« DES DÉBATS TRÈS TRANCHÉS » - L'Infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017

 

PRÉSIDENTIELLES

ACTUALITÉS

À LA UNE

SANDRA MIGNOT  

L’élection présidentielle se rapproche à grands pas. Mais de rebondissements judiciaires en brouillage des discours, pas facile de s’y retrouver entre les principaux candidats. Décryptage avec Frédéric Pierru(1), sociologue expert des politiques de santé.

Un programme santé peut-il faire basculer l’élection vers un candidat ou un autre ?

Les Français sont très attentifs aux questions de santé. La question des déserts médicaux, des déremboursements, ce sont des enjeux qui ont un degré de réalité très élevé pour les électeurs. Donc cela entre dans les choix électoraux, mais à quel point ? Je pense quand même que François Fillon a fait machine arrière par rapport à sa proposition de concentrer la Sécurité sociale sur le « gros risque », car une partie de son électorat, notamment âgé, s’inquiétait énormément de sa volonté de faire reculer la Sécu. Donc je ne sais pas si ça peut provoquer une adhésion ou un vote, mais cela peut faire perdre des voix.

Observe-t-on une orientation programmatique des candidats en fonction de tel ou tel électorat qu’ils chercheraient à séduire ?

Cette vision marketing ne vaut pas partout dans le champs politique. Celui qui est le plus dans cette optique et qui calibre son discours pour toucher telle ou telle cible électorale, c’est vraiment Emmanuel Macron. Et il revendique d’ailleurs cette logique entrepreneuriale. Le FN est exclu du pouvoir au niveau national depuis toujours et il est également prêt à toutes les contorsions programmatiques pour y arriver, même si au bout du compte les propositions sont incohérentes. Il me semble que cela joue moins pour les autres candidats. D’ailleurs, si François Fillon avait été au clair sur les attentes de son électorat, il n’aurait jamais avancé cette position sur la Sécu et les complémentaires. Benoît Hamon, lui, est plus dans une logique de se démarquer de l’aile droite du PS, plutôt que dans une logique de ciblage de l’électorat. Je ne parle même pas de Jean-Luc Mélenchon qui n’a absolument aucune réflexion sur ce qui va parler aux gens. Il défend ce qu’il croit. Donc ça dépend de la conception de la campagne électorale, selon partis et mouvements.

Existe-t-il encore des mesures de droite ou de gauche ?

Ce qui sépare vraiment la gauche de la droite, c’est que la gauche va toujours défendre l’accès au soin, là ou la droite va plutôt mettre l’accent sur les économies budgétaires. Donc sauvegarder la Sécu et défendre l’hôpital public, ce sont des marqueurs de gauche. Bien que Benoît Hamon ne se soit pas prononcé sur le sujet. C’est une analyse très schématique que je fais là. Et il est difficile de l’appliquer à Emmanuel Macron qui propose un Ondam(2) à 2,3 % et en même temps 15 milliards d’économies. Ce qui est difficile à comprendre. Je suis aussi assez surpris qu’il finisse par reculer sur la T2A. Mais cette année, je trouve qu’il y a quand même des débats très tranchés. Sur la Sécurite sociale : universelle ou recentrée sur le gros risque ? C’est clivant. Les mutuelles, on les supprime ? C’est la première fois que l’idée que rien ne justifie l’existence d’un double payeur pour un même soin apparaît. Sur les déserts médicaux, faut-il être incitatif ou contraignant ? Benoît Hamon propose de ne pas conventionner les médecins qui s’installent dans des zones sur-dotées. Lui, comme François Fillon, parle au cœur de son électorat, de manière très tranchée.

Voyez-vous émerger de nouvelles idées ou propositions ?

L’impact de l’environnement sur la santé et les moyens d’y remédier, c’est nouveau. Cela tient à la préoccupation écologique montante. C’est intéressant, car le fait que la santé soit liée à la question environnementale, cela démédicalise le débat. C’est-à-dire que ça pose moins des questions d’expertise médicale que des questions de cadre de vie, d’environnement, de culture, des enjeux politiques lourds, quelle agriculture on veut, quel accès au logement, etc. C’est peut-être aussi pourquoi la santé se politise de plus en plus.

Y a-t-il des programmes qui vous semblent plus cohérents, sans en désigner de meilleurs que d’autres ?

Celui de François Fillon est cohérent. Il veut rentrer dans les clous européens, réduire la dette et les déficits publics. À partir de là, il déroule son programme même en étant imprécis sur les réductions de postes parmi les fonctionnaires. Emmanuel Macron, je ne comprends pas comment il augmente l’Ondam, fait 5 milliards d’investissement dans les technologies médicales et en même temps économise 4 milliards d’euros. Benoît Hamon aussi est un peu flou, jusqu’ici, sur la Sécu, les complémentaires, l’hôpital public, cela gagnera à être précisé.

La proposition la plus démagogue ?

Je dirais la suppression de l’AME(3)… alors que même que l’Igas(4) et l’IGF(5) ont rendu un rapport défendant le dispositif. Les étrangers en situation irrégulière ne vont pas arrêter de tomber malades. Le programme du FN est incohérent, en raison de cette triangulation. Ils veulent gagner une clientèle de droite et de gauche désespérée. En voulant rassembler deux clientèles électorales avec des demandes opposées, ça ne peut pas donner un programme cohérent. Et n’en doutons pas, à la fin, ce sera le programme de droite qui va l’emporter. Le programme de gauche est uniquement à usage électoral.

1- Frédéric Pierru est également porte-parole de Jean-Luc Mélenchon pour la santé.

2- Objectif national des dépenses d’assurance maladie.

3- Aide médicale de l’État.

4- Inspection générale des affaires sociales.

5- Inspection générale des finances.