L'infirmière Magazine n° 380 du 01/03/2017

 

PÉDIATRIE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

LAËTITIA DI STEFANO  

Au CHU de Bordeaux, trois infirmières puéricultrices sont dédiées au transport des plus jeunes patients, aussi bien dans le dédale de l’hôpital que vers d’autres établissements. Sans médecin à leurs côtés, elles veillent avant tout à la sécurité des petits.

Transport semi-urgent cet après-midi, départ à 13 heures. J’ai été prévenue ce matin : on va chercher une petite fille qui doit se faire opérer d’une pathologie cardiaque à la polyclinique Bordeaux nord Aquitaine pour l’amener ici », indique Cathy Watrin, infirmière puéricultrice de transport au CHU de Bordeaux (Gironde) depuis 2007, date de création du poste. Cet emploi du temps qui s’écrit au jour le jour, c’est le quotidien de l’équipe de transfert infirmier interhospitalier (TIIH) pédiatrique, rattachée au service de soins intensifs en néonatologie, dit aussi 4e B. Cathy Watrin est dans les starting-blocks ce jeudi midi. « Ce matin, un enfant est arrivé de Périgueux à 10 heures pour un fond d’œil prévu à midi. Même s’il est arrivé en avance, je n’allais pas le faire attendre… Dès la fin de l’examen, un médecin de la réa pédiatrique m’a alpaguée pour me demander si je pouvais assurer un transport aujourd’hui… » Mais semi-urgence oblige, Cathy Watrin n’inscrit ce nouveau trajet vers Agen que pour le lendemain.

Avant de partir pour la polyclinique, elle rejoint sa collègue, Mélanie Mercade, pour réaliser un autre fond d’œil sur un bébé de quelques jours, né à 27 semaines d’aménorrhée. « C’est bien Lisa (1), c’est presque fini », chuchote Mélanie Mercade au nourrisson, visiblement éprouvé, avant d’expliquer : « C’est impressionnant, gênant mais ce n’est nullement douloureux. » Avec ses deux consœurs, elles sont les rares paramédicales à réaliser en France cet examen (voir encadré p. 28), et forment en ce moment Sandrine Charron, puéricultrice au CHU de Cayenne (Guyane), qui vient de se doter d’une caméra rétinienne.

Trois drôles de dames

Elles sont trois infirmières à couvrir les besoins en transport pédiatrique du CHU de Bordeaux, des transferts qui les occupent à 80 % de leur temps de travail. Seul prérequis pour ce poste : au moins un an d’expérience en réanimation néonatale ou aux urgences pédiatriques. « On doit savoir gérer les urgences, car dans l’ambulance, il n’y a pas de médecin », rappelle Cathy Watrin, qui salue sa cadre entre deux portes avant d’aller chercher des tissus chauds pour l’incubateur, et de se rendre à la cafétéria acheter un sandwich qu’elle ne mangera pas, faute de temps : « Ça arrive souvent… » Direction le sous-sol, pour récupérer l’incubateur : « Sur les semi-urgences, on a peu de temps pour remplir tous les papiers nécessaires au transport », précise Cathy Watrin, tout en remplissant soigneusement des documents dans un coin de la salle où l’incubateur est stocké en attente d’un transport. Cet imposant engin roulant pèse la bagatelle de 150 kilos. « C’est très lourd. Au début, le conduire n’est pas simple, on ne voit pas ce qui se passe devant… », se souvient Isabelle Roussel, la troisième puéricultrice qui a rejoint sa collègue et l’aide à préparer le nécessaire de transport, un sac qu’elles reconditionnent à chaque départ. De plus, il y a toujours à leurs côtés soit un brancardier ou une personne du service de départ dans les transports internes, soit un ambulancier dans les transports externes quand elles transportent un bébé dans l’incubateur, pour les cas d’urgence. Car l’urgence, c’est le cœur de leur métier, même si un « bon conditionnement, c’est un transport assuré derrière », affirme Isabelle Roussel, tout en interrogeant Cathy Watrin : « Tu as le matelas coquille ? » Valérie et Christian Galland, un couple d’ambulanciers qui travaille avec l’hôpital depuis deux ans, arrivent dans la foulée et sont briefés par Cathy Watrin. C’est elle qui leur a délivré leur agrément, une autre des prérogatives de ces infirmières de la route. « Les véhicules doivent être compatibles avec notre incubateur. Nous vérifions cela, entre autres, quand nous choisissons nos prestataires », précise la puéricultrice. Cathy Watrin a passé une dizaine d’années en réanimation aux urgences générales puis pédiatriques avant de choisir le transport. Et apprécie l’aspect transversal du poste « riche en échange avec tous les services, du Samu à la néonat, pas cantonné à une spécialité, pas routinier mais à responsabilité. Et un poste physique ! On sait qu’on ne fera pas cela jusqu’à la retraite ».

