DES PATIENTS MIEUX PROTÉGÉS ? - L'Infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017

 

SOINS SANS CONSENTEMENT

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Véronique Hunsinger  

Les soins sans consentement ont fait l’objet d’une vaste réforme à travers les lois de juillet 2011 et septembre 2013. L’heure des premiers bilans a sonné.

Alain Monnier

« Le dialogue entre les magistrats et les soignantsprogresse »

L’intervention d’un magistrat pour vérifier la légalité de la décision de soins sans consentement vous semble-t-elle une évolution positive ?

Oui, nous étions l’un des derniers pays où l’on pouvait priver quelqu’un de sa liberté sans qu’un juge puisse se prononcer. L’audience est parfois un moment difficile pour le patient, même si les soignants le préparent. Les juges expliquent également qu’ils sont là uniquement pour vérifier que l’internement n’est pas abusif et non pour « juger » le malade. Depuis 2013, les audiences ont lieu dans l’établissement et non au tribunal, c’est une bonne chose.

Les soins sans consentement sont-ils souvent suspendus ?

Dans 8 % des cas, les juges prononcent en effet une mainlevée de l’hospitalisation, parfois simplement pour des questions de forme, ce qui n’est pas très protecteur pour le patient au final. Mais les établissements font en sorte que celui-ci ne quitte pas l’hôpital sans autre prise en charge. Il y a aussi des cas où les juges estiment que la privation de liberté n’est pas proportionnée aux faits qui ont conduit à la demande de soins sans consentement. Le dialogue entre les magistrats et les soignants n’est pas toujours simple, car ce sont deux cultures très différentes, mais il progresse.

La loi a également introduit la possibilité de « programmes de soins », autrement dit, de soins sans consentement en ambulatoire. En êtes-vous satisfait ?

C’est une évolution demandée par l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), notamment pour que le patient ne soit plus livré à lui-même après une hospitalisation. Les patients en programme de soins ont une ordonnance à suivre et se rendent régulièrement au centre médico-psychologique (CMP) pour un entretien avec un psychiatre ou une infirmière. Ils peuvent aussi bénéficier d’activités dans des centres d’accueil thérapeutiques. Mais pour l’instant, on n’a pas encore suffisamment de recul pour pouvoir évaluer ces programmes de soins.

Qu’attendez-vous des IDE ?

Les infirmières jouent évidemment un très grand rôle, car elles sont en contact constant avec les patients. Pour ceux pris en charge en ambulatoire, nous voudrions que les IDE puissent se déplacer au domicile du patient afin de comprendre le contexte de vie du malade.

À quoi servent les commissions départementales de soins psychiatriques (CDSP) que des députés proposent de redynamiser ?

Elles sont composées d’un magistrat, de deux psychiatres, d’un généraliste, d’un représentant des familles et d’un représentant des malades. Elles examinent notamment les dossiers des personnes admises en soins sans consentement pour « péril imminent ». Et pour les personnes socialement isolées, notamment sans abri, la CDSP joue alors un rôle de tiers protecteur collectif. Cette modalité d’admission est justement en augmentation. Les CDSP visitent aussi tous les ans les hôpitaux psychiatriques, afin de s’assurer que les droits et la dignité des patients sont respectés.

MATHIEU BERQUAND-MERLE

« Le nombre de patients augmente, mais nos moyens diminuent »

Une hausse des soins sans consentement de 15 % entre 2012 et 2015 a été constatée au niveau national. L’avez-vous également observée ?

Oui, dans notre service au CH du Vinatier, les trois quarts des patients sont en soins sans consentement, en tout cas au moment de leur arrivée. Et alors que le nombre de patients augmente, nos moyens diminuent. L’autre problème est que la loi a conduit à une multiplication de certificats, une tâche qui prend beaucoup de temps aux psychiatres qui, du coup, sont moins présents auprès des patients.

Comment avez-vous perçu l’intervention d’un magistrat dans la procédure ?

