Médecine du travail : en avant les IDE ! - L'Infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 381 du 01/04/2017

 

CARRIÈRE

GUIDE

MAGALI CLAUSENER  

Dans le cadre de la modernisation de la médecine du travail, les salariés bénéficient à l’embauche d’une visite d’information et de prévention ; une visite qui peut être assurée par une IDE. Et qui valorise leur rôle.

Depuis le 1er janvier 2017, les modalités de surveillance de l’état de santé des salariés du secteur privé ont évolué. Cette réforme s’inscrit dans le cadre de la loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail, mais aussi de l’article 102 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels qui instaure le suivi individuel de l’état de santé du travailleur. Ses modalités ont été précisées par le décret du 27 décembre 2016.

Un suivi par des professionnels de santé

• Si le médecin du travail demeure au centre du dispositif, d’autres professionnels de santé peuvent désormais prendre en charge les salariés dès l’embauche : collaborateur médecin, interne en médecine du travail et infirmière.

• La visite médicale d’embauche donnant lieu à la délivrance d’un avis d’aptitude ou d’inaptitude est maintenant réservée aux travailleurs dont la situation personnelle ou le poste présentent des risques particuliers ; elle a lieu avant l’affectation au poste (voir infographie ci-dessous).

• Les autres salariés bénéficient d’une visite d’information et de prévention, qui peut être notamment assurée par une infirmière du travail, sous l’autorité du médecin. Elle doit être réalisée dans un délai qui n’excède pas trois mois à compter de la prise effective du poste. À son issue, l’IDE remet une attestation au salarié. « En 2011, un décret a instauré l’entretien infirmier intermédiaire entre deux visites médicales. Aujourd’hui, la nouveauté est que le médecin du travail peut déléguer aux infirmières les visites d’information et de prévention initiales. Ces nouvelles prérogatives donnent plus d’épaisseur au métier d’infirmière de santé au travail », explique le Dr Gérald Demortière, médecin du travail et médecin coordinateur à l’Ametif Santé au travail.

• La visite d’information et de prévention a notamment pour objet d’interroger le salarié sur son état de santé ; de l’informer sur les risques éventuels auxquels l’expose son poste ; de le sensibiliser sur les moyens de prévention à déployer ; d’identifier si son état de santé ou les risques auxquels il est exposé nécessitent une orientation vers le médecin du travail ; de l’informer sur les modalités de suivi de son état de santé par le service et sur la possibilité dont il dispose, à tout moment, de bénéficier d’une visite à sa demande avec le médecin.

• La périodicité du suivi du salarié ne doit pas excéder cinq ans et, si des risques particuliers ont été identifiés, pas plus de deux ans. Il s’agit de limites « plafond », car dorénavant, « les textes laissent une plus grande liberté de décision au médecin du travail pour fixer le rythme et le contenu des visites en fonction des besoins réels des salariés », observe le Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (Cisme). En outre, en cas de nécessité, une visite médicale peut être demandée à tout moment par le salarié lui-même, son employeur ou le médecin du travail.

Mesures spécifiques

• Les situations spécifiques sont également prises en compte. Pour les travailleurs de nuit ou âgés de moins de 18 ans, ainsi que pour ceux exposés aux agents biologiques pathogènes de catégorie 2 ou aux champs électromagnétiques, la visite d’information et de prévention se déroule préalablement à l’affectation au poste. La périodicité de leur suivi médical ne doit pas excéder trois ans. Elle s’applique aussi aux salariés en situation de handicap ou titulaires d’une pension d’invalidité ou encore aux travailleurs exposés à des rayonnements optiques artificiels supérieurs à des seuils et présentant un problème de santé. Enfin, le suivi individuel est renforcé pour tout travailleur exposé à des risques particuliers pour sa santé et sa sécurité, pour celle de ses collègues, ou pour des tiers dans son environnement immédiat de travail. La liste des postes à risques particuliers est définie réglementairement, elle peut être complétée par l’employeur après l’avis du médecin du travail.

• La réforme modifie également le suivi des salariés en contrat à durée déterminée et en intérim qui sera calqué sur celui des personnes sous contrat à durée indéterminée. La visite d’embauche qui avait lieu pour chaque CDD va être progressivement remplacée par un suivi de la personne et non plus en fonction des contrats.

Inaptitude : nouvelles procédures

• L’avis d’inaptitude n’est plus délivré systématiquement après deux visites médicales, le médecin pouvant faire son constat après une seule visite si nécessaire. Pour déclarer un salarié inapte, le médecin du travail doit d’abord avoir réalisé au moins un examen médical de l’intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires et échangé avec le salarié et son employeur afin d’étudier toutes les solutions de maintien au poste de travail.