Pour le nourrisson, le changement d’environnement, une première confrontation à l’extérieur, au bruit, aux secousses du véhicule sont autant de sources de stress. « J’adapte ma vitesse. Pour la plupart des patients, il s’agit de leur premier voyage. Et puis, au moindre excès, le scope s’affole », explique Christian Galland. « C’est pourquoi nous limitons au maximum les nuisances visuelles – en couvrant l’incubateur d’un tissu –, sonores ou olfactives », souligne Cathy Watrin. En effet, la majorité des transports concernent des nouveau-nés.

Bayonne, Toulouse, Paris…

En 2015, le CHU de Bordeaux a recensé 170 contretransferts néonataux (quand des enfants transférés à la naissance depuis un autre hôpital sont retransférés ensuite vers leur hôpital d’origine ou un autre), 13 pédiatriques, 218 transports internes (majoritairement néonataux), 35 semi-urgents et 1 Smur. Les puéricultrices travaillent par roulement, du lundi au vendredi entre 9 h et 18 h. « Mais nous devons être disponibles, insiste Cathy Watrin. Hier, par exemple, je suis arrivée à 7 heures pour emmener un bébé au bloc avant de partir pour Bayonne à 9 heures. » La plupart des transports sont régionaux, mais il leur arrive d’aller à Toulouse, voire à Paris. Le week-end, c’est le service mobile d’urgence et de réanimation (Smur) qui prend le relais.

Durant l’aller, à vide, le téléphone de Cathy Watrin ne cesse de sonner. D’abord le point avec la régulation, assurée par une sage-femme de la cellule d’orientation des transferts périnataux d’Aquitaine (Cotpa) pour savoir précisément dans quel service aller chercher l’enfant. Puis un appel du chef de service médecine pédiatrique du CHU de Bordeaux qui lui demande un transport pour la semaine suivante : un jeune de quinze ans, atteint d’une pathologie chronique, qui doit rentrer chez lui. « On ne s’ennuie jamais ! », confie sa collègue Isabelle Roussel, en poste depuis 2013.

Constantes vitales

Arrivés à destination, premier hic : la barrière de la langue. Les parents, d’origine turque, n’ont pas compris que leur fille voyagerait seule et veulent l’accompagner. « Il arrive que l’on prenne l’un des deux. Mais aujourd’hui, ce n’est pas prévu ainsi », précise Cathy Watrin. Le père est en colère, il faut gérer la situation. Manuela* doit être amenée pour être opérée. L’infirmière réexplique la situation aux parents… et l’ambulance repart. Manuela arrivera tranquillement au CHU, ses parents suivront dans un autre véhicule. « Elle était stable, elle a dormi pendant tout le trajet », se réjouit Cathy Watrin. Les enfants peuvent faire de petits malaises, qui se règlent souvent spontanément. « Il est rare que l’on aille jusqu’à ventiler. Notre rôle est justement d’éviter cela en vérifiant toutes les constantes avant de partir, et en refusant un transport au médecin s’il le faut ! », insiste Isabelle Roussel. L’équipe du TIIH pédiatrique a d’ailleurs un rôle clé au sein de l’hôpital, comme le souligne leur chef de service, le Dr Jean Sarlangue : « J’ai créé ce service suite à des fermetures de lits. Il fallait que le flux s’accélère. Le CHU fait ce qu’il doit faire et les enfants repartent vers un établissement proche de chez eux. C’est mieux pour tout le monde. Aujourd’hui, on ne peut plus se passer de ces postes. Sans elles, l’hôpital déborderait. »

