la recherche clinique ». Depuis novembre, la HAS a d’ailleurs lancé une expérimentation pour prendre en compte systématiquement le point de vue des patients dans l’évaluation des médicaments et des dispositifs médicaux. Dernier lieu de concertation ouvert en 2015 afin « d’amplifier la voix des patients » : l’Institut pour la démocratie en santé lancé par la FHF et le CISS. « L’un des premiers groupes de travail planche sur les nouvelles formes de partage de compétences entre professions médicales et paramédicales », explique David Gruson. L’occasion pour les associations de patients d’appréhender au plus près le cœur du métier de l’infirmière.

1- Comité de lutte contre les infections nosocomiales.

2- Comité de liaison en alimentation et nutrition.

3- Comité local de lutte contre la douleur.

FORMATION INITIALE

Des patients-enseignants

C’est un mouvement diffus, encore mal cerné, mais puissant : les patients entrent dans la formation initiale des professionnels de santé. Pionnière, la faculté de médecine de Paris 13, à Bobigny (93) a recours « depuis janvier 2016 à une vingtaine de patients-enseignants, formés, rémunérés en tant que vacataires. Ils dispensent 300 heures d’enseignement auprès de tous les internes de la faculté, raconte Olivia Gross, patiente-experte devenue docteure en santé et chercheur au Laboratoire éducation et pratiques en santé (LEPS). Leur compétences sont larges : elles vont du biomédical à l’accompagnement des patients ou à la défense des droits. Ils essaient de faire comprendre aux futurs médecins ce que les patients attendent d’eux, par exemple qu’ils sachent reconnaître l’incertitude d’un diagnostic ».

La présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), Martine Somelette, trouve « l’idée extrêmement intéressante. Mais pour l’instant, en Ifsi, les patients interviennent surtout pour témoigner sur leur maladie ».

BUDGET

Qui finance les associations de patients ?

Le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) dispose d’un budget annuel de 3 millions d’euros, financé à 87 % de fonds publics. Suite à la loi Touraine qui va le transformer en une « union nationale des associations agrées d’usagers du système de santé », la participation publique va croître. « Nous allons bénéficier d’un fonds pour la démocratie en santé, abondé de 0,7 % de la taxe sur le tabac, soit environ 7 M€, explique Sylvain Fernandez-Curiel, chargé de mission au CISS. Ainsi, notre rôle d’animation et de formation des réseaux de représentants sera renforcé et nous gagnons en indépendance vis-à-vis des financements privés… mais en dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. » Pour mémoire, en 2013, les industriels de santé avaient déclaré avoir versé 5,5 M€ aux différentes associations. « Les relations entre les associations de patients et les industriels sont très claires et encadrées, rappelle Philippe Lamoureux, directeur général des Entreprises du médicament (LEEM). Tous les dons doivent être déclarés sur la base publique de transparence des liens de manière extrêmement précise. » Enfin, si la part des cotisations des adhérents reste limitée, certaines associations vivent aussi largement grâce aux dons et legs du public, en particulier quand elles soutiennent la recherche. À l’image de la Ligue contre le cancer qui affiche un budget annuel de 109 M€ dont 93 % viennent de la générosité du public.

www.transparence.sante.gouv.fr