• Pour le reclassement du salarié, le Cisme note que « la charge de la preuve à apporter par l’employeur est allégée si le médecin du travail indique dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement ».

• Un salarié ou un employeur qui souhaite contester les éléments de nature médicale motivant les avis du médecin du travail doit désormais saisir en référé le conseil des prud’hommes (et non plus l’inspection du travail). La formation en référé doit être faite dans un délai de quinze jours à compter de la notification des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail.

Une nouvelle responsabilité

• Cette modernisation conduit forcément à une nouvelle organisation entre médecin du travail et infirmière. « En assurant ces visites d’information et de prévention, les infirmières vont devoir ouvrir le dossier médical santé travail du salarié. C’est un grand changement pour elles et nous les aidons par des mises en situation et l’élaboration de protocoles adaptés, détaille le Dr Demortière. Nous avons commencé par les postes qui comportent très peu de risques, comme ceux du secteur tertiaire. » Il s’agit donc d’un véritable partenariat entre le médecin du travail et l’infirmière, formalisé par la transmission d’informations via les dossiers informatisés et des fiches de liaison, mais également par des échanges hebdomadaires.

• Cette réforme est donc loin d’être anodine pour la médecine du travail et les salariés. Pour le Dr Demortière, qui l’a soutenue, « les salariés sont moins contraints, ils peuvent venir nous voir quand ils en ont besoin. La réforme place le médecin du travail comme un spécialiste de recours incontournable lorsqu’une problématique de santé est avérée. Les infirmières, qui recueillent les informations lors du colloque singulier avec le salarié, ont un rôle fondamental de sentinelle. Elles font émerger les éventuelles difficultés ou problèmes des salariés à tenir leur poste, et évaluent la nécessité de les orienter vers le médecin du travail ». Cette délégation aux infirmières devrait donc bénéficier aux salariés. Et finalement valoriser à la fois les médecins du travail et les infirmières.

SAVOIR PLUS

→ Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail (bit.ly/2m1RmU).

→ Article 102 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (bit.ly/2lfO8Zh).

→ Décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 relatif à la modernisation de la médecine du travail (bit.ly/2mBVBD6).

INTERVIEW

CORINNE CELLICH INFIRMIÈRE DU TRAVAIL, AMETIF SANTÉ AU TRAVAIL

Comment se déroule une visite d’information et de prévention ?

• Lorsque je reçois un salarié, je vais faire le point sur ses problèmes de santé, ses antécédents, ses éventuelles addictions. Je lui demande quelles sont ses tâches, comment cela se passe au travail… À partir de ces informations, je vais lui donner des conseils, comme bien se positionner s’il travaille sur écran. Je dois aussi repérer une possible pathologie qui pourrait menacer le maintien dans l’emploi. Lors de cette visite, le poids et la tension du salarié sont contrôlés. Des examens complémentaires (vue, analyse d’urines, audiogramme, spirométrie) peuvent être réalisés en fonction d’un protocole élaboré avec les médecins suivant les postes ; un glossaire nous permet de reprendre tous les items que nous devons traiter et un arbre décisionnel. Enfin, j’informe le salarié sur la possibilité de voir le médecin du travail à tout moment.

Comment repérez-vous les risques d’exposition ?

• C’est pour cette raison que je les interroge sur ce qu’ils font exactement dans leur poste, les produits qu’ils manipulent… Nous disposons de fiches d’entreprise pour déterminer les risques d’exposition. Toutes les informations que nous recueillons sont tracées par informatique, ce qui permet d’effectuer des recoupements. Par exemple, si plusieurs salariés d’une même entreprise évoquent des problèmes de conditions de travail, nous pouvons alerter le médecin qui peut déclencher une action au sein de l’entreprise. Les infirmières vont aussi aller sur le terrain. C’est important pour connaître les conditions de travail.

Quels sont vos échanges avec le médecin du travail ?

• Nous avons des échanges formalisés pour faire le point sur des dossiers de salariés ou des entreprises que j’ai pu, par exemple, repérer comme présentant des problèmes. Le médecin dispose aussi des fiches de liaison que je lui envoie avec les dossiers. Enfin, nous orientons d’emblée vers le médecin du travail les travailleurs en situation de handicap, ayant une invalidité et les femmes enceintes ou venant d’accoucherpour la visite d’information et de prévention.

PROPOS RECUELLIS PAR M. C.