En France, 700 femmes choisissent d’accoucher sous le secret chaque année. Pris dans un débat opposant les droits et besoins des enfants à ceux des mères, les soignants ont une partition difficile à jouer.
Être né sous X, c’est être né de personne ! » Administrativement, Graciane a raison. L’association Les X en colère a trouvé en elle une présidente qui incarne son objet et ses revendications. On sent d’emblée chez elle toute la révolte de ceux qui se construisent sans savoir qui les a mis au monde. En France, environ 700 bébés naissent « sous X » chaque année. Un chiffre en légère hausse depuis 2005, où moins de 600 enfants étaient concernés, mais comparable aux années 1950. Entre temps, si dans les années 1970, 2 000 femmes font ce choix, elles ne sont plus qu’un millier au milieu des années 90.
Si les associations d’enfants nés sous X qui militent contre cette disposition parlent souvent d’une loi pétainiste, la réalité est plus complexe. Le premier cadre administratif est adopté le 28 juin 1793, assurant d’une part la confidentialité pour les mères qui souhaitent abandonner leur enfant, et, d’autre part, la prise en charge des frais liés à leur accouchement. L’État devient alors le tuteur de l’enfant. En 1812, les mères obtiennent le droit de ne pas être désignées sur l’acte de naissance, et dès 1844, les médecins et les sages-femmes ont l’interdiction de dévoiler le nom des mères qui souhaitent garder le secret. En 1941, l’accouchement gratuit et anonyme entre dans le code de l’aide sociale et de la famille, puis dans le code civil en 1993 : « Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. »
Ces textes qui consacrent une exception française
Face à cette fronde, les défenseurs de l’accouchement sous X tiennent bon. « L’accouchement sous le secret garantit aux femmes qui ont dépassé le délai légal pour une interruption volontaire de grossesse (IVG), le suivi de leur grossesse et leur accouchement dans les meilleures conditions, tout en restant anonymes. C’est leur seule porte de sortie », explique Danielle Gaudry, déléguée du Planning familial au Comité national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop), créé en 2002. Ses correspondants départementaux sont chargés de recueillir des informations auprès des mères qui accouchent sous le secret, et de lever ce secret, avec leur accord, si l’enfant majeur le demande. Une façon de répondre aux nombreuses personnes qui se lancent dans la longue et difficile quête de leurs origines. Les informations disponibles sont rares, et encore plus rarement dévoilées, pour respecter l’anonymat de la mère.
De leur côté, certaines familles se mettent aussi en recherche de l’enfant abandonné. Et de plus en plus souvent, les enfants nés sous X, comme les parents de naissance, se tournent vers les réseaux sociaux pour médiatiser leur demande d’informations et contourner l’administration, qu’ils jugent insensible et de mauvaise foi. « La loi de 2002 impose un certain nombre de choses : les mères reçoivent la visite d’un correspondant du Cnaop qui recueille un ensemble de renseignements sur la santé des parents de naissance, les circonstances de la naissance et de l’abandon, l’identité de la mère. Elles choisissent de laisser ces informations accessibles directement à l’enfant ou dans un pli fermé. Mais la possibilité de ne rien livrer est fondamentale », insiste Danielle Gaudry.
Pour l’instant, il n’est pas prévu de rouvrir le débat législatif. Le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes préfère insister sur le rôle déterminant que jouent les équipes soignantes. Le Cnaop a d’ailleurs élaboré en 2016 un protocole d’accompagnement
Ces recommandations font écho aux pratiques qui semblent avoir déjà cours dans la majorité des maternités. « Les modalités de séjour des mères se décident en concertation avec elles, relate Tahira Tajani, puéricultrice au centre médico-chirurgical obstétrique de Schiltigheim (67). Si elles souhaitent voir leur enfant, on leur propose de s’isoler dans une petite pièce à côté de la pouponnière. » C’est aussi aux équipes de la maternité qu’incombe la responsabilité de s’occuper des nouveau-nés. « Le bébé qui se retrouve séparé de sa mère se met souvent en veille, comme s’il voulait se faire oublier. On a d’autant plus envie de le chouchouter », ajoute Tahira Tajani. « Notre prise en charge se base sur les travaux de Dolto et de Brazelton
Comme mentionné dans le guide du Cnaop, certaines maternités proposent d’élaborer un journal de vie où les soignants racontent les premiers jours de l’enfant, avec parfois des photos (voir p. 25). Malgré tout, être confronté à une naissance sous le secret peut être compliqué. « C’est toujours difficile de savoir qu’une maman est dans une telle détresse qu’elle ne peut pas s’occuper de son enfant, et que celui-ci grandira sans elle. C’est un accompagnement très différent de ce qu’on fait habituellement », raconte Tahira Tajani. Pour éviter de tomber dans le jugement ou la tristesse, l’une des clés est de voir ce choix comme un acte courageux. « Pour moi, ce n’est pas un abandon, c’est un geste d’amour de la part d’une mère qui décide d’offrir à son enfant une chance de grandir dans de bonnes conditions. »
1- Article 326 du code civil, issu de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993.
2. Si la France a ratifié la Convention internationale des droits de l'enfant, proclamant « le droit de connaître ses parents », l'accouchement sous X et le secret de la filiation sont une spécificité française en Europe.
4. Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste, et Thomas Berry Brazelton, pédiatre, ont mené des recherches sur le développement psychomoteur des bébés et des enfants.
Qui sont les femmes qui accouchent « sous X » ?
De juillet 2007 à juin 2009, l’Institut national d’études démographiques (Ined) a recueilli des informations auprès de 739 femmes.
→ Les mères accouchant sous le secret ont en moyenne 4 ans de moins que l’ensemble des accouchées (26 ans contre 30 ans), avec une proportion de mineures plus importante (11 % contre 0,5 %).
→ Pour 49 % d’entre elles, il s’agit d’un premier bébé.
→ 8 femmes sur 10 ne vivent pas en couple, et 3 sur 4 ne sont pas autonomes financièrement.
→ 16 % ont plus de 35 ans et près d’un quart ont un emploi relativement stable.
→ Parmi les raisons mentionnées pour expliquer leur choix : difficultés - liées tant à l’absence ou au comportement - avec le père biologique (43 %), problèmes financiers, âge, crainte du rejet familial et traumatismes récents ou anciens.
→ 14 % d’entre elles ont repris l’enfant dans les 2 mois.
→ 23 % ont laissé leur identité directement accessible à l’enfant.
→ 46 % ont fait le choix de ne laisser aucun élément identifiant, même sous pli fermé.
→ « Rencontres à la maternité avec des mères qui accouchent sous X et accompagnement du bébé de la naissance à l'adoption », Guylaine Coudert, Noëlla Baron, in Spirale 2002/1.
→ De cœur et de sang, Maria Pia Briffaut, éd. Amalthée, 2016.
→ « Les femmes qui accouchent sous le secret en France, 2007-2009 », Catherine Villeneuve-Gokalp, in Population (Ined), 2011/1.
→ Geste d'amour : l'accouchement sous X, Catherine Bonnet, Éd. Odile Jacob, 2001 (nouvelle éd.).
→ Naître sans mère, accouchement sous X et filiation, Cécile Emsellem, Presses universitaires de Rennes, 2004.