Au début, on l’a vu d’un mauvais œil, car tous les patients ne peuvent pas être auditionnés, notamment quand ils sont dans un état délirant de persécution. Parfois, nous devons d’ailleurs faire des demandes de report d’audience. Nous devons également bien expliquer la procédure au patient pour qu’il n’assimile pas l’hospitalisation à une peine. Mais de plus en plus souvent, les audiences ont lieu par vidéoconférence. Je pense toutefois que c’est mieux quand le juge se déplace.

Que se passe-t-il si le juge suspend les soins sans consentement ?

Notre travail est de convaincre le patient de rester hospitalisé. Quand nous pensons qu’il est en danger, nous refaisons dans la foulée une nouvelle demande de soins sans consentement. Mais il y a de moins en moins de mainlevées, car les demandes sont sans doute mieux formulées qu’auparavant.

Que pensez-vous de l’introduction des programmes de soins ambulatoires ?

Je n’ai pas encore de réponse arrêtée sur ce sujet. Pour autant, je trouve qu’il faudrait plus de souplesse dans ces programmes. Aujourd’hui, si un patient, par exemple, ne se rend pas à son rendez-vous mensuel pour recevoir un traitement par injection, nous avons l’obligation légale d’aller le chercher et éventuellement d’être accompagné des forces de l’ordre. Dans la pratique, on appelle d’abord le patient et on prend le temps d’essayer de comprendre ce qui passe.

Selon vous, faut-il développer les dispositifs d’intervention mobile ?

C’est une bonne chose qu’il y ait des équipes mobiles. Mais le problème est qu’elles viennent parfois se substituer aux équipes psychiatriques de secteur des CMP et des hôpitaux de jour qui n’ont plus les moyens de faire ce travail. Or, dans une situation d’urgence, c’est plus intéressant que ce soit une équipe qui connaît le patient qui intervienne. Quand le malade reconnaît l’IDE, cela peut commencer à apaiser les choses très rapidement.

Constatez-vous une banalisation des procédures pour péril imminent ?

Il est exact qu’elles sont sans doute utilisées de plus en plus souvent, notamment quand un patient arrive par les urgences de l’hôpital et qu’on ne trouve pas tout de suite la famille. Mais dans la plupart des cas, on essaie ensuite de repasser dans le dispositif de soins sans consentement à la demande d’un tiers pour pouvoir travailler avec les proches.

ALAIN MONNIER

RÉFÉRENT NATIONAL DES COMMISSIONS DÉPARTEMENTALES DE SOINS PSYCHIATRIQUES POUR L’UNAFAM (UNION NATIONALE DES FAMILLES ET AMIS DE PERSONNES MALADES ET/OU HANDICAPÉES PSYCHIQUES)

→ Depuis 2006 : membre de l’Unafam

→ Ancien directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED) en retraite

MATHIEU BERQUAND-MERLE

INFIRMIER PSYCHIATRIQUE, CENTRE HOSPITALIER DU VINATIER, LYON

→ Depuis 2006 : infirmier psychiatrique au centre hospitalier du Vinatier à Bron, dans la métropole de Lyon

→ Militant et délégué du personnel CGT

POINTS CLÉS

→ Rendu public en février 2017, le rapport parlementaire d’évaluation de la loi de 2013 sur les soins psychiatriques sans consentement a été réalisé par Denis Jacquat, député LR de Moselle, et Denys Robiliard, député PS du Loir-et-Cher. Alors que les soins sans consentement ont augmenté de 15 % entre 2012 et 2015, ces derniers s’inquiètent d’une certaine banalisation du recours aux procédures d’urgence. Ils proposent ainsi de s’appuyer davantage sur les commissions départementales de soins psychiatriques.

→ Une étude, publiée par l’Irdes (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé) dans la revue Questions d’économie de la santé, en février, fait le bilan après quatre années de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011. Elle met notamment en lumière le développement des programmes de soins qui étendent les soins sans consentement en dehors des murs de l’hôpital. Et souligne la grande hétérogénéité territoriale du recours aux soins pour péril imminent selon les territoires et les établissements.