11 km par jour

Le lendemain, une fois Cathy Watrin partie pour Agen, Isabelle va chercher la petite Fleur* en réanimation néonatale. La maman, qui vit seule, n’est pas là. « Cela peut arriver. Mais le plus souvent, on essaie de rencontrer les parents, pour leur expliquer et les rassurer. Ils sont souvent assez stressés, avec une naissance prématurée », souligne la puéricultrice. Tandis qu’elle fait le point avec sa collègue, le néonatologue de garde la hèle : « On t’enverra aussi son petit voisin ! » Soit. Ici, on connaît bien le trio du 4e B. « Elles viennent souvent », assure Élodie Goyec, auxiliaire puéricultrice. Tout en faisant le point sur sa patiente, Isabelle vérifie les voies ariennes, la fréquence respiratoire, thoracique et la saturation. « On doit être très au clair avec ses compétences, et pouvoir dire non au médecin prescripteur si l’on considère que l’enfant n’est pas transportable. Si on a le moindre doute, on ne part pas », affirme Isabelle Roussel.

Pour Fleur, tout va bien. La traversée de l’hôpital s’amorce. « Il faut une heure environ pour ce transfert assez fréquent. On marche beaucoup : 11 km par jour environ selon mon podomètre ! » À elles trois, elles ont parcouru 30 053 km en 2016.

Assurer pour rassurer

« Bonjour le 4e B, voici la princesse Fleur ! », claironne Isabelle Roussel. Ses collègues ont préparé la place, et la puéricultrice a à peine le temps de nettoyer l’incubateur avant de repartir chercher Maxence*, « le petit voisin » de Fleur en réanimation néonatale. À son arrivée, il est peau contre peau avec Christophe, son papa. Pendant qu’ils se séparent, Isabelle Roussel explique le transport à Soizic, la maman. « Quand on rentrera à Agen, ce sera le même principe ? », s’enquiert cette dernière, aussitôt rassurée par la puéricultrice. « Nous associons au maximum les parents à la préparation avant le départ. Ils amènent le bébé jusqu’à l’incubateur par exemple », précise Cathy Watrin. Tout est mis en œuvre pour diminuer le stress des parents et par ricochet celui du bébé lors d’un transport. L’incubateur retourne au 4e B, poussé par Isabelle Roussel, suivie de près par les parents. Une fois tout ce petit monde à bon port, le portable sonne. C’est Cathy Watrin qui rentre d’Agen, tout s’est bien passé. Sa collègue vient l’accueillir au sortir de l’ambulance. Très soudées, les deux infirmières sont par ailleurs formatrices aux gestes d’urgences : pédiatriques pour Isabelle Roussel à l’European Resuscitation Council (ERC), adultes et enfants pour Cathy Watrin au centre d’enseignement des soins d’urgence (Cesu) du CHU. Une casquette de plus… « Et pendant les rares périodes calmes, on fait le travail administratif. Et nous avons une liste de projets à lancer ! ». Une chose est sûre, le transport n’est pas une voie de garage.

* Les prénoms ont été modifiés.

PROTOCOLE DE COOPÉRATION

La rétinopathie à la loupe

Les puéricultrices de transport sont également chargées, depuis mars 2007, de réaliser les fonds d’œil au CHU de Bordeaux. Elles interviennent aussi bien en néonatologie qu’en réanimation néonatale, principalement pour les recherches de rétinopathie sur les prématurés, que dans d’autres services de l’hôpital, notamment en cas de suspicion de maltraitance d’un enfant. « Un poste méconnu, non valorisé par l’institution malgré ses dangers, en lien avec la responsabilité qui leur est confiée lors de la réalisation de ce geste médical », assure leur cadre, Anne Dumas-Laussinotte. Un protocole de coopération entre professionnels de santé issu de la loi HPST de 2009 est en cours de relecture à l’HAS.